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Un Mooc genevois pour démonter le lien entre violences et religions

Le dernier-né des cours en ligne proposés par l’Université de Genève explore le lien entre les grandes religions du bassin méditerranéen et le politique. En français et en arabe

Un matin devant la porte du Louvre. La nuit de la Saint-Barthélemy, vue par Edouard Debat-Ponsan (1847-1913) — © Wikimedia
Un matin devant la porte du Louvre. La nuit de la Saint-Barthélemy, vue par Edouard Debat-Ponsan (1847-1913) — © Wikimedia

Pour marquer les esprits, on pourrait choisir une comparaison choc, comme «Les attentats du 11-Septembre ont fait 3000 morts, quand la Nuit de la Saint-Barthélemy à Paris en 1572, suivie de ses répliques à Lyon, Orléans et ailleurs en France, en a fait au moins trois fois plus, dans un pays bien moins peuplé que les Etats-Unis d’aujourd’hui». Ces informations sont justes – on mesure mal la violence des guerres de religion du XVIe siècle.

Mais se limiter à une bataille de chiffres ne rendrait pas justice au dernier Mooc (Massive open online course) de l’Université de Genève, intitulé Violences et religions, qui, tout en nuances et en analyses, ambitionne «de comprendre la part du religieux dans les argumentaires qui promeuvent ou condamnent la violence, dans une perspective comparatiste et historique», selon les mots de son concepteur Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à la Faculté de théologie.

Donner des clés d’interprétation, des instruments pour réfléchir

«Une religion en tant que telle n’existe pas, il y a des adeptes d’une religion à un certain moment, certains penseurs qui disent certaines choses.» Savez-vous que le terme de religion n’existe d’ailleurs pas en grec, ni en hébreu? Et sus au présentisme, qui met l’accent sur le moment actuel: un des buts de l’université est bien de donner des clés d’interprétation, des éléments de contexte, des instruments pour réfléchir, ici, grâce à l’histoire comparative. L’objectif du Mooc est de déconstruire les idées reçues du type «les religions monothéistes exacerbent la violence», ou «l’islam est intrinsèquement violent», en proposant des analyses critiques et en profondeur des grands textes religieux du bassin méditerranéen, grâce à la participation de 25 experts venant de Genève ou de Lausanne, mais aussi des universités de Paris, Montréal, ou Agadir.

Le cours organisé sur six semaines comprend environ 60 séquences vidéo d’une dizaine de minutes chacune, enregistrées de Genève à Jérusalem, dont 90% en français. Il est entièrement sous-titré en arabe, c’est d’ailleurs le premier Mooc de la plateforme Coursera, leader du secteur, qui soit bilingue sans que l’anglais soit l’une des deux langues.

Si on avait publié ce Mooc en 1525, c’est dans le christianisme qu’on aurait dénoncé le fanatisme religieux

Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève

L’histoire religieuse n’est pas linéaire, mais «on peut y identifier un invariant, le rôle que jouent les éléments apocalyptiques, qu’on retrouve dans les grands textes des croisades, des guerres de religion du XVIe comme dans l’idéologie de Daesh», remarque Michel Grandjean. Quand la fin du monde est pour demain, plus besoin de faire dans le détail. Celui qui se dit envoyé par Dieu va entreprendre de régler définitivement le problème du mal en tuant tous les méchants et les incroyants. «Il faut percevoir ce mécanisme anthropologique pour pouvoir le déconstruire.»

Le plaidoyer inaudible du réformateur humaniste Sébastien Castellion

«A chaque fois que le politique entre en jeu, le religieux court le risque de se faire instrumentaliser, et tous les ingrédients sont alors sur la table pour que la violence se déchaîne. C’est quand elles deviennent majoritaires que les religions tendent à se faire intolérantes, quand on a le pied sur l’autre, on supporte plus volontiers l’injustice que quand on en est victime.» Au fil des séquences, le cours rappelle comment les Saxons ont eu sous Charlemagne à choisir entre le baptême ou la mort; il explore l’ambiguïté d’un Bernard de Clairvaux, qui, dans l’un de ses écrits, exonère les croisés qui tuent, car ce sont des méchants qu’ils égorgent, et que «Dieu le veut», une déshumanisation pas si éloignée des extrémistes de Daesh aujourd’hui.

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«Si on avait publié ce Mooc en 1525, c’est dans le christianisme qu’on aurait dénoncé le fanatisme religieux», constate l’historien. Ce que le cours met en valeur, c’est en creux la liberté de conscience, meilleur rempart contre la violence religieuse. «Le réformateur humaniste Sébastien Castellion, qui s’est opposé à Calvin, prêchait pour la liberté de conscience: ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse, laissez l’autre libre d’être ce qu’il veut être. Son plaidoyer était inaudible, mais si on l’avait écouté, on aurait évité des centaines de milliers de morts. C’est aussi la nouveauté du discours de Spinoza: tant que la pratique religieuse ne met pas l’Etat en danger, il faut laisser les gens libres de la suivre. Plus près de nous, cela a été le combat de réformistes musulmans comme Yadh Ben Achour, grâce auquel la Constitution tunisienne établit désormais la liberté de conscience.» L’apprentissage du discours critique, un défi pour aujourd’hui.

Violences et religions, un Mooc de l’Université de Genève, en ligne à partir du 17 septembre sur le site Coursera