POLITIQUE - C'était indiscutablement la cerise sur le gâteau. Alors que la plupart des mesures du plan pauvreté dévoilé ce jeudi 13 septembre avait fuité depuis plusieurs jours, Emmanuel Macron s'est réservé un effet de surprise en promettant d'instaurer un "revenu universel d'activité". Revenu universel? L'expression a immédiatement interpellé l'assistance au musée de l'Homme, évoquant d'emblée les débats passionnés qui avaient accompagné cette promesse emblématique de Benoît Hamon pendant sa campagne présidentielle.
L'ancien ministre socialiste a d'ailleurs lui-même accusé ce jeudi Emmanuel Macron de "singer" la mesure phare de son programme de 2017. "Il y a une volonté de récupérer, singer une proposition qui est déjà faite", a dénoncé auprès de l'AFP le fondateur du mouvement Génération.s, qui se félicite cependant que "ce qui faisait ricaner s'impose dans le débat public". "Le président de la République est venu piocher dans mon programme une référence indiscutable dans la lutte contre la pauvreté", a-t-il ajouté.
Les soutiens du chef de l'Etat, comme ses détracteurs, n'y ont vu que du feu. Le député LR Eric Ciotti s'est empressé de dénoncer une "démagogie irresponsable". "Le revenu universel d'activité revient à payer tout le monde à ne rien faire. Hamon en rêvait, Macron l'a fait!", s'est emballé ce proche de Laurent Wauquiez.
"Coucou le PS! Coucou Benoît!", a ironisé de son côté la députée LREM Anne-Christine Lang, ancienne élue socialiste.
Deux projets aux finalités opposées
Les deux projets sont-ils pour autant comparables? Ce jeudi, Emmanuel Macron a promis "une loi en 2020" pour créer "un revenu universel d'activité qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations et dont l'État sera entièrement responsable". Simplification du "maquis des aides sociales" avec, peut-être, à la clé une automatisation de leur versement, la proposition colle en partie à ce que préconisait l'ancien candidat du Parti socialiste qui ne cesse de rappeler qu'aujourd'hui, 30% des personnes pouvant prétendre au RSA ne le font pas.
Mais contrairement à ce que prévoyait Benoît Hamon, l'objectif d'Emmanuel Macron n'est pas d'instaurer, même dans un futur éloigné, un revenu inconditionnel à tout le monde dès sa majorité. Là où le chef de file du parti Génération.s envisageait à terme "la généralisation du revenu universel d'existence à tous et son augmentation de 600 à 750 euros", le président de la République ne vise qu'à promouvoir une allocation unique et délivrée sous condition. "C'est un RSA conditionnel, le président a beaucoup insisté sur les contreparties", a relevé Benoît Hamon ce jeudi.
"Je n'ai jamais cru à un revenu universel sans condition qui croit pouvoir donner quelques centaines d'euros pour solde de tout compte", a assumé Emmanuel Macron pour mieux se démarquer de son ancien rival socialiste. Fruit d'une fusion du plus grand nombre de prestations sociales possibles (comme le RSA, les aides au logement), son revenu universel d'activité sera soumis à des conditions de ressources et à "des droits et des devoirs supplémentaires", comme l'obligation de s'inscrire dans un parcours de réinsertion, de se former ou l'interdiction de refuser deux offres d'emplois dîtes "raisonnables".
"Il faut que ce revenu universel incite au retour à l'emploi", a confirmé la ministre Agnès Buzyn, en estimant que "les aides monétaires ne peuvent être le solde de tout compte de la solidarité".
Si le projet de revenu universel de Benoît Hamon a quelque peu évolué tout au long de la campagne présidentielle, sa conditionnalité n'a, elle, jamais été une option. Dans un premier temps, le programme présidentiel du vainqueur de la primaire socialiste prévoyait une hausse de 10% du RSA et son versement automatique à tous les ayant-droits. Parallèlement, Benoît Hamon envisageait le versement d'un revenu d'existence à tous les jeunes de 18 à 25 ans "quel que soit leur niveau de ressource". Une philosophie aux antipodes de celle développée par Emmanuel Macron, hostile au principe de verser des allocations sans contrepartie en matière de retour à l'emploi.
La difficulté de l'allocation unique
En privilégiant un revenu qui n'a plus grand chose d'universel, Emmanuel Macron retient donc l'option d'une allocation unique délivrée sous condition. Scénario qui, s'il parait beaucoup plus simple à mettre en place que le revenu de base rêvé par les libertariens, pourrait toutefois dissimuler de très sérieuses difficultés.
En août dernier, Le Monde avait eu accès à un rapport commandé par Matignon à France Stratégie étudiant l'hypothèse d'une telle fusion des minima sociaux. Revenu de solidarité active (RSA), allocation de solidarité spécifique (ASS), prime d'activité, aides au logement (AL), allocation adulte handicapé (AHH), allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse), allocation supplémentaire d'invalidité (ASI)... En intégrant toutes ces aides sociales dans une seule allocation sociale unique (ASU), l'étude démontrait que la bascule entraînait une diminution, voire une disparition, de revenus pour 3,55 millions de ménages tandis que 3,3 millions de foyers voyaient leurs ressources augmenter. Un ratio perdants-gagnants manifestement déséquilibré.
Faut-il voir dans les conclusions de ce rapport l'origine de la très grande prudence d'Emmanuel Macron? Tout en exposant le cadre de son revenu universel d'activité, le chef de l'Etat s'est gardé de préciser si toutes les aides sociales seraient fusionnées à terme.
"Le socle minimal sur lequel nous travaillons inclut le RSA (revenu de solidarité active), l'APL (aide personnalisée au logement) et la prime d'activité", a précisé la ministre des Affaires sociales Agnès Buzyn en promettant de "prendre le temps" de la réflexion sur cette "réforme de grande ampleur". Tout en jurant que le revenu universel version Macron ne sera pas l'arbre qui cache la forêt d'une réduction des aides sociales.
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