Répression

Au Venezuela, les excès meurtriers de la politique sécuritaire

Amnesty International s’alarme, dans un rapport publié jeudi, d’un nombre croissant d’exécutions impunies, souvent menées par les militaires, dans le cadre de la lutte contre l’insécurité.
par François-Xavier Gomez
publié le 20 septembre 2018 à 20h56

Dans un rapport très étayé rendu public jeudi, Amnesty International accuse le gouvernement socialiste du Venezuela d'«utiliser la force meurtrière dans l'intention de tuer les personnes les plus vulnérables et les plus exclues». L'Etat bolivarien «viole leurs droits et les traite comme des criminels en raison de leurs conditions de vie, alors qu'il devrait mettre en œuvre des politiques de lutte contre la criminalité basées sur la prévention et conformes aux normes internationales».

Amnesty a recensé, entre 2015 et juin 2017, 8 200 «exécutions extrajudiciaires», homicides commis par les forces de police ou l'armée hors de toute procédure de justice. Avec un total de plus de 21 700 homicides pour 2016, le Venezuela serait le troisième pays le plus violent de la planète, derrière la Syrie et le Salvador. Et le deuxième pour les morts par arme à feu, après le Salvador et devant le Honduras.

«Elimination»

Ces chiffres sont une estimation «a minima» précise Geneviève Garrigos, responsable de la région Amériques pour Amnesty France, qui souligne que le Venezuela ne publie plus depuis plusieurs années de statistiques officielles sur la criminalité, un déni du droit des citoyens à l'information. Pour parvenir à ce chiffre, l'ONG, qui a un bureau et une équipe permanente sur place, a réuni des éléments épars provenant notamment de la justice et de la médecine légale.

Pour la responsable d'Amnesty, la mise en cause d'une politique d'Etat ne relève en aucun cas d'une exagération. «Les autopsies montrent que la grande majorité des victimes ont reçu des balles dans la tête, le cou ou le thorax. Il s'agit donc d'exécutions. Le taux d'impunité pour ces homicides est de 92 %, preuve de l'absence de volonté d'enquêter sur ces actes. Enfin, des responsables ont publiquement justifié ces politiques d'élimination de supposés délinquants. Ces trois éléments convergent pour définir une politique délibérée de l'Etat», affirme Garrigos.

Le Venezuela a pourtant mis des moyens dans la lutte contre l’insécurité, qui existait bien avant l’accession au pouvoir de Hugo Chávez. Entre 2000, année de l’arrivée du militaire de gauche, et 2017, pas moins de 17 plans de sécurité se sont succédé, certains d’ampleur nationale, d’autres centrés sur le grand Caracas ou l’Etat de Carabobo. Malgré leurs intitulés baroques («Mission tout pour la vie», «La pègre cueillie à l’aube»), ils n’ont pas fait baisser la délinquance.

Une des raisons invoquées par Amnesty : les 5,9 millions d’armes à feu circulant illégalement dans le pays. Une commission officielle, la Codesarme, avait pourtant mis en parallèle le nombre d’armes dans le pays et les homicides. Entre 2008 et 2014, écrit Amnesty, le Venezuela a été le principal importateur d’armes en Amérique latine, devant le Brésil, sept fois plus peuplé. Et l’appel à un désarmement des civils lancé par la Codesarme n’a pas eu de résultats probants.

«Langage guerrier»

Face à l’exaspération de la population, le régime a sorti l’artillerie lourde : les «Opérations peuple libre». La première est lancée en juillet 2015 contre un quartier de Caracas passé aux mains du crime organisé. L’opération militaire s’est soldée par 15 morts, tous habitants du quartier, la plupart tués à leur domicile. Le même scénario s’est répété dans des poches de pauvreté de tout le pays. Dans la foulée, le gouvernement a publié un communiqué triomphaliste : 17 000 membres des forces de l’ordre engagés, 505 morts. De nombreuses familles de victimes ont déposé plainte. En vain, dans la majorité des cas. Le rapport d’Amnesty, intitulé «C’est pas une vie : sécurité publique et droit à la vie au Venezuela», souligne qu’en vingt ans, 19 ministres différents ont été chargés de la lutte contre la criminalité. Onze d’entre eux étaient issus de l’armée.

Cette approche répressive, qui ne s’embarrasse pas de droits humains, s’ajoute aux pénuries de médicaments et d’aliments, à l’hyperinflation et à l’exode de la population pour dresser un tableau désespéré du pays.

«Le Venezuela traverse une des pires crises des droits humains de son histoire. La liste des crimes de droit international commis contre la population ne cesse de croître, a déploré Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d'Amnesty, en présentant le rapport. Il est inquiétant de constater qu'au lieu d'appliquer des politiques efficaces de protection de la population et de lutte contre l'insécurité, les autorités utilisent un langage guerrier pour tenter de légitimer l'utilisation d'une force excessive et, dans de nombreux cas, de la force meurtrière avec l'intention de tuer.»

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