Rachid Taha. Rocker en transit
Ce voyageur et lecteur itinérant trouve dans les analyses de Derrida sur le cheminement ou dans celles de Deleuze sur la déterritorialisation l’écho de ses propres migrations.
Rachid Taha est un rocker atypique qui use des mots autant que de la musique pour exprimer une existence placée sous le signe de la migration. Son parcours, tant artistique que personnel, est marqué par le départ. En 1968, sa famille part d’Algérie pour la France. Il parle avec admiration du courage qu’il a fallu à son père, après la guerre, les blessures familiales, pour quitter un pays meurtri : « Il voulait donner une meilleure vie à ses enfants et réaliser un désir de démocratie et d’éducation. D’une manière générale, je pense que partir est un acte philosophique qui n’est pas à la portée de tous. » En passant des madrasas oranaises aux écoles catholiques françaises, Rachid Taha acquiert les rudiments de l’anticonformisme : « Les plus grands contestataires de la religion sont passés par les institutions religieuses. Prenez Nietzsche, son père enseignait la théologie ! »
Rachid Taha en six date
- 1958 Naissance à Oran, en Algérie.
- 1971 Arrivée à Sainte-Marie-aux-Mines (Alsace).
- 1986 Deuxième album du groupe Carte de séjour. Succès de la chanson « Douce France ».
- 1998 Triomphe avec l’album Diwan et la chanson Ya Rayah. Participation à 1, 2, 3 soleil avec Khaled et Faudel.
- 2006 Sortie de l’album Diwan 2.
- 2008 Son livre Rock la Casbah paraît. En Grande-Bretagne, il obtient le BBC Radio 3 Award du meilleur artiste world.
De son exil, de sa double culture, algérienne et française, il a trouvé une résonance chez Gilles Deleuze : « Ce qui m’a séduit chez Deleuze, c’est quand j’ai lu ce qu’il dit de la déterritorialisation dans L’Anti-Œdipe. Terre, territoires singuliers, une succession de multiplicités, d’agencements où surgissent des gradients d’intensité. Mes lignes de fuite à moi, c’est Oran, Sig, Sélestat, Lépanges-sur-Vologne, Lyon, Paris, Les Lilas. Et pas seulement. C’est bien sûr toutes les terres dont je me suis nourri, mais aussi toutes celles que j’ai traversées au cours de mes concerts […] Je suis le fruit de tous les vertiges auxquels je me suis frotté. » Ce n’est peut-être pas un hasard si la chanson qui l’a fait connaître, « Ya Rayah », parle de l’exil. En toute logique, Rachid Taha refuse d’être catalogué comme chanteur de raï ou rocker oriental. Il produit simplement un rock qu’il nourrit de ses influences.
Comme pour beaucoup d’immigrés, il a rencontré le racisme quotidien. Sur ce point, il a la dent dure, usant au passage d’une référence à Héraclite d’Éphèse : « Tous les chiens aboient contre ceux qu’ils ne connaissent pas. » Mais il y a aussi eu les mains tendues – et elles sont nombreuses, il peut en parler pendant des heures. En 1977, l’une d’elles le conduit à découvrir la littérature. Embauché comme VRP chez Inter-France, société spécialisée dans la vente de livres au porte-à-porte, il découvre alors Stendhal, Hugo et Zola. Surtout, en se rendant chez les gens de toutes conditions, il comprend la phrase de Paul Nizan dans Aden Arabie : « Le secret des hommes c’est que, la plupart du temps, ils s’ennuient. Et qu’ils ne demandent qu’à être distrait par le premier venu. » Là, le premier venu, c’était lui, venu vendre des livres.
Trente ans après son expérience de VRP, Rachid Taha vend à nouveau un livre, mais, cette fois-ci, il en est l’auteur. Il s’agit d’une autobiographie Rock la Casbah (Flammarion). Sans esprit de sérieux mais avec sincérité et beaucoup d’humour, il y relate son histoire, les coulisses du show-biz et fait référence pêle-mêle aux nombreux personnages qui l’ont influencé, de Jean Genet à Gilles Deleuze, en passant par Frantz Fanon, John Wayne et Jacques Derrida. À ce dernier, immigré algérien et passionné de foot comme lui, il rend hommage en le citant : « Le détour ne vient pas en chemin, il est le chemin lui-même. » Par humilité, mais aussi pour se protéger des mauvaises langues, Rachid Taha se défend d’être un intellectuel : « Je suis simplement quelqu’un de curieux. » .
Expresso : les parcours interactifs
Épicure et le bonheur
Sur le même sujet
Johnny Hallyday, Walter Benjamin et l’aura du rocker
Johnny Hallyday a été une « icône » pour des générations de Français. Comment comprendre un tel succès ? Invité du Grand soir 3 de France 3,…
Mémoire tiraillée
Indigènes. Drame historique de Rachid Bouchareb. En mettant en scène quatre combattants des colonies enrôlés en 1943 pour libérer la France, Rachid Bouchareb contribue, au-delà de l’œuvre artistique, au débat sur la politique de l…
Julien Clerc. Au charme, citoyen !
Depuis qu’il est apparu sous le soleil de la version française de Hair en 1969, ses airs ont marqué toutes les époques. “La Cavalerie”, “La Californie”, “Ce n’est rien”, “Femmes, je vous aime”, “Lili voulait aller danser”, “Cœur de…
Pierre Ducrozet : “Deleuze est un moteur pour la création”
Gilles Deleuze est l’un des philosophes qui a le plus écrit sur la littérature. En retour, il inspire nombre de romanciers. Parmi eux, Pierre…
Deleuze et le nomadisme
Les gens du voyage font partie des personnes les plus discriminées en France. Et pourtant, les injustices dont ils sont victimes font rarement l…
Le cristal temporel, de Deleuze à Google
Google a récemment annoncé avoir réussi à créer un « cristal temporel », système physique répétant incessamment la même série de…
Quand Deleuze louait l’“exquise légèreté” des taches de rousseur
Autrefois camouflées sous du fond de teint, les taches de rousseurs sont aujourd’hui le nec plus ultra de la mode. Le hashtag #fakefreckles (…
“Sur la peinture”, les cours inédits de Deleuze présentés par son éditeur
Faire lire Deleuze comme si vous l’entendiez, c’est le défi qu’a relevé David Lapoujade, professeur à Paris-1-Panthéon-Sorbonne et éditeur aux…