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Libération
Reportage

A Hesdin, chronique de la misère ordinaire

Déambulation dans la petite ville du Pas-de-Calais, au passé industriel prospère et qui compte aujourd’hui un tiers d’habitants pauvres.
par Ramsès Kefi, envoyé spécial à Hesdin
publié le 12 septembre 2018 à 20h56

La gare : un bâtiment fermé, des rails qui s’ennuient et des herbes qui se pavanent sur les voies. Une feuille de papier affichée prévient que des bus remplacent momentanément le train à Hesdin (Pas-de-Calais). Et depuis quelques mois, un camping-car - le programme s’appelle «Pamela», à l’initiative du Foyer international d’accueil et de culture (Fiac) - vient passer, au gré de son parcours hebdomadaire sur le territoire, une demi-journée sur un bout de parking. Un logement d’urgence (à Berck, à 45 minutes de là), un dossier d’aide à monter, une béquille à dépanner, un code de carte bancaire à retrouver : les travailleurs sociaux collent des rustines sur une montagne d’autres.

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Tout a l'air circulairement complexe : une solution pour tirer d'affaire un type en détresse se trouve parfois dans sa boîte mail (un document, un justificatif) qu'il ne peut ouvrir. Pas de téléphone, ni même le début d'un mot de passe. Alors, il faut patienter, dans l'urgence. Benoît, nouvelle recrue de Pamela : «On a déjà vu des offres sur le Bon Coin pour des appartements où il est stipulé que les bénéficiaires d'aides de la CAF sont acceptés. On sait ce que cela signifie : le logement sera insalubre. Mais qu'est-ce qu'on peut dire à quelqu'un qui vit dans la rue ? "N'y va pas" ?» Une BMW toute neuve passe et roule au pas devant le camion. Le taux de pauvreté à Hesdin, 2 200 habitants et quelque, est de 34,4 % selon les dernières estimations de l'Insee. Et le taux de chômage à 31,8 %.

Le centre-ville : des boutiques fermées pour une durée indéterminée et des brasseries qui pratiquent des tarifs costauds. Un site industriel jadis prospère qui ferait causer les quidams d’une traite jusqu’à Noël et des touristes anglais qui tournent en décapotable : Hesdin, à moins d’une heure de la côte d’Opale, est sacrément charmant.

Distillerie

Qu'est-ce que la pauvreté ? Ici, comme ailleurs, certains la mesurent aux bistrots. S'ils sont fermés, comme chez certains voisins, c'est synonyme de paraplégie. Et s'il reste des licences 4 sans poussière, des machines qui pissent du café et des terrasses, c'est que la vie continue. D'autres assurent que tout est plus simple depuis que les ouvriers sont en voie de disparition : soit on a de l'argent, soit on n'en a pas, ce qui visuellement, accentue les contrastes. L'antenne des Restos du cœur est située près de la médiathèque, en centre-ville. Des quadragénaires se souviennent de Hesdin la bourgeoise, quand la distillerie Ryssen, fermée au début des années 2000, donnait du boulot à des dizaines de gens. Il y avait d'autres boîtes dans le coin : une papeterie, une sucrerie. Les camions et l'argent circulaient. Et là ? Un gamin pêche dans la Canche son sac d'écolier sur le dos, des banques et des assurances prennent toute la place et Dominique, dit «Domé», artiste peintre et figure de la commune part d'un cours d'histoire : au XVIe, Charles Quint, roi de France, rasa Hesdin avant de reconstruire. Ce qui lui inspire une prédiction : «Une renaissance est donc toujours possible.» Avec d'autres, il a mis en place un projet pour exploiter les fonds de commerce à l'abandon : proposer à des artistes d'y venir en résidence ou de les louer à des prix imbattables. L'idée fait son chemin - il y a des toiles affichées dans des magasins vides. Il dit : «C'est un prétexte pour remettre de la vie et éviter de ressasser ce qui n'est plus.» Et : «La vie attire la vie…»

Bassin épuisé

La mairie : un roman, qui s'écrit sans brouillon. L'édile affilié LR, Stéphane Sieczkowski-Samier, 26 ans, a été déclaré inéligible trois ans en mai par le Conseil constitutionnel - ses comptes de campagne pour les dernières législatives ont été invalidés. En juin, il s'est fait alpaguer par la police. Il ne portait pas de casque à l'arrière d'un quad conduit par Miss France - on parle d'un politique qui cita Hitler dans un discours, trois mois après son élection. A la mairie, une élue, habitante de la ville depuis quatre décennies, s'est énervée tout rouge. Pas contre nous, mais contre les statistiques de l'Insee. «Elles font décoter nos maisons.» Elle invite à y regarder de plus près : est-ce que Hesdin a l'air pauvre ? «On peut s'y balader à minuit sans problème, contrairement à d'autres villes». Puis : «Certains disent ne pas avoir d'argent, mais ont un patrimoine et de l'argent de côté.» Et : «Si les jeunes veulent de l'emploi, ils n'ont qu'à partir ailleurs. Ceux qui viennent s'installer ici ne veulent peut-être pas travailler. Il y a bien pire ailleurs, vous n'avez qu'à aller autour…» Une pensée déroulée à haute voix la fait sourire : un McDo ne ferait pas du tout tache ici.

Autour de la ville : un bassin épuisé, où les problèmes des plus démunis sont aggravés par la distance qui les sépare des services. Et donc de l'aide. On s'est retrouvé à Fruges, à 18 kilomètres de Hesdin, en face de pompiers luttant contre un incendie ravageant le domicile d'un jeune couple. Une retraitée en route pour le déjeuner : «Ici, on les aidera s'il le faut. Mais pas tout de suite. Laissons les élus venir pour leur trouver une vraie solution. Sinon, ils diront qu'il n'y a aucun problème.» De grands projets, notamment commerciaux, sont annoncés dans ce coin-ci du Pas-de-Calais. Et des jeunes trouvent des petits contrats en intérim s'ils ont du bol et un permis de conduire.

Solidaires

A Hesdin, Benoît et sa collègue Morgane s’assoient dans le camping-car. Ni l’un ni l’autre n’ont entendu parler du «plan pauvreté» du gouvernement. Ce qu’ils en savent : la misère va de la faim aux marchands de sommeil qui font quelques coups ici, en passant par des addictions sévères - les têtes sont impossibles à déconnecter des ventres.

Vincent, lui, mime une pente qui briserait une luge en deux pour résumer les perspectives économiques. Le quadra s'occupe d'une Maison d'aide et de solidarité juste à côté de Hesdin, qui propose bouquins, denrées, vaisselles, meubles et soutien aux foyers en difficulté sur des dizaines de kilomètres. Il dit que 2 700 personnes sont inscrites dans la structure (également portée par des bénévoles) et surtout, que les subventions (de la région et de l'Union européenne) sont de moins en moins accessibles. L'épicerie solidaire, juste en face, fonctionne grâce à la collaboration avec de grandes enseignes. Celles-ci gèrent leurs stocks avec toujours plus de précision pour éviter de jeter des produits en masse. Ce qui ne fait pas les affaires de ceux qui profitaient de certains surplus. Vincent : «Sur la lutte contre la pauvreté, je crois bien que la dernière grande idée date de Coluche.»

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