Écho de presse

1938 : Maurice Viollette contre la loi anti-étrangers

le 12/06/2019 par Michèle Pedinielli
le 08/08/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 12/06/2019
Maurice Viollette à son bureau de député d'Eure-et-Loir, 1917, Agence Rol - source : Gallica-BnF

Le 2 mai 1938, un décret-loi sur les étrangers durcit les conditions d’entrée et de séjour de ceux-ci en France. Viollette, ancien ministre de Léon Blum, s’insurge de ce qu’il appelle « une vague de racisme ».

En 1938, la France compte de nombreux étrangers : Polonais, Italiens, Allemands, Espagnols… S’ajoutent à ces immigrés déjà installés des milliers de réfugiés politiques fuyant les régimes dictatoriaux : opposants à Mussolini et à Hitler, Juifs sans papiers venus d’Europe de l’est et encore Espagnols républicains fuyant la dictature de Franco.

Le 2 mai 1938, le gouvernement Daladier passe une loi pour intensifier la traque des illégaux. Dans les faits, ce sont tous les étrangers qui se retrouvent ciblés par l’administration française. Maurice Viollette, ancien ministre du Front Populaire, dénonce cette nouvelle loi dans le Journal de la Ligue des Droits de l’homme.

« Pour la première fois, une vague de xénophobie traverse notre pays.

Il se flattait jusqu’alors d’être terre d’asile ; aujourd’hui, il semble faire au racisme des concessions inquiétantes. »

Dans un long texte, Maurice Viollette passe en revue les différentes conséquences de ce décret-loi qui, sous couvert de lutte contre les étrangers en situation irrégulière, s’attaque dans les faits à tous les étrangers de manière arbitraire.

« De toute cette législation nouvelle, un grand principe se dégage : l’étranger n’a plus aucun droit en France ; il est livré de la façon la plus totale à l’arbitraire de la police qui l’autorise, ne l’autorise plus, l’expulse, lui pardonne pour huit jours, quinze jours, un mois, six mois, un an, puis l’expulse encore, puis le ré-autorise, le défère aux tribunaux, l’enferme, tout cela sans aucune raison et sans que l’administration ait à justifier aucune de ces décisions diverses et contradictoires. »

Dans les détails, le décret-loi s’attaque aux enfants étrangers. Viollette rappelle que le code civil protège les enfants d’étrangers nés en France de parents qui y sont eux-mêmes nés en leur octroyant la possibilité d’être naturalisé dès leur naissance. Mais ce n’est plus le cas des enfants nés en France de parents qui n’y sont pas nés.

« Ces enfants-là ne naissent pas Français à la différence des premiers ; ils ont vocation à le devenir s’ils le veulent et si un acte de leur volonté intervient pour réclamer ce droit acquis.

Or, dans cette hypothèse très fréquente, il semble certain que le décret abroge le code civil et que le droit à l’option ne jouera que si le tuteur aux termes des dispositions de l’article premier, a demandé pour les mineurs l’autorisation de séjour.

L’administration aura donc toujours un droit arbitraire de veto qu’elle exercera à sa seule fantaisie et sans contrôle, car il n’en est prévu aucun. »

Le mariage tombe aussi sous le coup de ce décret-loi. Tout le monde n’a plus le droit de se marier en France, il faut appartenir à la bonne « catégorie ». Et l’officier d’état civil qui ne vérifiera pas la catégorie avant de procéder à la cérémonie est passible d’une amende.

« Un étranger ne va plus pouvoir désormais contracter mariage que s’il est dans la catégorie des étrangers qui sont admis à le faire.

Les autres sont privés de ce droit, on leur tolérera le concubinage, et comme on ne leur a pas encore interdit la reconnaissance d’un enfant naturel ; ils n’auront donc le droit de fonder un foyer qu’en “injustes noces”. »

Se marier avec un(e) étranger(e) ? De plus en plus difficile. Car l’époux non-français reste soumis à un contrôle de police permanent, avec la mesure d’expulsion comme épée de Damoclès.

« Mais il faut encore ajouter que le ministre de l’Intérieur pourra toujours, par décret et sans même qu’il y ait délit, retirer la nationalité française à la femme, même autorisée à se marier.

Le ministre aura donc pratiquement le droit de rompre le mariage administrativement, car du moment que la femme ne sera plus française, il pourra l’expulser, même s’il y a des enfants. »

Le 5 août 1914 lors de la mobilisation, des ressortissants étrangers s'inscrivent pour partir en guerre sous le drapeau français, Agence Rol - source : Gallica-BnF

Une nouveauté à propos de la déchéance de la nationalité. Non seulement, elle ne passe plus par la saisie d’un tribunal (les rapports de police suffisent) mais en plus, cette mesure a un effet rétroactif, rarissime en droit français.

Maurice Viollette dénonce une loi qui créé même un citoyen de seconde zone : l’étranger naturalisé ne sera jamais tout à fait comme un Français. Il ne peut prétendre à des fonctions publiques, devenir avocat ou officier ministériel s’il n’a exercé cinq ans de service militaire (contre deux ans pour les Français). Mais là encore, rien n’est acquis.

« Le voilà Français, il prend part à une grève générale, il accomplit un acte contraire à l’ordre public ou au fonctionnement des institutions : dénaturalisation.

S’il dénonce trop fort les accords de Munich et M. Bonnet, s’il résiste vis-à-vis de la vassalité de la France à l’égard d’Hitler, il accomplit des actes contraires à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État. Dénaturalisation. »

En fait, souligne Viollette, cette loi s’applique en priorité à deux types d’étranger. Les pauvres tout d’abord, car on ne touchera pas à ceux de la « haute société parisienne ».

« Il y a un certain nombre d’étrangers opulents qui, eux, pourront continuer à tout se permettre, et même, dit le décret, “à accomplir des actes contraires au fonctionnement de nos institutions”.

On ne leur appliquera jamais la peine de la relégation prévue pour les indésirables, même si leurs agissements donnent lieu à des protestations qui se manifestent même au Conseil des ministres.

Cela sera réservé aux pauvres diables chassés de partout. »

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Les réfugiés ensuite : Viollette dénonce le sort déjà réservé à ceux qui fuient les dictatures, en particulier les dizaines de milliers d’Espagnols qui cherchent refuge en France devant l’avancée de Franco.

« Faut-il ajouter que ceux qui seront les victimes de ces précautions insensées, de ces persécutions, ce sont les braves gens qui ne se cachent pas, les exilés politiques fuyant les régimes de persécution et de pire barbarie.

C’est pour ceux-là en vérité que les décrets lois ont été faits, c’est une loi politique.

Mais les véritables indésirables, ils échapperont toujours. »

Et de conclure, triste et lucide :

« Toute cette législation porte, de façon désespérante, la marque du régime. En vérité, nous réalisons actuellement une chute vertigineuse par delà le droit, la légalité et la justice. »

Député-maire de la ville de Dreux jusqu’en 1940, Maurice Viollette quittera l’Eure-et-Loir pour Bordeaux sous l’Occupation, puis sera assigné à résidence à Paris – avant de revenir dans sa ville à bord d’une ambulance, grimé en malade, la tête entourée de bandelettes.

Il sera réélu maire de Dreux à la Libération.