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Encore beaucoup d’huile de palme « sale » dans nos assiettes et nos produits de beauté

Selon une enquête de Greenpeace International, une douzaine de multinationales continuent malgré leurs promesses à contribuer à la déforestation en Asie.

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Publié le 19 septembre 2018 à 02h05, modifié le 19 septembre 2018 à 10h50

Temps de Lecture 5 min.

Déboisement pour la plantation de palmiers à huile dans la concession PT Megakarya Jaya Raya, en Papouasie, le 1er avril.

La production d’huile de palme à destination de l’industrie agrolimentaire et cosmétique continue de nourrir la déforestation en Asie. Le bilan est très sombre, selon Greenpeace International, qui rend publique, mercredi 19 septembre, une enquête intitulée « Le Compte à rebours final ». L’ONG ne s’attarde pas sur les symptômes de la fièvre de l’huile de palme. Mais elle analyse les pratiques des producteurs locaux qui se prétendent « responsables » afin de pouvoir fournir de grands groupes internationaux. Jusqu’à quel point des marques de réputation mondiale cherchent-elles à connaître les agissements de ceux qui approvisionnent leurs chaînes de production ?

Autorités locales soudoyées

Colgate-Palmolive, General Mills, Hershey, Kellogg’s, Kraft Heinz, L’Oréal, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo, Reckitt Benckiser et Unilever : ces douze grands noms, parmi les vingt groupes passés au crible, se fournissent auprès de vingt sociétés qui contribuent à la dévastation des paysages indonésiens. Celles-ci sont, selon Greenpeace, à l’origine de la destruction de plus 130 000 hectares (ha) de forêts depuis fin 2015. Pis, 40 % des zones rasées (51 600 ha) se trouvent en Papouasie indonésienne, une des régions du monde les plus riches en biodiversité et qui était jusqu’à récemment préservée de la mainmise de l’industrie. La déforestation y sévit à un rythme alarmant. Et encore, le secteur des agrocarburants, en pleine expansion, n’est pas intégré dans ce décompte.

Derrière ce constat pointe l’agonie de la forêt tropicale en Indonésie, pays qui fournit 55 % de la production mondiale, 85 % si l’on rajoute la Malaisie. Les images émouvantes d’un orang-outang frappant d’un geste désespéré le godet d’une pelleteuse mécanique au milieu d’un tapis d’arbres arrachés ont fait le tour du Web cet été. Prises par International Animal Rescue Indonesia, elles ne reflètent pas, à elles seules, l’étendue des dégâts qu’entretient une demande mondiale grandissante pour cet oléagineux peu cher et fort commode à travailler.

Non seulement cette malédiction économique dévaste la faune sauvage et la flore luxuriante, mais elle affecte aussi des communautés autochtones et suscite de sérieuses entorses aux droits des travailleurs. Tandis que les immenses feux destinés à dégager le terrain pour l’extension de nouvelles plantations, toujours plus loin dans l’ex-forêt, rendent l’air irrespirable jusque dans les pays voisins.

Plantation de palmiers à huile dans la région de Merauke au sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en décembre 2017.

Sur la sellette, le secteur s’est doté d’une certification « huile de palme durable ». Le 26 juin, les membres de cette Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) se sont réunis à Paris. Ce jour-là, une poignée de membres de communautés locales affectées par cette industrie, en Colombie, en République démocratique du Congo ou en Indonésie ont eu droit à quelques minutes pour présenter leurs doléances. Franky Samperante, 48 ans, était venu de l’île de Sulawesi témoigner au nom de l’organisation des peuples indigènes Pusaka.

« Des compagnies ouvrent la forêt et nous repoussent hors des terres sur lesquelles nous vivions depuis des générations, confiait-il. Nous avons écrit au gouvernement et aux parlementaires… mais chez nous, des gens sont arrêtés tous les jours. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les ONG attaquent Total pour ses importations d’huile de palme

Le rapport de Greenpeace décrit en détail une quarantaine de plantations dans plusieurs districts de la province de Papouasie, de Bornéo, de l’île Bawal… L’ONG a fait travailler durant plusieurs mois ses équipes de cartographes à partir d’images satellites, a analysé les banques de données disponibles (notamment celles du ministère de l’environnement et de la forêt indonésien) et envoyé ses militants sur le terrain effectuer des repérages.

La politique « Zéro déforestation » n’est pas respectée dans les faits

Elle présente, par exemple, les plantations du groupe familial Hardaya Plantation Group. Sa présidente-fondatrice, Siti Hartati Murdaya, a été condamnée en 2013 à trente-deux mois de prison et à une amende de 15 000 dollars américains (13 000 euros) pour avoir soudoyé les autorités de Sulawesi, afin d’obtenir des concessions dans le centre de l’île. Une ONG locale, Aidenvironment, a identifié environ 145 000 hectares de concessions au total, malgré l’absence de données publiques.

Au vu d’images satellite américaines et des cartes du gouvernement, il semble qu’Hardaya ait défriché pour ses plantations 434 ha entre le 26 décembre 2014 et le 8 mars 2018, dont des parcelles taillées dans des forêts primaires. Le groupe n’a pas répondu aux questions de Greenpeace. L’agro-industriel Mars, en revanche, lui a fait savoir qu’il entendait exclure Hardaya de sa chaîne d’approvisionnement.

Pression des ONG

« On aimerait bien que les entreprises cessent d’attendre qu’on vienne les voir pour leur mettre sur la table les agissements de leurs fournisseurs, déplore Cécile Leuba, chargée de campagne forêts chez Greenpeace France. Il faut qu’elles mettent d’elles-mêmes en place des plans pour mieux connaître leurs approvisionnements. »

Pour l’heure, la politique Zéro déforestation, à laquelle les multinationales et l’ensemble de la filière se sont progressivement engagés depuis 2010 sous la pression des ONG, n’est pas respectée dans les faits. Or plusieurs grandes marques n’ont pas hésité à assurer que, d’ici à 2020, les achats des consommateurs ne se feraient plus au détriment de nouvelles parcelles défrichées. On en est loin.

Déboisement pour préparer la plantation de palmiers à huile dans le village de Selauw (Papouasie-Nouvelle-Guinée), en décembre 2017.

Greenpeace a particulièrement en ligne de mire Wilmar International – le plus gros négociant d’huile de palme au monde. Ce tradeur basé à Singapour, qui représente 43 % du marché, est certifié RSPO depuis 2005. Il avait suscité beaucoup d’espoir en 2013 en s’engageant à cesser « toute déforestation, toute destruction de tourbière, toute exploitation humaine », et en respectant notamment le droit des communautés locales. Las, Wilmar est le principal client de dix-huit des producteurs mis en cause dans ce rapport.

Parmi les ONG, The Forest Trust (TFT) a une position particulière. Peu connue du grand public, elle travaille avec des entreprises affichant leur volonté de modifier leurs pratiques vis-à-vis de la forêt, mais aussi en matière sociale. C’est ainsi qu’elle est partenaire de Wilmar depuis cinq ans. Mardi 18 septembre, à la veille de la sortie de l’enquête de Greenpeace, elle a fait part de sa déception à l’égard du négociant, dont les efforts se sont nettement ralentis après la première année de leur collaboration.

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Ce dernier avait par exemple décidé de rendre publique la liste complète de ses usines à huile en Malaisie. Dans un communiqué, TFT annonce que Wilmar devrait en fait présenter, d’ici au 30 septembre, un « nouveau plan d’action pour combler les lacunes dans la mise en œuvre de la politique » vertueuse qu’il avait annoncée, assorti d’un échéancier précis.

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