Pourquoi il faut protéger (au moins) un tiers de la planète contre les humains

Pourquoi il faut protéger (au moins) un tiers de la planète contre les humains
Un bébé crocodile né à l'été 2018 au Planet Exotica, le parc animalier de Royan (MEHDI FEDOUACH / AFP)

La biodiversité, ce n'est pas juste pour faire joli, c'est aussi une clé pour la survie des générations à venir.

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La sixième extinction massive de l'histoire de la Terre a commencé. Les efforts de protection des espèces entrepris par les associations, les scientifiques et certains gouvernements, bien que méritoires, ne suffisent pas. Il serait donc temps de passer à la vitesse supérieure en protégeant les océans comme les terres émergées contre les dégâts causés par l'humanité.

C'est la position très ambitieuse (mais probablement nécessaire) que soutiennent aujourd'hui deux scientifiques dans la revue "Science". Jonathan Baillie est vice-président et dirige l'équipe scientifique de la National Geographic Society. Son collègue Ya-Ping Zhang est biologiste à l'institut de zoologie de Kunming, une division de l'Académie des sciences chinoise.

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"Quelle part de la planète devrions-nous laisser aux autres formes de vie ?" s'interrogent-ils. La question est presque rhétorique, mais "elle va aussi déterminer le destin de millions d'espèces et la santé et le bien-être des générations futures."

Laisser de la place

Le décor est posé : avec une population qui devrait atteindre les 10 milliards d'individus d'ici le milieu du siècle, une consommation en nourriture, en eau et en énergie qui devrait doubler d'ici là, les extinctions massives semblent devoir se poursuivre à un rythme accéléré.

Baillie et Zhang donnent un exemple frappant :

"Les animaux d'élevage constituent aujourd'hui 60% de la biomasse (quantité totale d'être vivants, NDLR) des mammifères, et les humains 36%. Il ne reste que 4% pour plus de 5.000 espèces de mammifères sauvages."

Pour préserver les écosystèmes, il faudrait laisser de la place aux autres espèces vivantes, animaux et plantes. Et pas qu'un peu.

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"Les niveaux actuels de protection ne se rapprochent même pas des niveaux requis," affirment les deux scientifiques. "Seulement 3,6% des océans et 14,7% des terres émergées sont protégés de manière formelle. Nombre de ces aires protégées sont des 'parcs de papier', ce qui signifie qu'ils ne sont pas gérés dans les faits, et un tiers des terres protégées sont soumises à une pression humaine intense."

Baillie et Zhang visent donc la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra à Pékin en 2020 et rassemblera les représentants des gouvernements de la planète. Ils espèrent que des objectifs ambitieux y seront fixés :

"Nous encourageons les gouvernements à fixer des objectifs minimum de 30% des océans et des terres protégées d'ici 2030, avec un accent mis sur les zones à forte biodiversité et/ou productivité, et à viser à en sécuriser 50% d'ici 2050".

"Ce sera extrêmement difficile," reconnaissent les deux scientifiques, mais c'est possible, et faire moins que cela résulterait probablement en une crise d'extinction majeure et mettrait en danger la santé et le bien-être des générations futures."

26.000 espèces en danger

Combien d'espèces animales disparaissent-elles chaque année ? Nous ne le savons pas de manière précise, car nous ne connaissons pas l'ensemble des animaux et plantes qui peuplent la planète. Celles que nous connaissons suffisent cependant à nous donner des raisons de nous alarmer.

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Certes, durant l'histoire de la planète, des espèces disparaissent, d'autres apparaissent, c'est le cycle de la vie. Mais l'humanité a précipité le déclin à grande vitesse, au moins 1.000 fois plus vite que le cycle naturel.

Un exemple, les amphibiens : ils "semblent particulièrement sensibles aux changements de l'environnement, dont les taux d'extinction atteignent jusqu'à 45.000 fois leur vitesse naturelle, expliquent les spécialistes. La plupart de ces extinctions ne sont pas enregistrées, et nous ne savons même pas quelles espèces nous perdons".

La liste rouge de l'IUCN, référence internationale, cite le chiffre de 26.000 espèces en danger d'extinction. Ce n'est malheureusement que la partie émergée de l'iceberg : sans être forcément listées comme "en danger", nombre d'espèces voient leurs populations ou leur territoire se réduire comme peau de chagrin, ce qui les place sur une pente menant droit à l'extinction, comme le démontrait une étude récente.

La biodiversité, ça sert à quoi ?

Mais pourquoi devons-nous être inquiets ? Certains pourraient logiquement penser que l'espèce dominante de la planète (nous) trouvera toujours le moyen de s'en sortir, même avec moins d'animaux et de végétaux. Après tout, ce qui compte, c'est la santé de l'économie, n'est-ce pas ? Et pourtant...

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"Il y a des arguments pratiques forts contre la perte de biodiversité, expliquent Elizabeth Boakes et David Redding, chercheurs spécialistes de l'environnement et de la biodiversité à l'University College de Londres. La variété, des gènes individuels aux espèces, donne de la résilience aux écosystèmes face au changement. En retour, les écosystèmes stabilisent la planète et fournissent des services essentiels au bien-être humain."

"Les forêts et les zones humides empêchent des polluants de contaminer nos réserves d'eau, les mangroves protègent les côtes en réduisant les pics de tempêtes, et les espaces verts dans les zones urbaines réduisent les taux de maladies mentales chez les citadins. Une perte continue de biodiversité dérangerait encore davantage ces services."

La perte de biodiversité est d'autant plus dangereuse qu'elle ne frappe pas équitablement. "L'extinction ne se produit pas au hasard dans un écosystème, mais affecte de manière disproportionnée les espèces similaires qui procurent des fonctions similaires," détaillent Boakes et Redding.

Ce qui veut dire, par exemple, qu'une perte de diversité pour un type de pollinisateur comme l'abeille va aussi toucher les autres pollinisateurs... avec les dommages que cela pourrait causer à l'ensemble des cultures qui nous nourrissent.

Protéger la biodiversité, c'est aussi protéger nos ressources agricoles (Akshay.paramatmuni1987 / Wikimedia Commons)

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24.000 milliards de dollars

"Il y a désormais suffisamment de preuves que la biodiversité en elle-même influence directement ou est fortement corrélée avec certains services d'approvisionnement et de régulation," affirmait une méta-étude de référence faisant le point sur 20 années d'études sur le sujet, publiée en 2012 dans "Nature".

"Pour l'approvisionnement, les données montrent que la diversité génétique au sein de chaque espèce accroît les récoltes commerciales, que la diversité des espèces d'arbres augmente la production de bois dans les plantations, que la diversité des espèces de plantes dans les prairies améliore la production de fourrage et qu'une diversité croissante des poissons est associée avec une plus grande stabilité des produits de la pêche."

"Pour les services de régulation, la croissance de la biodiversité des plantes augmente la résistance à l'invasion par des plantes exotiques et par des pathogènes et que les infections fongiques et virales sont moins présentes chez des plantes plus diversifiées".

Dans le même ordre d'idées, un rapport récent de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) établit un lien fort entre perte de biodiversité et les approvisionnements en eau potable et en nourriture.

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Pour l'IPBES, "la valeur économique des contributions terrestres de la nature aux humains" est estimée à plus de 24.000 milliards de dollars par an (20.540 milliards d'euros) pour les seules Amériques, et "65% de ces contributions sont en déclin, dont 21% en fort déclin."

L'organisation affirme que "le changement climatique d'origine humaine, qui affecte la température, les précipitations et la nature des événements extrêmes, entraîne de plus en plus la perte en biodiversité et la réduction de la contribution de la nature à l'humanité, empirant l'impact de la dégradation de l'habitat, de la pollution, des espèces invasives et de la surexploitation des ressources naturelles."

Jean-Paul Fritz

 
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