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Climat

La France est très en retard sur ses objectifs Climat et Economies d’énergie

En août 2015, la France s’engageait sur des objectifs ambitieux de réduction de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie. Elle prétendait montrer l’exemple. Trois ans plus tard, elle est loin de les atteindre, constate le tout nouvel Observatoire climat-énergie.

En 2017, nous avons émis en France 6,7 % de gaz à effet de serre de plus que prévu, et consommé 4,4 % d’énergie de plus que programmé. Dans le détail, le secteur du bâtiment est le plus mauvais élève avec un dépassement de 22,7 % de l’objectif fixé, suivi par celui des transports, qui augmente tranquillement ses émissions au lieu de les diminuer, et grimpe à 10,6 % au-dessus de la trajectoire de sobriété fixée par l’État. Seule l’industrie présente un bon bulletin, elle a rejeté 0,8 % de CO2 en moins que prévu en 2017.

Ces chiffres, officiels, publics, étaient jusqu’ici peu faciles d’accès, manipulés surtout par les experts. Pour que tout un chacun, citoyen comme responsable politique, puisse mesurer l’avancement de la politique climat et énergie de la France, les ONG Réseau action climat (RAC) et Cler (Réseau pour la transition énergétique) ont décidé de les regrouper dans une présentation pédagogique, en ligne, au sein de l’Observatoire climat-énergie, présenté jeudi 13 septembre.

« On voulait voir si l’on tient nos objectifs, trois ans après l’adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte », explique Anne Bringault, coordinatrice des deux ONG sur les sujets climat et énergie. Le texte fixait pour la première fois des objectifs ambitieux : division par 4 des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 (par rapport à 1990), division par deux de la consommation d’énergie en 2050 (par rapport à 2012), moins 30 % d’énergies fossiles d’ici 2030, etc.

L’observatoire permet donc de comparer les chiffres réels avec la trajectoire dessinée par ces objectifs. Afin de garantir le sérieux et la neutralité des données, les deux ONG ont demandé à un comité de pilotage d’accompagner le développement de l’observatoire, réunissant des représentants de l’administration, des entreprises et du monde de la recherche.

Par ailleurs, « le site ne permet pas les commentaires, qui sont faits en dehors de l’Observatoire par les différents acteurs », indique Anne Bringault. Et le RAC ne s’en prive pas, qui juge ces chiffres « préoccupants : sur 9 indicateurs du tableau de bord, 8 sont dans le rouge. » « Quand on frôle les 3 % de déficit, le gouvernement est aux abois. Cela devrait être la même chose quand on dépasse notre budget carbone de plus de 6 % ! » regrette Anne Bringault. « 6,7 % d’émissions de plus que prévu, c’est beaucoup, car cela se cumule, et chaque année la dette grossit », avertit aussi Andreas Rüdinger, chercheur associé à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), membre du comité de pilotage.

« Constater l’écart entre ce que l’on fait et ce qu’il faudrait faire »

« Une spécificité française, c’est de se donner de beaux objectifs sans mettre avec les moyens pour les atteindre, commente également Matthieu Orphelin, député LREM et soutien de cet Observatoire. Mais on ne peut pas se contenter de beaux discours. »

Il espère que l’outil sera approprié par les responsables politiques, et ses collègues députés : « Cet observatoire permet de constater l’écart entre ce que l’on fait et ce qu’il faudrait faire, car la grande majorité des politiques n’en ont pas conscience. Et il ne faut pas faire un peu plus, mais beaucoup plus. » « Cette présentation permet aux politiques de s’inscrire dans le long terme », se félicite de son côté Hervé Lefebvre, chef du service climat à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), et représentant de son agence au comité de pilotage.

L’examen des indicateurs dans le détail permet de déceler quelques pistes d’explication à ce dérapage. Ainsi, pour les transports, on remarque que les déplacements ont globalement augmenté plus que prévu, mais aussi que le transport routier de marchandises poursuit sa croissance au détriment du fluvial et du ferroviaire. La consommation de pétrole a également crû. Est-ce que l’utilisation de la voiture a augmenté ?

Pour le secteur du bâtiment, l’explication à l’écart de 22,7 % n’est pas non plus évidente. « Les objectifs sont très ambitieux, cela peut expliquer l’écart. Mais, c’est aussi parce qu’on n’a pas changé de braquet sur le volume des rénovations », indique Anne Bringault.

Matthieu Orphelin y voit une occasion de peser lors des discussions du projet de loi de finances : « Maintenant que l’on sait qu’on a un retard de 22 % sur le bâtiment, on ne va pas regarder de la même façon la proposition de budget du gouvernement sur ces sujets-là. »

Demander au gouvernement de rendre des comptes

C’est tout l’enjeu : comment évaluer, pour ensuite réorienter les politiques publiques en fonction ? Andreas Rüdinger voit, sur ce sujet-là, le fonctionnement du Royaume-Uni comme un modèle. Le chercheur a étudié le Comité pour le changement climatique, créé outre-Manche par une loi de 2008. « C’est un comité indépendant d’experts, explique-t-il, qui bénéficie d’un budget de 4 millions d’euros et d’un secrétariat de 30 personnes, afin de faire un suivi du budget carbone du pays et un rapport annuel. Sur cette base, le Parlement convoque le gouvernement et lui demande des comptes. En France, il faut renforcer ces deux volets de l’expertise et du contrôle parlementaire. »

Un message entendu par Matthieu Orphelin, qui assure que les députés s’organisent afin de renforcer le contrôle de l’action du gouvernement. « Mais il nous faut aussi plus de moyens d’expertise, car il y a une forte asymétrie par rapport au gouvernement. Quand on propose quelque chose, on nous fait presque à chaque fois le coup classique de la note de Bercy, qui explique que ce n’est pas possible parce que cela a telle ou telle incidence. »

Au-delà, ses concepteurs espèrent aussi que le grand public saura s’approprier l’Observatoire. Ce dernier devrait s’enrichir et évoluer, avec plus d’indicateurs l’année prochaine, et peut-être des comparaisons avec nos voisins européens ou des déclinaisons régionales.

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