PRIS POUR CIBLE«Quand je suis rentrée chez moi, j’ai trouvé trois mots avec des menaces»

Cyber-harcelé(e)s: «Quand je suis rentrée chez moi, j’ai trouvé trois papiers avec des menaces de mort»

PRIS POUR CIBLEA 25 ans, Valentine a été visée sur Twitter par des centaines d'utilisateurs pour ses positions féministes. Elle a décidé de riposter.
Hélène Sergent

Propos recueillis par Hélène Sergent

L'essentiel

  • Journaliste spécialiste du « dark web », Valentine a reçu plusieurs centaines de messages et des menaces après un tweet féministe.
  • Le lendemain, des messages comportant des insultes avaient été glissés dans sa boîte aux lettres.
  • Epaulée par des amis, elle a retrouvé la trace de trois de ses cyber-harceleurs.

Logo de la série #prispourcible
Logo de la série #prispourcible - 20 Minutes

Voici l’histoire de Valentine. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles,
20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyber-violence. Si vous avez été victime de cyber-harcèlement, écrivez-nous à lbeaudonnet@20minutes.fr, hsergent@20minutes.fr ou hbounemoura@20minutes.fr.

« Dans la nuit du 4 au 5 août, j’ai posté un tweet sur mon compte aux alentours de minuit. J’exprimais simplement ce que « se respecter » était pour une femme. Les injonctions permanentes faites aux femmes sur leur maquillage, leurs habits et leur comportement, ça a tendance à m’agacer. Alors j’ai écrit : « Une meuf qui se respecte, c’est une meuf qui respecte SES envies, SES attentes, SON désir, et SES ambitions, pas les vôtres. C’est le principe de SE respecter ».

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Le lendemain matin, je me suis réveillée avec des centaines de messages d’internautes, certains en privé, qui me disaient que j’étais qu’une salope, que je méritais de me faire violer, qu' « il aurait fallu m’euthanasier ». Toute la journée, ça a été un déferlement et ça a continué le lundi aussi. J’ai reçu entre 300 et 400 messages en tout. Trois d’entre eux m’ont signifié qu’ils avaient l’adresse de mon domicile, qu’ils savaient où j’habitais. Là, ça m’a fait peur, ça devenait très réel.

Capture d'écran d'une des insultes reçues par Valentine entre le 4 et le 5 août 2018 sur Twitter.
Capture d'écran d'une des insultes reçues par Valentine entre le 4 et le 5 août 2018 sur Twitter. - Twitter

On peut faire la même chose qu’eux

Je n’étais pas chez moi ce week-end-là et quand je suis rentrée le dimanche, j’ai regardé dans ma boîte aux lettres. J’ai trouvé trois petits papiers avec des menaces de mort et des menaces de viol. Dans le cadre de mon travail - je bosse essentiellement sur le « deep web » et « dark web », j’ai noué des relations d’amitié avec certaines personnes plutôt douées en informatique. J’ai sollicité leur aide et ensemble on a pu retrouver l’adresse IP des trois personnes qui m’avaient envoyé un message privé dans lequel figurait mon adresse.

Capture d'écran d'un des trois messages privés reçus par Valentine entre le 4 et le 5 août sur Twitter.
Capture d'écran d'un des trois messages privés reçus par Valentine entre le 4 et le 5 août sur Twitter. - Twitter

On en a aussi retrouvé leur domicile et mes amis sont allés sonner chez eux en leur disant « Il va falloir se calmer, si vous continuez on portera plainte ». L’objectif, c’était simplement de leur dire qu’on pouvait faire la même chose qu’eux et qu’on pouvait le faire dans un cadre légal. Ils ont un peu claqué des genoux, et se sont étonnés d’avoir été retrouvés en expliquant qu’ils avaient utilisé un VPN. Au-delà de l’écran et du clavier, il y a une personne que ça atteint derrière et on n’a pas le droit de la menacer parce qu’elle dit quelque chose qui ne nous plaît pas.

Quand on outrepasse la loi, il y a des conséquences

J’avais déjà été attaquée en ligne mais toujours dans le cadre de mon travail. Là, ça m’a particulièrement touché parce que ça a réveillé des choses douloureuses. C’était des attaques personnelles et essentiellement relatives à mon genre, au sexe féminin. Alors qu’on nous vend les réseaux comme des moyens d’expression, finalement même là-dessus, et avec la « sécurité » de l’anonymat, le message qu’on finit toujours par nous renvoyer c’est : « T’es une femme, tu ne devrais pas t’exprimer ».

J’en ai parlé avec mon copain, et la réponse que m’apportaient mes proches, c’était grosso modo « tu n’as qu’à faire une pause sur Twitter », comme si la solution immédiate c’était de se taire ! J’ai suivi leur conseil dans un premier temps, puis j’ai publié un message en disant que je continuerai de m’exprimer et que si les menaces continuaient, ça se réglerait devant les tribunaux. La plupart des messages très explicites ont été supprimés, certains utilisateurs ont été bannis et je les ai bloqués.

Ça n’a pas de sens pour moi de dire aux victimes de cyberharcèlement « tu as pris un risque en utilisant les réseaux sociaux ». Cela revient à invisibiliser le problème qui est : « On ne harcèle pas ». Aujourd’hui, ça s’est un peu calmé mais j’attends de voir si ça se tasse vraiment. J’ai quand même pris contact avec un avocat qui travaille sur ce genre de dossier. Quand on outrepasse la loi, il y a des conséquences.

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.

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