EDUCATIONComment l’origine sociale pèse sur les choix d’orientation des élèves?

Réussite scolaire: Comment l’origine sociale pèse sur les choix d’orientation des élèves?

EDUCATIONLa journée du refus de l’échec scolaire, qui a lieu ce mercredi, met l'accent sur l'orientation des collégiens de l'éducation prioritaire...
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

Bac général ou professionnel ? BTS ou classe prépa ? Alors que ces choix d’orientation devraient être dictés uniquement par la motivation de l’élève et son niveau scolaire pour y prétendre, ils sont aussi influencés par son milieu social. A l’occasion de la journée du refus de l’échec scolaire ce mercredi, qui portera sur l’orientation, l’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) publie une étude qui montre que c’est la famille qui dispose du plus d’influence sur les choix d'orientation des collégiens de Rep*.

En effet, 70 % des jeunes interrogés, résidant dans les quartiers d’éducation prioritaire, disent écouter le plus leur famille, loin devant les professeurs et les autres professionnels de l’établissement (16 %) pour décider de leur orientation. « Or, ce rôle décisif de la famille dans la gestation de leur projet professionnel n’est pas sans conséquences, car les parents issus des milieux populaires ont souvent une moindre connaissance des filières, occupent des métiers moins diversifiés que dans des milieux plus aisés et ne sont pas les mieux armés pour aider leur enfant à bâtir une stratégie d’orientation efficace. Ce qui peut contribuer à limiter les possibles de l'enfant », explique Eunice Mangado-Lunetta, directrice des programmes à l’Afev. D’ailleurs, l’étude de l’Afev montre que seulement 9 % des jeunes de 4e et seulement 50 % des élèves de 3e ont demandé à rencontrer de manière individuelle un psychologue de l’Éducation nationale.

L'autocensure dans les choix d'orientation

L’impact décisif du profil socio-économique de la famille sur l’orientation des jeunes a aussi été mis en lumière dans Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire. Dans cet ouvrage, paru en 2014, deux chercheuses ont comparé les souhaits d’orientations d’élèves de 3e de même niveau scolaire, d’une même classe, mais d’origines sociales différentes. « Le constat est frappant car les élèves issus de milieux défavorisés se projettent beaucoup plus en bac pro qu’en bac général et ils sont bien moins nombreux que les élèves issus de milieux favorisés à imaginer faire des études postbac », indique Nina Guyon, chercheuse associée à Sciences-Po Paris et coauteur du rapport.

Une situation qui s’explique « par le manque de connaissance des différentes voies de formation », indique la chercheuse, mais pas seulement. Beaucoup d’élèves issus de milieux modestes s’autocensurent aussi dans leurs choix d’orientation « parce qu’ils ont une estime de soi scolaire plus faible que les jeunes de milieux favorisés, et même lorsqu’ils font partie des têtes de classe », constate Nina Guyon.

Cette peur de ne pas être à la hauteur scolairement peut s’expliquer par plusieurs facteurs : « elle peut venir de leurs parents qui les dissuadent de postuler dans une filière qu’ils jugent trop dure. Et le fait de ne pas avoir de modèle de réussite professionnelle dans leur entourage peut les empêcher d’aller au bout de leur potentiel », indique la chercheuse.

La crainte du coût des études

Le type de collège dans lequel l’élève est scolarisé peut aussi renforcer le déterminisme social, selon une étude du Cnesco sur les inégalités sociales : « Le collège fait évoluer les aspirations des élèves défavorisés vers des choix "plus réalistes" (par opposition aux "métiers rêvés" (pilote, artiste….)) ou des "métiers plus stables" et accentue la corrélation entre le milieu social et les aspirations », souligne-t-elle. Enfin, certains élèves pensent que faire des études longues coûte cher. « Ils ignorent parfois qu’il existe des bourses, des prêts et que certaines formations sont proposées en alternance, ce qui leur permet d’être payés en faisant leurs études », constate Eunice Mangado-Lunetta.

Ces inégalités sociales face à l'orientation ne sont toutefois pas une fatalité. Pour les combattre, il est nécessaire de déconstruire les stéréotypes liés à l’orientation le plus tôt possible, selon Nina Guyon : « il faudrait informer les collégiens sur l’orientation dès la 6e pour les informer sur la palette des formations et des métiers existants afin de leur donner le temps de mûrir leur projet ».

Elargir le spectre des possibles

Il faudrait aussi développer les initiatives des associations qui mettent en contact des élèves issus de milieux défavorisés avec des étudiants. « Le fait qu’un ancien élève d’un collège Rep qui a réussi à entrer en classe prépa vienne raconter ses expériences peut inciter d’autres élèves à envisager cette orientation », explique Eunice Mangado-Lunetta. Dans un autre genre, l'association Zup de Co propose d’aider les élèves d'éducation prioritaire à faire leurs devoirs, après la classe, grâce au tutorat d’étudiants bénévoles. L'occasion aussi de parler d'orientation. De son côté, l'Afev a démarré un programme intitulé Démo’Campus qui consiste à immerger des collégiens ou des lycéens dans des universités ou des grandes écoles pour les aider à sortir d’une vision fantasmée des études supérieures. Chaque année, des écoles de commerce et d’ingénieurs accueillent aussi des collégiens et des lycéens d’éducation prioritaire dans leurs murs dans le cadre du programme « les cordées de la réussite ».

Et avec la réforme du bac qui se profile, les lycéens de seconde auront à partir de cette rentrée 54 heures consacrées à l’orientation. «Cela devrait laisser le temps aux élèves de mieux découvrir le champ des possibles», espère Eunice Mangado-Lunetta.

*Enquête réalisée en mai et juin 2018 auprès de 718 élèves de 4ème et de 3ème scolarisés dans les collèges de l’éducation prioritaire avec qui l’AFEV a développé un partenariat. Ces établissement étant répartis sur le territoire national. Les élèves ont répondu à un questionnaire écrit.

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