INTERVIEWQui sont les héros de l'environnement,qui se battent au péril de leur vie?

Héros de l’environnement : «Je voulais raconter leurs guerres silencieuses, qu'ils mènent au péril de leur vie»

INTERVIEWLa journaliste Elisabeth Schneiter raconte dans un livre qui paraît ce jeudi ces guerres silencieuses que mènent à travers le monde des activistes écologistes contre de grands projets industriels. Parfois au péril de leurs vies…
Un homme nettoie la tombe de Berta Caceres, activiste écologique tuée le 3 mars 2016 au Honduras où elle se battait contre un grand projet hydraulique.
Un homme nettoie la tombe de Berta Caceres, activiste écologique tuée le 3 mars 2016 au Honduras où elle se battait contre un grand projet hydraulique. - ORLANDO SIERRA / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Selon l’ONG Global Witness, 207 activistes écologiques ont été tués en 2017 dans le monde. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter, observe la journaliste Elisabeth Schneiter qui suit ces sujets pour le magazine en ligne Reporterre.
  • Dans Les héros de l’environnement, la journaliste raconte les guerres silencieuses de ces gens simples, « horrifiés un projet qui les menace tout d’un coup et qui se mettent alors à se battre sans parfois avoir conscience qu’ils s’attaquent à de puissants industriels ».

Deux cent sept activistes écologiques ont été tués dans le monde en 2017, soit près de quatre personnes par semaine. Qui sont-ils ? Des fous ? La journaliste Elisabeth Schneiter raconte ces gens simples qui s’élèvent contre des méga projets industriels au risque de leur vie. Son livre, Les héros de l’environnement, sort ce jeudi aux éditions Seuil/Reporterre.

Elisabeth Schneiter répond aux questions de 20 Minutes.

Qu’est-ce qui déjà vous a poussé à écrire ce livre ?

Depuis cinq ans maintenant, je fais une veille pour Reporterre (média en ligne sur l’écologie) sur tout ce qui se passe dans le domaine de la résistance environnementale, sur ces combats que mènent à travers le monde des activistes contre des projets industriels détruisant les ressources communes de la planète. Le constat est vite devenu évident. D’un côté, le nombre de ces activistes écologiques tués chaque année ne cesse d’augmenter et la violence des conflits s’intensifie à mesure que nos ressources naturelles s’épuisent. De l’autre, je me rendais compte que ces héros de l’environnement étaient pour la plupart méconnus. La plupart de mes amis ont une vague idée de qui étaient Chico Mendes [syndicaliste brésilien grand défenseur de la forêt amazonienne tué en 1988] ou Dian Fossey [primatologue connue pour ses travaux sur les gorilles et assassinée en 1985 au Rwanda]. Mais ils ne connaissent pas ceux qui se battent aujourd’hui, au péril de leur vie, pour préserver les ressources naturelles qui sont communes et utiles à tous. Je voulais raconter ces guerres silencieuses.

Comment avez-vous choisi les héros que vous mentionnez dans votre livre ?

Ce livre n’est pas seulement une compilation de portraits mais se veut plus une analyse de ce qu’est aujourd’hui le combat environnementaliste. Chaque thématique est illustrée par des exemples de héros avec qui j’ai été davantage en contact ou pour lesquels j’ai trouvé suffisamment d’informations. Je commence ce livre par Berta Cacéres, dont je raconte l’histoire en détail. Cette Hondurienne s’est battue bec et ongles contre Agua Zarca, un grand projet de quatre barrages porté par l’entreprise Desa qui devait être construit sur une rivière dont dépend le peuple Lenca pour vivre. Cette femme m’a beaucoup touchée et, même deux ans après son assassinat, elle me hante toujours. Je ne suis pas la seule. Encore aujourd’hui, au Honduras, il n’est pas rare de voir une pancarte « Berta est vivante » dans le cortège des manifestants.

Un profil type de l’activiste écologiste se dessine-t-il au fur et à mesure de ces portraits ?

Non, les profils sont très variés. On trouve des hommes, des femmes, des jeunes et des moins jeunes, des travailleurs pauvres, des syndicalistes, des avocats, des cols blancs… Bien souvent, ces activistes sont au départ des citoyens lambda horrifiés par un projet qui les menace tout d’un coup. Ils se mettent à se battre sans parfois avoir conscience qu’ils s’attaquent à de puissants industriels. Gillian Kelly est un bon exemple. Cette retraitée britannique est devenue une opposante très active à un projet de fracturation hydraulique près de Blackpool (Lancashire). Si ce projet la préoccupait beaucoup, elle n’a pas tout de suite participé aux campagnes de protestation ni signé les premières pétitions. Mais, indignée par l’entêtement du gouvernement britannique à maintenir le projet, elle s’est rendue à des premières manifestations et s’est tout de suite sentie en phase avec les militants. C’est bien souvent ce dégoût qui vous fait se lever et dire non, parfois au risque de votre vie.

Ce chiffre de 207 activistes tués en 2017 parce qu’ils défendaient la nature, comment évolue-t-il ?

A la hausse. L’ONG Global Witness dresse le bilan chaque année. Elle comptabilisait 197 activistes écologiques en 2016, 147 en 2012. Avec 49 activistes assassinés en 2016 et 46 en 2017, le Brésil reste le pays le plus meurtrier du monde pour les défenseurs de l’Environnement.

Certains vous diront que si la tendance est à la hausse, c’est parce que ces assassinats sont mieux recensés. Peut-être, mais il faut préciser alors que de nombreux autres meurtres échappent aux statistiques. Nous n’avons que peu de données sur la répression des activistes dans certains pays. Les assassinats ne sont pas non plus la seule technique utilisée contre les défenseurs de l’environnement. Il y a aussi les intimidations diverses, les menaces de mort, les arrestations et emprisonnements arbitraires, les diffamations… Et de plus en plus aujourd’hui les « poursuites-baillons ». Celles-ci n’ont pas tant pour but de gagner devant les tribunaux mais de créer un effet dissuasif et d’inonder les militants de procédures judiciaires longues et coûteuses.

Vous évoquez l’existence d’ONG qui tentent de protéger les activistes à travers le monde ou encore le prix Goldman qui met en lumière chaque année les combats de défenseurs de l’environnement… Malgré tout, ces derniers restent toujours autant vulnérables ?

Il existe de nombreuses organisations qui plaident pour le respect de la nature et des activistes. Mais peu peuvent fournir une aide directe, souvent pour permettre aux activistes menacés de se mettre à l’abri. Mais cette protection reste difficile à assurer sur la durée. Le Mexicain Isidro Baldonegro, qui luttait contre la déforestation illégale et le vol des terres dans son pays, avait ainsi été contraint à l’exil. Il est revenu dans sa ville le 15 janvier 2017 après des années d’absence. Il a été tué le jour même.

Quant au prix Goldman, il est à double tranchant. Sur le principe, ce Noble vert. Il a été créé par un couple d’Américains indigné par la mort de Chico Mendez et récompense chaque année depuis 1989 six héros environnementaux pour leur combat. Mais ce prix ne protège pas des assassinats. Berta Cacéres et Isidro Baldonegro ont eu ce prix par exemple. La crainte est que ces récompenses exposent un peu plus encore les lauréats. C’est une autre stratégie des opposants : tuer une cible forte, médiatisée, pour faire peur à tous les autres en montrant que personne n’est à l’abri.

Ces héros de l’environnement mènent-ils des combats perdus d’avance ?

Non, il y a des victoires. De nombreuses mobilisations de citoyens sont parvenues à mettre fin ou à retarder des méga projets industriels. A ce jour par exemple, les Lenca sont parvenus à sauver leur rivière : le projet Agua Zarca est au point mort. Mais ces victoires sont souvent fragiles. Quelques années plus tard, ces projets industriels contestés peuvent revenir sur le tapis, quelque peu modifiés ou situés un peu plus loin. Parfois aussi, les entreprises font tout pour ne pas avoir à appliquer des décisions de justice en leur faveur. En 1993 par exemple, trois avocats ont intenté un procès collectif contre Texaco au nom de 30.000 paysans équatoriens pour pollution en Amazonie. En 2011, après presque vingt ans de litige, le tribunal équatorien statua en faveur des paysans et condamna Chevron [qui avait entre-temps racheté Texaco] à payer 9,5 milliards de dollars de dommages et intérêts. Chevron s’était au préalable engagé à respecter le verdict. Elle n’a pas tenu sa promesse et a demandé à plusieurs tribunaux [dont la cour permanente d’arbitrage de La Haye] d’invalider les jugements rendus en Equateur contre elle, prétendant qu’ils auraient été obtenus par des moyens frauduleux.

Il n’y a pas de héros de l’environnement français dans votre livre…

J’évoque Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, lauréate 2018 du prix Goldman pour avoir obtenu l’interdiction du chalutage de fonds à plus de 800 mètres dans les eaux européennes. C’est vrai qu’il y a sinon il y a peu de Français dans ce livre. Et heureusement, je parle essentiellement dans ce livre des activistes qui s’exposent à des meurtres. En France, cela ne va pas aussi loin même si on peut constater une augmentation des violences lors des dernières évacuations de ZAD. Celle par exemple qui s’est montée contre le contournement autoroutier de Strasbourg et qui a été évacuée le 10 septembre dernier.

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