"Chinatown" à Dakar

Au coeur de la capitale sénégalaise, des commerçants chinois ont pignon sur rue sur l'une des plus grandes avenues du pays dont ils ont complètement changé l'architecture. Leur présence est diversement appréciée. Visite guidée.

Il est 13 heures sur le Boulevard Général De Gaulle de Dakar communément appelé « Les Allées du Centenaire ». Le soleil darde ses rayons sur cette grande avenue qui aurait pu être rebaptisée Boulevard Mao Tsé Toung car elle prend des allures de « Little China » au cœur de la capitale sénégalaise.

Des deux côtés de l’avenue, plusieurs Chinois ont pignon sur rue. Ils vendent des habits, des chaussures, des sacs, des breloques, des articles de sport etc. Difficiles d’abord, ils sont méfiants dès que le mot journaliste est prononcé. Dans ce milieu, la loi du silence semble être la règle : « l’argent n’aime pas le bruit ».

Les premiers commerçants chinois ont débarqué au Sénégal en 2002. Dès leur arrivée, ils ont pris d’assaut cette grande artère dont ils ont complètement modifié l’aspect en achetant des maisons transformées en cantines. Ce qui a lourdement défiguré ce quartier jadis résidentiel en marché.

Ma Lee, la doyenne

Ma Lee, commerçante chinoise

Mme Lee est l’une des doyennes des commerçants chinois basés à Dakar. Communément appelé Ma, elle fait partie des huit premiers arrivés au Sénégal en 2002. Après seize ans passés au « Pays de la Teranga », elle s’exprime dans un wolof mêlant mot chinois et français.

Nostalgique, elle explique que les affaires se portaient mieux au début.

« Il n’y a plus d’argent. Au début nous n’étions pas nombreux et le business était florissant. Nous étions huit. Quatre magasins à Petersen et quatre à Centenaire. Maintenant, il y a trop de Chinois à Dakar et la concurrence est rude. Nous gagnons peu. Nous souhaitons qu’en Chine les prix des marchandises baissent pour que l’on puisse mieux s’en sortir. Il y a trop de frais »

Insécurité

Yian et son employé sénégalais Modou

Contrairement à la doyenne Mme Lee, Yian est arrivé au Sénégal il y a dix ans. Il gère une boutique de vente de chaussures et emploie deux Sénégalais.

Ce Chinois s’exprime en wolof pour les besoins de son commerce. Devant sa boutique, des marchands ambulants sénégalais ont installé leurs étals. Ils louent la générosité de Yian qu'ils appellent affectueusement Niang, un patronyme sénégalais.

Yian regrette le manque de sécurité et déplore les vols récurrents dont les Chinois sont victimes.

Nos marchandises sont souvent volées. Ce qui nous porte préjudice et dans la plupart des cas les enquêtes n'aboutissent pas. Nous aimerions que la sécurité soit renforcée.

Yian dit Niang

Vie communautaire

Mong Wang devant sa boutique

Ces Chinois installés depuis des années au Sénégal ont pourtant gardé les habitudes de l'Empire du milieu.

Ils vivent au Sénégal mais l'essentiel des produits qu'ils consomment provient de leur pays.

Trouvé en train de manger du riz cantonnais, Mong Chang, appelé Moussa par ses voisins sénégalais du fait de la difficulté à prononcer son nom, indique qu'il ne peut pas s'habituer à la nourriture locale. Il préfère les soupes et les plats chinois qu'il prépare lui-même.

Sur le plan des relations amoureuses, il soutient qu'il n'y a pas de mariages mixtes entre eux et la population locale. Il n'est pas marié mais sa copine est chinoise et commerçante comme lui. Elle travaille à Petersen, un autre haut-lieu du commerce chinois à Dakar

Avantages

Ibrahima Bèye, commerçant sénégalais

La présence chinoise au Sénégal a longtemps été dénoncée par des associations de commerçants comme l'Unacois. Mais Ibrahima Bèye, un commerçant originaire de Touba qui s'approvisionne chez les Chinois des "Allées du Centenaires" y trouve son compte.

Il sillonne les marchés hebdomadaires des régions de Tambacounda (Est) et Kolda (Sud Est) pour revendre les produits achetés chez les Chinois.

Rencontré chez Ma Lee, il se réjouit de l'arrivée des Chinois et salue leur apport à l'économie informelle.

A ses yeux, le développement requiert l'ouverture et l'arrivée des Chinois a permis de lutter contre le chômage et la délinquance.

Je travaille avec les Chinois depuis plus de dix ans. J'ai développé mon commerce avec eux et je remercie Dieu les affaires marchent bien.

Ibrahima Bèye, commerçant sénégalais

Pour lui, les chinois ont contribué à developper le secteur du commerce informel et à créer des emplois. Il souhaite que les Chinois puissent rester au Sénégal, car, selon lui, leur présence n'est que bénéfice.

J'ai beaucoup d'amis chinois. Ce sont vraiment des gens bien. Ils ont une grande variété de produits. Ils permettent aux petites bourses de pouvoir s'habiller à moindre frais

Fallou Wagne, un ancien élève, a abandonné les études à la mort de son père pour se consacrer au commerce. Depuis 2012, ce jeune homme originaire de Bambey, une ville de la région de Diourbel, travaille avec les Chinois.

Il revend les produits chinois dans des régions reculées du Sénégal et même au Mali.

Les Chinois nous ont beaucoup aidés à entreprendre. Ils ont fait reculer le chômage et permettent à des jeunes d'avoir des perspectives d'avenir. Je ne comprends pas ceux qui les critiquent. Les Chinois ont apporté plus d'avantages que d'inconvénients.

Fallou Wagne, commerçant sénégalais

En plus des avantages listés par les revendeurs, les Chinois contribuent à la création d'emplois.

Ma Lee emploie trois Sénégalais payés entre 75 000 et 100 000 francs CFA.

Asse Kébé, l'un de ses employés, apprécie la collaboration avec sa patronne.

Ils font facilement confiance à leurs employés. Le travail n'est pas difficile. Nous sommes l'interface entre le patron et les clients. Y a beaucoup de revendeurs qui ont commencé comme employé dans les boutiques de Chinois. Ce sont des gens généreux et facile à vivre.

Inconvénients

Saliou Pène dans son atelier de cordonnerie

Malgré les nombreux avantages cités par des acteurs, la présence des Chinois n’est pas sans inconvénients.

A quelques encablures du Boulevard Général De Gaulle, à la rue 11 de la Médina, Saliou Pène a son atelier.

Il est cordonnier depuis 1991. L'arrivée des chinois en 2002 a bouleversé son travail. Il dénonce violemment l'irruption de la marchandise chinoise au Sénégal.

Les Chinois nous portent
vraiment préjudice. Ils peuvent produire plus rapidement que nous. Ils nous ont fait du tort. Beaucoup de cordonniers ont abandonné le métier. Certains sont devenus marchands ambulants, d'autres ont émigré et beaucoup sont rentrés dans leurs villages pour s'adonner à l'agriculture. Avant nous gagnions bien notre vie mais avec les Chinois c’est devenu difficile.

Saliou Pène, cordonnier

Cet artisan appelle le gouvernement à réguler le secteur pour éviter que les Chinois ne déversent de la pacotille sur le marché.

Son voisin Ibrahima Thiam n'est pas du même avis. Selon lui, les Chinois n'ont pas détruit leur métier. Ils les ont poussés à s'améliorer et à innover.

Les Chinois ne peuvent pas être nos concurrents. Nous avons des articles de meilleure qualité. Si un cordonnier fait bien son travail, le Chinois ne peut pas lui prendre ses clients.

Ibrahima pense que l'arrivée des Chinois a facilité leur travail car ils ont amené des outils et des matières premières qui aident à alléger les charges du cordonnier.

Le matériel que le Chinois amène comme la toile, le cuir et les outils de travail nous servent beaucoup. Ils ont réduit les coûts et cela nous permet de faire plus de bénéfices.

Ibrahima Thiam, cordonnier
Même s’ils ont défiguré une des plus belles avenues du Sénégal, les Chinois contribuent à la vitalité de l’économie informelle du pays, selon les acteurs du secteur.