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Interdire le porno aux mineurs : beaucoup de pays ont essayé... sans y parvenir
De nombreux pays se sont cassé les dents en essayant de limiter la pornographie.

Interdire le porno aux mineurs : beaucoup de pays ont essayé... sans y parvenir

"Interdit aux moins de 18 ans"

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La secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a annoncé "exiger" la mise en place de filtres pour empêcher les enfants d'accéder à la pornographie sur Internet. A l'étranger, les gouvernements ayant tenté d'interdire la pornographie aux jeunes sont nombreux... et les échecs aussi.

Le porno, bientôt loin des chastes mirettes enfantines ? Marlène Schiappa l'a défini comme l'une des trois priorités que lui a fixées le Premier ministre avant les vacances d'été du gouvernement. Invitée ce dimanche 9 septembre sur France Info, la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes a déclaré "exiger" prochainement des éditeurs mettant en ligne des contenus pornographiques qu'ils mettent en place "des filtres" de manière à ce que ce contenu "ne soit plus à la libre disposition des enfants" sur Internet. La ministre n'a toutefois pas donné de calendrier, ni d'indications sur les moyens déployés. Car cette volonté affichée de lutte contre l'exposition des enfants à la pornographie n'en est qu'à ses balbutiements. Au secrétariat d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, on a indiqué regarder "évidemment ce qui est fait à l'étranger". Ailleurs, nombreux sont les gouvernements qui se sont frottés à la dure régulation de la pornographie sur Internet... sans vraiment trouver le succès.

Ainsi, le processus de "filtrage" évoqué par Marlène Schiappa se retrouve déjà au Royaume-Uni. Dans ce pays où plus de la moitié des enfants ont déjà vu un film X avant l'âge de 14 ans, un texte de loi adopté en 2017 dans le cadre du Digital Economy Act doit permettre de réguler la consommation de pornographie sur le web. D'abord annoncée pour le mois d'avril, la mesure entrera en application à la fin de l'année. Tous les sites pornos devront "vérifier de manière effective" que l'âge de leur audience est supérieur à 18 ans et bloquer l'accès à tous les autres.

Un code disponible chez votre marchand de journaux

Pour ce faire, le gouvernement n'a pas hésité à proposer une méthode assez baroque : demander aux commerces de proximité de vendre des codes de 16 chiffres donnant l'accès aux sites pornos aux personnes âgées de plus de 18 ans. Exit la confortable discrétion d'une recherche en navigation cachée sur Internet : le Royaume-Uni entend demander à ses citoyens majeurs d'acheter le précieux sésame chez leurs épiciers.

Anticipant la gêne qu'une telle demande va immanquablement provoquer, d'autres moyens de vérification sont également évoqués. Parmi eux, ceux de la société Age ID, qui entend, en collaboration avec les sites pornos, s'assurer de la majorité de ses utilisateurs. De quelle manière ? Aucun détail n'a encore été donné. Une chose est sûre : le système n'est visiblement pas encore au point, puisqu'il constitue l'une des raisons pour lesquelles la réforme, prévue pour avril 2018, a été repoussée à la fin de l'année.

Un système déjà en place en Allemagne

Ce retard constitue une victoire pour les défenseurs de la vie privée sur Internet, qui bataillent depuis des mois contre ce qu'ils considèrent être un risque de fichage des utilisateurs. Avant le début de l'année prochaine, les données personnelles des quelque 25 millions de consommateurs du Royaume-Uni pourraient en effet se retrouver entre les mains de l'industrie du porno... ou du gouvernement.

Le système est pourtant déjà en place en Allemagne depuis 2015, où une loi similaire a obligé MindGeek, la société gérant Pornhub, YouPorn ou encore Redtube à vérifier l'âge de son audience. Sans grand succès : en 2016, 49% des Allemands de 6 à 13 ans disaient avoir été exposés de manière accidentelle à du contenu pornographique.

Une taxe de 20 dollars pour regarder du porno

Pour lutter concrètement contre ce problème, les Etats-Unis ont eux tenté d'imposer de nouvelles règles. Un lobby dirigé par une personnalité controversée répondant au nom de Chris Sevier (il est notoirement homophobe et a récemment tenté d'épouser son ordinateur), cherche à restreindre l'accès à la pornographie. Plusieurs projets de loi ont ainsi fleuri dans divers Etats, demandant à ce que les utilisateurs puissent payer 20 dollars pour avoir accès à leur porno.

Avec plus ou moins de succès : à Rhode Island, devant la polémique causée par la personnalité de Chris Sevier, le projet de loi n'est pas allé bien loin : il est aujourd'hui au point mort, sommeillant dans les limbes législatives du parlement. En Caroline du Sud, le texte, introduit en janvier 2017, est toujours en cours d'examen. Il propose aussi qu'un internaute débourse 20 dollars pour accéder à des vidéos porno. Au Texas, où un texte similaire a été présenté en janvier 2018, ce dernier est toujours en train d'être débattu. Les défenseurs de la liberté sur Internet ont aussitôt émis des doutes sur l'intérêt d'un tel texte, craignant que sa portée ne soit trop grande et que des vidéos concernant l'éducation sexuelle ou du contenu LGBT ne soit sanctionnées dans les faits.

Le contrôle parental dans les écoles et les bibliothèques

Les Etats-Unis sont pourtant rompus à l'exercice : les premières tentatives de restriction de la pornographie ont émergé quasiment en même temps qu'Internet, en 1995. A l'époque, Washington adopte une loi, la Communications Decency Act. Cette dernière, paraphée par Bill Clinton, entend prohiber la diffusion par Internet de contenus à caractère sexuel aux mineurs. Mais, au nom de la liberté d'expression, elle est finalement invalidée en partie par la Cour suprême deux ans plus tard. En guise de consolation, Clinton verra tout de même appliquer deux lois en 2000, permettant de restreindre l'accès à la pornographie dans les écoles et les lieux publics. Depuis une vingtaine d'années, les bibliothèques et les milieux scolaires sont tenus d'installer un contrôle parental performant pour préserver leurs jeunes élèves.

L'avènement d'Internet s'est accompagné d'une constatation amère pour la plupart des démocraties : il est quasiment impossible de légiférer sur le contenu pornographique sans risquer d'être soupçonné de vouloir empiéter sur les libertés individuelles. En 2013, l'Islande a dû abandonner son ambition d'interdire la totalité de la pornographie en ligne. Plus récemment, en 2015, l'Inde, qui avait tenté de bloquer 850 sites pornographiques jugés "répréhensibles", a elle aussi été contrainte de faire machine arrière.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne