Trois quarts des Belges sont favorables à une extension de la loi autorisant l'euthanasie aux mineurs et aux personnes souffrant de démence de type Alzheimer, révèle un sondage publié mercredi.

Actuellement, l'euthanasie est interdite en France et assimilée à un homicide volontaire pour le tiers qui la pratiquerait.

afp.com/Martin Bureau

Pour joindre le docteur Yves de Locht depuis l'Hexagone, mieux vaut s'armer de patience. Ce généraliste belge rejette désormais tous les appels avec un indicatif français, dès lors qu'ils lui sont inconnus. "Ça devient dérangeant... On est sollicités tous les jours par des Français qui souhaitent ouvrir un dossier", se justifie cet homme de 72 ans à la voix posée.

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Un dossier, pour avoir le droit de mourir légalement hors des frontières hexagonales, alors que le Comité d'éthique s'est déclaré, fin septembre, défavorable à la légalisation de l'euthanasie. Car si Yves de Locht est assailli d'appels, c'est qu'il est devenu en quelques années, pour des dizaines de Français aux lourdes pathologies, celui qui peut, d'après eux, raccourcir leur horizon de souffrances.

Au nom de ce Wallon est désormais associé le terme d'euthanasie, "le geste le plus difficile à pratiquer pour un médecin". Un mot, dont il sait l'emploi souvent tabou en France, mais dans lequel il préfère voir un sens noble. "Euthanasie vient du grec et signifie 'Belle mort'".

Maladie de Charcot, ou cancers

Le docteur de Locht, qui refuse de se poser en militant politique, a pourtant signé le 12 septembre un livre aux accents de manifeste et dans lequel il rapporte plusieurs histoires de patients français ayant eu recours à ses services. Actuellement, l'euthanasie est interdite en France et assimilée à un homicide volontaire pour le tiers qui la pratiquerait.

"Je ne veux pas interpeller les autorités de l'Hexagone, seulement rétablir une certaine réalité. En espérant que peut-être un jour, il y ait une loi qui permette aux Français de ne plus quitter leur pays pour mourir", explique le médecin. Le titre de son livre, Docteur, rendez-moi ma liberté (Ed. Michel Lafon), est d'ailleurs issu d'une lettre écrite par une femme atteinte de la maladie de Charcot, qui lui réclamait le droit à la mort anticipée.

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Avant cette patiente, il y a eu Michel, Lucette, André, Daniel, Cathy ou encore Benoît. Des noms d'emprunt égrainés dans l'ouvrage, décrivant des Français en extrême souffrance, qui ont traversé la frontière pour être accompagnés vers la mort.

"Les patients qui me marquent le plus sont ceux atteints de graves maladies, comme celle de Charcot, ou les cancers et qui arrivent à Bruxelles dans des états épouvantables. On se demande parfois comment les médecins de France peuvent les laisser dans un état pareil", s'insurge Yves de Locht.

"Il y en a eu tellement"

La loi belge est ainsi faite : pour bénéficier du droit d'être euthanasié, il faut se rendre une première fois dans le pays, afin de rencontrer un médecin qui livrera un diagnostic, appuyé par l'avis d'un confrère. Le patient doit être atteint d'une maladie incurable, présenter des demandes réitérées et une souffrance insupportable. "C'est très émouvant de voir des gens arriver en chaise roulante ou en ambulance. Je suis admiratif devant eux", ajoute le septuagénaire.

La loi encadrant l'euthanasie en Belgique est née en 2002. "Votre ministre de la Santé, Mme Buzyn ne veut pas en entendre parler pour le moment, disant que la France n'a pas assez de recul sur la question, mais en Belgique, ce recul nous l'avons. Et les demandes ne cessent d'augmenter de la part de Français, insatisfaits des conditions de fin de vie chez eux. On meurt mal en France". Le généraliste va plus loin : "L'écoute, le dialogue, ce sont des choses que beaucoup de patients français me disent ne plus rencontrer avec leurs médecins, qui n'ont plus le temps. Ça me chagrine."

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Aucun spécialiste n'est prédestiné à pratiquer ce geste ultime. La première euthanasie d'Yves de Locht a eu lieu il y a une dizaine d'années. Un prêtre belge, souffrant de la maladie de Parkinson, a vu en ce médecin et neveu de chanoine le candidat idéal pour lui permettre d'abattre les derniers remparts religieux liés à cette décision. "Je connaissais ce prêtre, je m'étais attaché à lui. Il y avait l'émotion de quitter quelqu'un que j'aimais beaucoup, l'émotion d'une première fois aussi. Ce n'était pas facile", se souvient le médecin, en pesant chacun de ses mots. Depuis, "il y en a eu tellement", souffle-t-il.

"La possibilité d'euthanasie les rassure"

Si la moyenne d'âge de ses patients est souvent élevée, des jeunes, comme Elvis, un Français "gravement malade, mais qui vit toujours", font aussi le déplacement dans son cabinet. Il avait 25 ans lorsqu'il a contacté le docteur de Locht et "a été rassuré par le fait de savoir que si un jour ça ne va plus du tout, il pourra compter sur la Belgique", relate le généraliste.

Comme Elvis, environ un tiers des patients français du Dr De Locht ouvrent des dossiers, sans définir de date de mort. Certains sont même en très bonne santé. "La possibilité d'euthanasie les rassure. Ça ne veut pas dire que la mort est immédiate, mais ils savent que si un jour, ils remplissent les conditions de la loi et sont au bout de la souffrance, ils pourront compter sur moi. Il y a une porte de sortie."

Pour d'autres, l'urgence est palpable. En deux mois, certains patients réussissent à remplir les formalités nécessaires à leur fin de vie et décèdent, le plus souvent dans un hôpital belge. Le médecin inscrit alors, sur le certificat de décès: "Mort naturelle".

Le cas d'Anne Bert, auteure française atteinte par la maladie de Charcot, qui a choisi d'être euthanasiée à l'étranger, a mis en lumière cette pathologie qui progresse rapidement, inexorablement. Aujourd'hui, une grande partie des personnes prises en charge par Yves de Locht en sont atteintes.

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"Ce sont des maladies qui me marquent beaucoup car le patient est dans un état épouvantable, paralysé mais conscient. Personne ne peut rester insensible." Il poursuit : "Je me souviens d'une dame que nous avons euthanasiée. Elle était assez jeune et, à la fin, ne parlait plus qu'avec ses yeux, via son ordinateur."

Les Pays-Bas refusent déjà les patients étrangers

Lorsqu'il parle de ce geste fatal, le septuagénaire utilise toujours le "nous". Il refuse de pratiquer seul l'euthanasie, une promesse que ce père de famille s'est faite à lui même, dès le premier jour. "L'émotion, des difficultés techniques, le contact avec les familles... Savoir qu'un autre médecin peut m'aider, me remplacer, c'est rassurant", explique Yves de Locht.

Il est aussi aidé par une bénévole française de l'Association pour le Droit à mourir dans la Dignité (ADMD), Claudette Pierret, qui effectue un "tri" dans les demandes des patients. "Il y a des appels qui ne correspondent pas à la loi belge, notamment les dépressions. On leur indique que ce n'est pas possible ici".

Le docteur de Locht estime d'ailleurs que le temps est compté, avant que la Belgique ne refuse, comme les Pays-Bas actuellement, de s'occuper des fins de vie des Français. "Il y en a eu trop et nous ne sommes pas des machines, il y a à chaque fois une émotion forte. Les hôpitaux n'en veulent plus non plus, alors on les oriente en Suisse". Les Helvètes ne proposent pas d'euthanasie mais une "aide au suicide" qui a un coût, 10 000 euros en moyenne. Pour les Français qui n'en ont pas les moyens, l'issue est souvent violente.

"'Oui, vous pouvez mourir"

"Il existe un risque de suicide avec des moyens du bord. Ce sont des morts affreuses, incomparables avec une mort douce comme peut l'être l'euthanasie. Elle demande du dialogue et permet aux patients ou aux familles de préparer ce qui va arriver", se désespère le médecin.

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Du haut de ses 72 ans, Yves de Locht a largement dépassé l'âge de la retraite. Il n'envisage pas pour autant de fermer définitivement la porte de son cabinet. "Je vieillis, alors je n'ouvre plus de nouveau dossier, mais je me suis engagé dans une sorte de contrat moral avec des patients dont les dossiers sont déjà ouverts". Ils sont 50 à 100 Français dans ce cas, selon lui.

"Tant que je suis capable, je continue", clame le docteur qui le sait pourtant, "il faut penser à un relais" chez ses confrères. Pour l'instant, le Belge s'active encore, mu par le sentiment de "servir à quelque chose". "Ce qui me rassure le plus, ce sont les remerciements que nous recevons des familles et le soulagement dans la tête du patient, quand on lui dit 'Oui, vous pouvez mourir'".

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