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Filippo Sorcinelli, le couturier du Vatican

On se demande rarement qui habille le pape. Pourtant ce créateur de vêtements sacrés est un artiste italien incroyable, un brin chaman.

n/a — © Rita Francia
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Peintre, organiste, directeur artistique, parfumeur, photographe et graphiste, Filippo Sorcinelli est un personnage hors norme à la renommée internationale et à l’aura mystérieuse. L’homme qui confectionne certaines des robes du pape et du clergé ou dédie une collection de parfums au brouillard se livre dans nos pages. Edifiant.

© Rita Francia
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Votre atelier de haute couture LAVS (L’Atelier di Vesti Sacre) a été spécialement conçu pour la création de vêtements pontificaux. Quel fut le facteur déclencheur?

Un simple appel téléphonique il y a vingt ans, de la part d’un ami qui allait devenir prêtre. Instinctivement, je lui ai dit: «N’achète rien.» Grâce à lui, ma vie a changé.

Est-il possible d’innover en matière de création de vêtements pontificaux ou êtes-vous tenu à un cahier des charges très strict?

Les règles de la liturgie sont très précises. Pour mener à bien cette activité, il est nécessaire d’étudier et de connaître en profondeur toutes les significations et les normes qui règlent un rite. Cela n’empêche pas d’appliquer notre propre sensibilité créative pour essayer d’améliorer les choses. Chaque artiste (si d’un artiste il s’agit) laisse une empreinte stylistique indélébile sur les œuvres qu’il réalise en faisant une petite innovation. Du haut de mes vingt ans d’expérience, je dois dire que l’atelier a réussi à imposer un style précis, reconnaissable partout dans le monde, en maintenant un profond respect pour l’Eglise et ses rites. Celui qui crée des vêtements sacrés doit avoir conscience d’avoir une tâche très importante, il ne s’agit pas de simples vêtements.

Combien de temps vous faut-il pour confectionner aujourd’hui une robe pour le pape?

En vérité, il existe de nombreux types de vêtements: chacun a une caractéristique très spécifique, une forme et un ornement différents des autres. Certains peuvent prendre deux jours de travail, d’autres même trois mois.

Encens et résines règnent en maîtres dans vos parfums. Que symbolisent-ils pour vous?

Les encens et les résines sont les bases, le fondement du mot parfum, per-fumum. A travers la fumée, nous envoyons nos mémoires, nos désirs et nos offrandes au monde de l’Esprit en faisant abstraction de notre corps.C’est l’union entre le Visible et le Non-Manifeste: l’homme et l’Esprit. L’encens prend son origine dans incendere qui signifie aller… flamber, brûler, briller. Il est aussi appelé «essence du Lion» grâce à la coïncidence entre le début du signe du zodiaque lié au Soleil, et la récolte réalisée selon des canons précis. Les encens ont des effets chimiques sur le cerveau: l’oliban, encens utilisé à l’église, en brûlant, développe une substance semblable aux cannabinoïdes. Il favorise donc la concentration et l’introspection. Pour moi, l’encens continue à symboliser le sacré, l’Esprit, le purificateur.

L’encens est-il entré rapidement dans la composition des parfums occidentaux?

L’Occident a dû attendre environ huit cents ans avant d’inclure l’encens dans ses pratiques religieuses. Le Livre égyptien des morts ou les écrits tibétains fournissent des instructions précises sur l’utilisation cérémonielle des encens comme adjuvants pour la méditation ou la prière. Dans la Bible, nous trouvons les règles pour la composition de l’encens sacré. Des applications similaires ont été trouvées dans les populations précolombiennes, dans celles du chamanisme sibérien ou amérindien, autant que dans le paganisme nordique, grec ou romain. Il y a aussi des éléments de fumigations à base de pharmacopées dans les médecines chinoise, tibétaine, indienne ainsi que dans les pratiques chamaniques des tribus africaines et sud-américaines.

L'encens des pharaons : le kyphi, résurrection d'un parfum sacré

Comment parvenez-vous à concilier l’animal et le spirituel dans vos créations?

L’animal, le bestial, porte avec lui les origines de l’homme avec ses violentes incertitudes et son chemin sans bornes vers quelque chose de plus grand que lui. L’instinct ouvre la voie à l’abandon vers de plus vastes objectifs. C’est une expérience suspendue, hors du temps. L’intuition et la ruse font du vrai homme un voyageur à la recherche du «pas encore présent». Il suit les traces, il est confiant. La recherche, la curiosité, l’action, typique de l’animal-homme, sont une obsession viscérale, une extase.

Quelle importance votre enfance a-t-elle eu dans votre construction artistique?

J’avais toujours «faim et soif» de connaissance. Pour reprendre les termes de Nietzsche, je suis devenu «un être dangereux sur le chemin». J’accompagnais ma mère faire le ménage à l’église, je voyais l’orgue, sentais les encens, touchais les vêtements sacrés. J’ai rencontré des adultes qui m’ont nourri artistiquement et m’ont fait comprendre quel voyage faire pour y revenir. Je crois que toutes ces choses rares m’ont formé en tant qu’artiste et en tant qu’homme.

Le pape porte certaines de vos créations vestimentaires. Porte-t-il aussi vos parfums?

Demandez-lui, essayez de l’appeler. D’habitude, il répond!