Les équipages d'aéronefs et de sous-marins des Forces armées canadiennes se verront pratiquement interdire de consommer du cannabis, mais les soldats au sol, eux pourront utiliser une arme à feu, des explosifs ou un char d'assaut 24 heures après avoir grillé un joint, selon une directive militaire officielle publiée hier. Explications.

La politique de 18 pages, dont l'élaboration s'est étalée sur plus d'un an, précise dans quelles circonstances les soldats, officiers et employés civils du ministère de la Défense pourront consommer du cannabis à des fins récréatives une fois la légalisation en vigueur.

Il leur sera strictement interdit de posséder ou de consommer du pot pendant toute opération ou tout déploiement à l'étranger, sauf lorsqu'ils seront de retour au Canada dans le cadre d'un congé autorisé.

« Il est important pour nous de respecter la loi partout où nous sommes appelés à intervenir, et comme il est encore illégal pour n'importe quel Canadien de transporter du cannabis à travers les frontières internationales, nous avons voulu protéger nos membres de tout problème que ça pourrait susciter lorsqu'ils sont à l'extérieur du pays », explique le lieutenant-général Charles Lamarre, chef du commandement du personnel au sein des Forces armées canadiennes. 

La politique interdira aussi aux soldats de consommer du cannabis lorsqu'ils se trouvent à bord de tout véhicule utilisé par le ministère de la Défense, ou encore lorsqu'ils participent à un entraînement ou un exercice au Canada. 

Pas de joint dans les 24 heures précédant la manipulation d'une arme à feu

En dehors des missions officielles, la plupart des soldats pourront consommer de la marijuana comme tout autre Canadien, mais il leur sera interdit de le faire moins de huit heures avant leur quart de travail.

La période d'interdiction sera de 24 heures pour les militaires appelés à utiliser ou manipuler une arme à feu chargée, des explosifs, un véhicule chenillé ou à faire un saut en parachute. « Personnellement, je trouve que ce n'est pas suffisant », estime le colonel à la retraite et avocat Michel Drapeau.

« Quand est-ce que les 24 heures commencent et se terminent ? Est-ce qu'un soldat qui consomme le dimanche après-midi pourra faire son travail adéquatement le lundi matin ? Des accidents peuvent arriver. Ça se produit même quand les personnes sont en plein contrôle de leurs moyens. Moi, je renforcerais ça », dit-il. 

Règles concernant les équipages d'avions et de sous-marins

Les soldats membres d'un équipage d'aéronef, de sous-marin, dont les officiers de système de combat aérien, les ingénieurs aériens ou encore les pilotes de drone font partie des spécialistes qui ne pourront exécuter leurs tâches moins de 28 jours après avoir consommé de la marijuana.

Les Forces armées comptent faire des contrôles réguliers pour s'en assurer. Comment expliquer un tel écart entre la limite imposée aux fantassins et celle qui pèse sur les marins et pilotes ? 

« Le problème qu'on a avec l'utilisation d'un aéronef, c'est que le THC [le principal ingrédient psychoactif du cannabis] se loge dans les graisses, et il se pourrait qu'au jour 22, 23 ou 24 suivant la consommation, il y ait un peu de THC qui [circule] dans le sang de l'individu et que ça l'affecte. Quand une petite faute est commise dans un aéronef, ce peut être dramatique », justifie le lieutenant-général Lamarre.

Ces restrictions sont semblables à celles imposées aux pilotes de l'aviation civile. « Avec les armes à feu, selon nos recherches, il y a moins de chances qu'un petit changement semblable dans le sang ait un effet dramatique comme ça. Il serait par exemple très peu probable que soudainement, un individu [qui a consommé du cannabis plus de 24 heures auparavant] lève son arme et se mette à tirer ses camarades », ajoute le lieutenant-général. 

Pas de cannabis médical pour les soldats

Selon des données obtenues grâce à la loi sur l'information, le nombre d'anciens combattants canadiens qui consomment du cannabis à des fins médicales continue de croître au pays, avec près de 7500 individus qui se sont fait rembourser leur marijuana par le ministère des Anciens Combattants depuis le début de 2018. Le nombre était de 7300 l'année précédente.

Le ministère de la Défense n'entend cependant pas délivrer des ordonnances aux soldats actifs au sein des Forces.

« Nous ne croyons pas que la science ait prouvé que ça peut aider nos membres. Cependant, on sait que certains soldats vont voir des médecins civils à l'extérieur pour obtenir des prescriptions. Le cas échéant, ils ont l'obligation d'en avertir leurs médecins militaires », indique le lieutenant-général Lamarre.

Les médecins militaires auront alors pour consigne de signer des exemptions empêchant ces soldats de participer à des déploiements.

L'OTAN, le NORAD et l'armée américaine informés

Les forces armées canadiennes ont informé hier l'OTAN, le NORAD et l'Armée américaine de la nouvelle politique. Les soldats qui ne se conformeront pas à la politique s'exposent à différentes sanctions disciplinaires et suspensions et pourront même être traînés devant un tribunal militaire. 

- Avec la collaboration de William Leclerc