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Mswati III, le roi Ubu de l'Afrique australe

Le Swaziland fête son cinquantième anniversaire mais ses habitants n'ont pas de quoi se réjouir: ils vivent sous la coupe d'un tyran, le dernier monarque absolu du continent noir

Le roi du Swaziland Mswati III et l'une de ses nombreuses épouses lors d'un voyage officiel au Sri Lanka en 2012. — © Stringer/Reuters
Le roi du Swaziland Mswati III et l'une de ses nombreuses épouses lors d'un voyage officiel au Sri Lanka en 2012. — © Stringer/Reuters

Les rues de Mbabane, la capitale du Swaziland, ont été nettoyées, les drapeaux sortis mais les 1 400 000 habitants ne sont pas d’humeur à célébrer, ce jeudi, le 50e anniversaire de l’indépendance de leur petit pays, enclavé entre le Mozambique et l’Afrique du Sud. L’ancienne colonie britannique vit sous le joug de Mswati III depuis 1986. Lui-même a fêté son demi-siècle en avril. Son Altesse s’est même arrogé le droit de changer le nom du pays, rebaptisé eSwatini (le pays des Swazis) en mai dernier.

L’avocat Thulani Maseko, l’un des rares Swazis à avoir le courage de défier Mswati III, a intenté un recours: le roi aurait dû consulter le parlement et le peuple par référendum. «Son père avait déjà violé la Constitution datant de l’indépendance en décidant unilatéralement de l’abolir en 1973», note l’homme de loi, qui a peu de chance de succès. Dans un recours intenté en 2014 contre une décision du roi, le juge avait estimé que celle-ci ne pouvait pas être contestée car elle provenait de la «bouche qui ne dit pas de mensonges».

Les élections du 21 septembre seront donc une mascarade alors que seuls les candidats non liés à des partis politiques peuvent se présenter. Le roi nomme d’ailleurs lui-même 10 des 69 députés, les 30 sénateurs, le gouvernement, les fonctionnaires et les juges. Il peut bloquer les lois qui lui déplaisent et dissoudre le parlement.

«Le roi possède presque toute la terre»

«C’est une monarchie absolue et une société fermée, basée sur le secret, commente Shireen Mukadam d’Amnesty International, qui vient de publier un rapport sur les expropriations fréquentes de petits paysans. «La plupart des gens que j’ai rencontrés n’osent s’exprimer que sous le couvert de l’anonymat. Le roi possède presque toute la terre, distribuée par les chefs traditionnels aux familles, qui ne possèdent donc pas de droits de propriété. Elles peuvent être expulsées même si elles cultivent leurs parcelles depuis plusieurs générations.»

Lire aussi: Non, Swaziland ≠ Switzerland, mais Swaziland = eSwatini

Lors d’une expropriation dans la région de Malkerns en avril dernier, l’une des 60 victimes a raconté qu’elles avaient été traitées comme des animaux. Les bulldozers sont arrivés de nuit, sans prévenir. Les maisons ont été détruites. Les paysans ont tout perdu, sans obtenir la moindre compensation. Au Swaziland, les autorités n’ont pas de comptes à rendre. Un intermédiaire du roi leur a finalement proposé 600 francs suisses par famille, une somme ridicule.»

Les citoyens lésés n’ont aucun recours alors que ni la justice ni la presse ne sont indépendantes. Les opposants, notamment du parti Pudemo, sont harcelés ou emprisonnés. L’avocat Maseko a lui-même fait dix-sept mois de prison entre 2014 et 2015. Le roi est tout de même sensible à son image internationale. Ainsi, une nouvelle loi sur l’ordre public, promulguée l’an dernier, autorise désormais la liberté d’association et de réunion. A condition d’obtenir une autorisation préalable des autorités…

Quinze épouses

Même au palais, la vie n’est pas rose. Mswati III vit entouré de ses 15 épouses (son père en avait 125), la plupart kidnappées au sortir de l’adolescence. «Ma cousine est la 11e épouse du roi. Elle a été enlevée alors qu’elle revenait de l’école, explique une Swazi, qui vit à Johannesbourg. Sa famille n’a rien eu à dire. Pour la voir, il faut demander une autorisation». La 8e épouse, Senteni Masango, a craqué: elle s’est suicidée par overdose en avril, une semaine après l’enterrement de sa propre sœur. Elle n’avait pas eu le droit d’y assister.

Alors que 70% des Swazis survivent avec moins de 2 dollars par jour, le roi ne lésine pas sur la dépense. Selon le journal sud-africain City Press, l’achat et l’aménagement luxueux d’un Airbus A 340, ainsi que la construction d’un hangar ont coûté plus de 200 millions de francs. L’avion, livré en mai, est stationné dans l’aéroport international (construit en 2014 pour 250 millions de dollars) dont le pays n’avait nullement besoin. Mswati III possède aussi une impressionnante collection de voitures (dont une Maybach achetée pour 500 000 dollars) et 13 palais.

Le luxe de snober la Chine

La maison royale, qui contrôle une large partie de l’économie locale, disposerait, selon la presse locale, d’un budget annuel de 30 millions de francs. Pourtant, l’Etat n’a plus de liquidités: les salaires des fonctionnaires sont gelés depuis deux ans, les bourses d’étude n’ont pas été payées et le programme de nutrition scolaire a été interrompu. Le pays est affecté par une forte baisse des rentrées dans le cadre de l’union douanière avec l’Afrique du Sud, qui alimente la moitié du PIB du pays.

Et pourtant, eSwatini s’offre le luxe d’être l’unique pays africain à maintenir des liens diplomatiques avec Taiwan. Le petit royaume a ainsi été le seul à ne pas avoir été convié au sommet Chine-Afrique du début de la semaine. Il ne bénéficiera pas de la manne de 60 milliards de dollars de prêts annoncés par Pékin. «La Chine ne doit pas nous forcer la main, a répondu le ministre swazi des Relations extérieures, Mgwagwa Gamedze. On ne va pas laisser tomber Taiwan, qui a été bon pour nous.» Entendez pour le roi. Taipei lui a encore donné 1 million de francs pour son 50e anniversaire, auquel entreprises et sujets ont aussi dû contribuer.