Il s’arrête un instant pour piquer une feuille morte ; il plonge parfois son nez au creux d’une fleur de géranium fièrement ouverte. C’est au beau milieu des ifs et des agrumes entourés d’abeilles et d’hirondelles que Pascal Thévard, directeur des bâtiments et jardins, nous reçoit à Chambord. Il n’y a encore pas si longtemps, le plus vaste des châteaux de la Loire n’était entouré que d’une immense étendue d’herbe, lisse comme un terrain de foot. Depuis 2017, le monument a retrouvé ses jardins originels, un paysage imaginé sous Louis XIV.
Pour pousser, c’est bien connu, il faut d’abord remonter à ses racines. Problème : Chambord manque d’archives. Voilà qui complique l’étude de son architecture et de ses jardins : « l’immense majorité des documents a disparu », nous explique Pascal Thévard. On sait toutefois que l’esprit de Léonard de Vinci (1452–1519) imprègne le château, construit au début du XVIe siècle pour François Ier. En effet, le célèbre escalier à double révolution – qui permet à deux personnes de monter ou descendre sans se croiser, ni se voir –, les terrasses et les latrines à double fosse se retrouvent dans ses carnets de notes… Et ses dates de séjour en France en 1516 coïncident. Au-delà de ça, aucune preuve formelle…
Pour ce qui est des jardins, dédaignés par François Ier qui s’est concentré sur l’architecture du château, il faut attendre le XVIIe siècle pour retrouver quelques traces – rares – de leur existence. Car Chambord, bien que technologiquement à la pointe et formidablement fastueux, était initialement installé sur une zone marécageuse ; on y tombait facilement malade. Le constatant, Louis XIV (1638–1715) avait commandé des jardins à l’architecte Jules Hardouin-Mansart (1646–1708). L’idée ? Un château inscrit dans un carré, entouré de trois parterres distincts. Commencés en 1684, les travaux furent rapidement interrompus, avant de reprendre en 1730. Un dessin de 1734 montre un jardin déjà bien abouti, qui sera enrichi au fil des années : on y plantera des marronniers, du buis, des orangers… Mais, avec le temps, le luxueux jardin commence à disparaître. On sait, grâce à un état des lieux de 1817, que les arbres et arbustes n’étaient pas taillés, et les plates-bandes laissées en friche. Jusqu’au XXe siècle, la structure du jardin se simplifie, pour finalement laisser place à un vaste espace de gazon.
On peine aujourd’hui à l’imaginer, tant on s’émerveille au cours de notre balade à Chambord : les odeurs changent, les couleurs également. À force de patience et d’une bonne dose de science, les trois parterres du jardin à la française ont été reconstitués. En 2003, Chambord a ouvert l’enquête : les archives des jardins (une poignée de dessins et de gravures) sont épluchées, des fouilles archéologiques entreprises. La graine est plantée. Elle attendra encore une décennie pour éclore… Le projet sera mis en œuvre à l’initiative de Jean d’Haussonville, directeur général du domaine national de Chambord (depuis 2010). En août 2016, après ces années de recherches, le chantier commence. En mars 2017 sont inaugurés 6,5 hectares de jardins à la française reconstitués d’après les dessins retrouvés. Coût de l’opération : 3,5 millions d’euros… Seule coquetterie de l’architecte : les parterres de roses Catherine Deneuve, une variété récente adressant un clin d’œil à l’actrice de Peau d’Âne, film de Jacques Demy tourné en 1970 en partie à Chambord.
Autre nouveauté dans ce paysage retrouvé : la disparition du buis, proie de maladies. Très résistant au gel hivernal, le buis qui était si présent depuis le début de l’histoire des jardins, couvrant ses parterres, n’est aujourd’hui plus qu’un souvenir… Résultat ? Les jardiniers ont été poussés à une certaine inventivité. On a en effet découvert que le buis avait été choisi au XVIIe siècle pour remplacer le thym, trop fragile. Celui-ci a donc été largement replanté à la place du buis ! À ses côtés ? Un méli-mélo de plantes condimentaires – ciboulette, fenouil, aneth –, qui renvoient à la période du XVIIIe siècle pendant laquelle le jardin du château avait été en partie converti en potager. Quant aux marronniers, également malades, de jolis tilleuls les ont remplacés.
Une philosophie ancestrale a aussi pris racine : laisser pousser. À l’ouest du château, le petit jardin à l’anglaise a par exemple été conçu pour être autonome. Touffu – les mauvaises herbes lui sont bénéfiques –, il accueille des chemins qui serpentent, pour mieux « inviter les visiteurs à prendre leurs temps », glisse Pascal Thévard. Le jardin à la française est, lui, entretenu par six jardiniers, deux jours par semaine. « Ce jardin se veut durable, sa gestion est très raisonnée, grâce à un choix de plantes vivaces qui ne nécessitent que peu d’entretien », détaille le directeur des bâtiments et jardins. Aucun traitement phytosanitaire n’est toléré. Résultat : les visiteurs, comme les oiseaux, y sont comme chez eux !
Sur l’écran de son smartphone, Pascal Thévard voit défiler avec fierté les nombreuses publications Instagram des visiteurs des jardins de Chambord, qui s’enthousiasment pour ces nouvelles étendues vertes : « l’idée d’enrichir l’expérience visuelle et sensorielle du visiteur a en partie motivé la reconstitution des jardins », ajoute-il. Son succès se mesure aussi du côté de la billetterie : depuis la fin des travaux du jardin, la fréquentation du domaine national de Chambord a augmenté de 25%. De quoi planter le décor avant les réjouissances de l’année prochaine, quand Chambord fêtera ses 500 ans.
Domaine national de Chambord
41250 Chambord
www.chambord.org
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