Un bénévole de Pilotes Volontaires scrute l'horizon à la recherche de migrants en détresse. Crédits : @PVolontaires/Twitter
Un bénévole de Pilotes Volontaires scrute l'horizon à la recherche de migrants en détresse. Crédits : @PVolontaires/Twitter

Lorsqu’une embarcation en détresse est repérée en mer par avion, les migrants doivent attendre au péril de leur vie, parfois pendant des heures, avant d’être secourus. Et ce, même si les secours ont été prévenus.

L’attente a duré au moins huit heures, peut-être plus. Un bateau pneumatique en détresse avec une centaine de migrants à son bord a dû tenir de longues heures, dimanche 16 septembre, entre le moment où l’alerte a été donnée et celui où ils ont été secourus.

Ce sont les pilotes bénévoles de l’avion humanitaire Colibri qui ont aperçu l’embarcation en détresse. “Nous avons informé le MRCC de Rome, mais ils nous ont renvoyés vers les autorités libyennes, qui, eux, ne nous répondent pas", écrivaient-ils dimanche en début d’après-midi sur Twitter. "Nous ne savons pas quand ces personnes seront secourues”. 

Depuis la mi-juin, les opérations de sauvetage dans la zone de détresse de la Méditerranée, appelée "SAR zone", ne sont plus gérées par le MRCC italien, sorte de tour de contrôle maritime chargée de coordonner les actions de secours en mer. Ces missions sont désormais gérées par Tripoli. 

“Six heures ont passé depuis que nous avons repéré ce bateau et toujours aucune action n’a été prise", écrivent en fin de journée les pilotes du Colibri, également fondateurs de l'association Pilotes volontaires. "Nous avons envoyé un MAYDAY RELAY et contacté les navires les plus proches de la zone”, ont-ils indiqué avant de se résoudre à faire demi-tour, faute de carburant.

Ce n’est que trois heures plus tard, en début de soirée, que les deux pilotes reçoivent enfin des informations assurant que les migrants ont été pris en charge par les garde-côtes libyens. Il leur aura fallu une dizaine d’échanges tout au long de la journée pour que l’opération de sauvetage soit finalement déclenchée, ont expliqué les pilotes bénévoles à InfoMigrants. “Les rescapés ont été ramenés en Libye qui n’est pas un lieu sûr pour les personnes ces personnes qui fuient”, déplorent-ils.

Des garde-côtes libyens presque injoignables pour les ONG

Depuis le début de l'été, donc, et sur décision européenne, les garde-côtes libyens sont en effet responsables de la gestion des secours des migrants dans les eaux internationales au large de leur littoral. C’était auparavant les autorités italiennes qui coordonnaient la zone de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Les migrants secourus étaient ainsi débarqués en Italie. Or, depuis 2018, le gouvernement de la péninsule a fortement durci sa politique migratoire allant jusqu’à interdire aux navires humanitaires ou marchands ayant porté secours à des migrants en mer d’accoster sur le sol italien. 

Les ONG, elles, sont sceptiques à l'égard des garde-côtes libyens. Elles refusent aussi que les rescapés soient ramenés en Libye, le pays ne pouvant pas offrir un port sûr comme le prévoient les conventions maritimes internationales.

>> À (re)lire sur InfoMigrants :  Sauvetages en mer : "Aujourd’hui, le risque pour les migrants d’être ramenés en Libye n’a jamais été aussi grand"

Conséquence de cet imbroglio : aucune ONG ne patrouille actuellement dans les eaux internationales au large de la Libye. Et les opérations de secours prennent de longues heures avant d’être déclenchées. “Nous, notre premier réflexe, c’est de contacter le MRCC de Rome car, même s’ils ne sont pas officiellement en charge de la zone, nous avons beaucoup de difficultés à contacter les autorités libyennes, ils ne répondent pas. Ce n’est pas un reproche, nous savons bien qu’au vu de la situation qui prévaut en ce moment en Libye, organiser des opérations de secours en mer n’est pas la priorité”, confie un bénévole (souhaitant garder l’anonymat) de Pilotes volontaires, joint par InfoMigrants.

"1 personne sur 18" tentant la traversée meurt ou disparaît en mer

Pendant ce temps, le taux de mortalité sur la route migratoire de la Méditerranée centrale est en forte hausse depuis le début de l’année :  "1 personne sur 18" tentant la traversée meurt ou disparaît en mer, selon le Haut-commissariat pour les réfugiés des Nations Unies. Pourtant, les départs de migrants sont à leur niveau le plus bas en quatre ans.

“Ce ne sont ni les MRCC, ni les navires marchands [qui viendraient en aide] que nous voulons blâmer, même s'ils déclinent nos appels de détresse. Nous imaginons bien que les personnes qui y travaillent, en bons marins, souhaitent pouvoir sauver des vies”, continue le pilote bénévole. “Notre demande est que soit mis en place un cadre d'intervention clair qui garantisse le strict respect des différentes conventions internationales. Que les bateaux des ONG puissent intervenir sereinement, sans avoir à se demander s’ils vont devoir errer des jours et des jours avant de pouvoir débarquer les naufragés secourus. [...] Idem pour les bateaux marchands : ils doivent recevoir la garantie que tout sera mis en œuvre pour faciliter le débarquement des naufragés afin qu'ils puissent reprendre la mer au plus vite”, explique le pilote qui demande aux dirigeants européens de se placer “du bon côté de l’Histoire”.

Depuis début août, et en prenant en compte une interruption pour maintenance d’environ 15 jours, l'organisme Pilotes volontaires a repéré une dizaine d’embarcations de migrants en détresse sur la route migratoire de la Méditerranée centrale. Après une longue escale technique à Marseille, le navire humanitaire Aquarius affrété par SOS Méditerranée a repris la mer samedi et a allumé, dimanche, un moteur supplémentaire afin d’arriver au plus vite sur la zone où plusieurs embarcations de migrants seraient en difficultés. L’ONG devrait arriver au plus tôt mardi, mais elle n’a encore aucune visibilité sur les ports européens dans lesquelles elle sera autorisée à débarquer les naufragés.


 

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