(photo d'illustration)

Loin de couler de source, une "théorie" encore jamais étayée. (Photo d'illustration)

Getty Images/iStockphoto

Les humains que nous sommes avons toujours eu le plus grand mal à renoncer aux croyances apparemment frappées au coin du bon sens. Prenez Aristote. Dès le Ve siècle avant notre ère, il apporte des preuves que la terre est ronde. Ce qui n'empêche pas près de 10 % des Français de croire aujourd'hui encore le contraire*. Il en va peu ou prou de même avec la fumeuse "théorie du ruissellement", objet de fascination pour les internautes, à en juger par les quelque 120 000 occurrences trouvées sur Google. En comparaison, le keynésianisme, école de pensée dûment documentée par la science économique, fait presque moitié moins bien...

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L'idée du "ruissellement", revenue dans l'actualité l'an passé après la décision du gouvernement Macron de supprimer en partie l'impôt sur la fortune (ISF) - ce qui lui vaut, depuis, le stigmate de "président des riches" -, repose sur un postulat séduisant : une réduction de la taxation des plus aisés profite à toute la population et, in fine, aux plus pauvres. Les bénéficiaires sont censés réinjecter leur surplus de revenus dans l'économie grâce à l'accroissement de leur consommation et le recyclage de leur épargne dans l'investissement.

Las, rappelle le professeur de sciences économiques et sociales Arnaud Parienty dans son dernier ouvrage, Le mythe de la 'théorie du ruissellement" (La Découverte), on n'observe "aucun mécanisme automatique de déversement des revenus supplémentaires vers les plus défavorisés". L'auteur cite l'exemple des Etats-Unis, où la croissance du niveau de vie depuis la crise de 2008 a bénéficié au 1 % le plus riche de la population. En clair, supprimer un impôt dans l'espoir de voir les revenus économisés servir au plus grand nombre est parfaitement aléatoire.

Hausse des inégalités

Parienty se livre à une analyse précise de ce préjugé du "ruissellement", qui n'a de théorie que le nom, aucune publication scientifique ne venant l'étayer. Il convoque plusieurs études à charge, dont celle de l'économiste Thomas Piketty concernant l'impôt sur le revenu : "Une diminution du taux d'imposition de cinq points entraîne en général une hausse des hauts revenus fiscaux comprise entre 0,8 % et 1,6 % seulement, résume Arnaud Parienty. Autrement dit, la réponse à la baisse des impôts est assez faible." Miserait-on sur d'éventuelles retombées positives sur le long terme, le court terme, lui, est assombri par la hausse des inégalités subséquente. Avec, en bonus, une baisse de la consommation et une hausse de l'instabilité sociale.

On trouve pourtant les germes de cette fausse bonne idée dès le XVIIIe siècle. Dans son célébrissime traité La richesse des nations, Adam Smith estime les patrons naturellement portés à embaucher à mesure que s'arrondit leur chiffre d'affaires. L'expression "ruissellement" - "trickle-down"- n'apparaît, elle, qu'en 1932, dans la bouche d'un humoriste de gauche persifleur. Elle sera reprise, au premier degré, par les néo-libéraux américains de l'école de Chicago dans les années 1980 afin de justifier la diminution de l'imposition des plus riches et des grandes entreprises décidée par Reagan.

Revenant à l'Hexagone, Arnaud Parienty n'hésite pas à voir dans la quasi suppression de l'ISF et la baisse de l'imposition sur les revenus du capital voulues par Emmanuel Macron le retour "masqué" de ce raisonnement de l'école de Chicago, quand bien même le président assurerait "ne pas [croire] au ruissellement". Ici, sa démonstration se fait moins convaincante. Car utiliser l'outil fiscal dans l'espoir de stimuler la prise de risque et l'innovation des particuliers ou des entreprises n'a, en soi, rien d'une aberration. Sauf à soupçonner les acteurs privés d'être beaucoup moins portés que l'Etat à investir dans le progrès social...

Le mythe de la "théorie du ruissellement", La Découverte, 150 p. 11 euros.

* Sondage Ifop de décembre 2017 pour la fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch.

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