Dès 7 heures du matin, le calvaire commence pour les habitants de la cité Air-Bel, quartier du 11ème arrondissement à l’est de Marseille. « On se lève pour prendre une douche, et on a peur. On laisse couler l’eau, on la sent… Si elle est marron ou pleine de chlore, on s’arrange avec les voisins des autres bâtiments », nous raconte Imane, une habitante du quartier. Et pour cause : Kader, membre de l’Amicale des locataires d’Air-Bel brandit une petite bouteille : l’eau contenue provient directement du robinet ce matin de la fin août. Elle est jaunâtre, presque marron.

Faute d’entretien des canalisations des immeubles de cette cité, depuis sept ans les légionelles prolifèrent dans l’eau courante à un taux parfois 40 fois supérieur à la normale. La bactérie est dangereuse : inhalée dans des vapeurs ou ingérée dans l’eau chaude, elle peut engendrer la légionellose, une maladie respiratoire potentiellement mortelle.

Les bailleurs d’Air-Bel sommés d’installer des filtres

Jusqu’à présent, les trois bailleurs de la cité Air-Bel (Logirem, Unicil et Erilia) qui compte près de 7 000 habitants privilégiaient la chloration pour atténuer la contamination des eaux. Mais cela n’a pas suffi : cet été, le taux de légionelles était largement supérieur à la moyenne. Contactée, la direction de Logirem explique qu’en raison de la période estivale « plusieurs logements étaient vides en raison du départ en vacances des locataires étant partis en vacances. Résultat : l’eau stagne dans les tuyaux, et la bactérie prolifère ».

Vous vous rendez compte qu’on paie tous les mois notre propre mort ?

Quand le bailleur accuse le calendrier, le locataire accuse le coup. Le 16 juillet, la préfecture des Bouches-du-Rhône a publié un arrêté, sommant les bailleurs à poser des filtres temporaires aux points de puisage les plus pollués par la légionelle. Dans leur décision, les autorités estiment que les habitants sont exposés « à des risques sanitaires importants ».

En réponse, Logirem, Unicil et Erilia assurent dans un communiqué que la pose des filtres, pour le 31 août, est effective. Ce qui n’est pas de l’avis des habitants rencontrés. « C’est n’importe quoi, s’insurge Rania, secrétaire de l’amicale des locataires d’Air-Bel, en découvrant le document. Ils n’ont fait que changer les douchettes et dans quelques bâtiments seulement. Le problème est dans toutes les canalisations de la cité, il faut entamer les travaux au lieu de faire diversion avec des filtres dont l’efficacité n’a été prouvée par personne ». Et d’ajouter d’un ton plus grave : « Vous vous rendez compte qu’on paie tous les mois notre propre mort? »

Notre quotidien, c’est la peur de la légionellose

En septembre 2017, Djamel Haouache, père de famille de 46 ans de la cité Air-Bel, perdait la vie après avoir contracté la légionellose. Sa soeur, Djamila, habitante de la cité egalement et présidente de l’association « Il fait bon vivre dans ma cité » raconte : « Mon frère a dû être plongé dans un comas artificiel avant de perdre la vie. Il avait attrapé les légionelles dans l’eau chaude de ses propres robinets. Aujourd’hui, je suis en colère : je refuse qu’il y ait une nouvelle victime à Air-Bel ».

Des habitants qui se lavent à l’eau minérale

Pour éviter le même sort, les habitants doivent faire montre de débrouillardise. A l’instar d’Anaïs, maman d’une petite fille de 18 mois. Pour protéger sa fille, elle emploie une méthode bien connue des habitants d’Air-Bel : « Je lave ma fille à la Cristalline. Ca revient très cher et il y a des ruptures de stock dans les magasins les plus proche. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Elle est toute petite. Notre quotidien aujourd’hui, c’est la peur qu’elle attrape la légionellose ». Au bas de la tour, des dizaines de sacs poubelle gisent au soleil pleins de bouteilles d’eau vides à recycler.

Ici, la quantité de bouteilles descendues en deux heures par les habitants d’une tour. Ils les entreprosent pour que les membres de l’amicale les jettent au recyclage

Malgré la pose des filtres temporaires dans les tuyauteries les plus infectées par les légionelles, les locataires n’hésitent pas à exprimer leur méfiance. « Cela fait des années que j’achète une quinzaine de packs d’eau par jour, pour cuisiner, se laver, faire le café. On voudrait nous faire croire que des filtres éphémères vont nous sauver? A d’autres ! Les légionelles, les rats, les punaises de lit… Il en faut plus pour sauver Air-Bel, il faut la ressusciter ! »

Dans le local de l’Amicale des locataires, les têtes acquiescent, en silence. Ce mercredi 5 septembre, les représentants d’Air-Bel se rendront à la préfecture. Objectif : préparer une réunion publique où les bailleurs répondront en direct aux questions des habitants. « On a hâte, s’amuse Kamel. On a de beaux échantillons d’eau du robinet qu’on a mis de côté. On verra s’ils trinqueront avec nous ».

Trinquer à leur première victoire en justice egalement. Le 28 juin 2018, le juge des référés du Tribunal de Marseille a accepté la demande des habitants : il a ordonné la désignation d’un expert judiciaire qui devra déterminer la qualité de l’eau qui coule à Air-Bel, sa conformité à l’usage et la nature des travaux à mener.

Sarah NEDJAR

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