Publicité

L’azote, la nouvelle méthode américaine pour exécuter des condamnés à mort

Trois Etats s’apprêtent à tester une substance encore jamais utilisée aux Etats-Unis sur des êtres humains. Jusqu’ici l’inhalation forcée d’azote était réservée à l’abattage d’animaux

Manifestation contre la peine de mort devant la Cour suprême, Washington, janvier 2017. — © AFP / Brendan Smialowski
Manifestation contre la peine de mort devant la Cour suprême, Washington, janvier 2017. — © AFP / Brendan Smialowski

Dans leur course effrénée à la recherche de nouveaux produits létaux, des Etats américains pratiquant la peine de mort ont jeté leur dévolu sur une nouvelle pratique: l’inhalation forcée d’azote. C’est le choix de l’Oklahoma, du Mississippi et de l’Alabama. Une première aux Etats-Unis. Jusqu’ici la méthode était uniquement utilisée pour l’abattage d’animaux. Du côté des défenseurs de l’abolition de la peine de mort, c’est la consternation.

Une mort par hypoxie

En Oklahoma, premier Etat à avoir décidé en mars dernier de se lancer dans l’azote, la seule justification donnée par le procureur général Mike Hunter est celle-ci: «Nous avons opté pour cette méthode, car il est établi que les Etats dans tout le pays éprouvent de grandes difficultés à se procurer des substances pour les injections létales.» En cause: la pénurie de produits en raison de leur boycott par des firmes pharmaceutiques, essentiellement européennes. Roche, par exemple, a formellement renoncé en 2004 à fabriquer et distribuer du midazolam aux Etats-Unis. La substance a toutefois encore récemment été utilisée pour des exécutions et rien ne permet d’exclure que des produits d’origine suisse soient détournés pour servir à ces funestes fins.

Lire aussi: Des traces suisses dans les injections létales

Avec l’inhalation forcée d’azote, c’est une mort par hypoxie, autrement dit par raréfaction d’oxygène, qui est promise au condamné. Aux Etats-Unis, des chambres à gaz ont été utilisées à 16 reprises depuis 1976 pour des exécutions à mort selon les statistiques du Death Penalty Information Center. Le dernier cas remonte à 1999, dans l’Arizona. Le condamné a agonisé pendant 18 minutes. Depuis 1976, 1294 détenus ont été exécutés par injection létale dans le pays et 158 via une chaise électrique. Avec l’azote, un masque et un sac sur la tête du condamné suffiraient. C’est ce que ne cesse de rappeler le politicien républicain Mike Christian, à l’origine de la proposition.

«Effets secondaires pénibles»

Théoriquement, la personne devrait tomber dans le coma avant de mourir. Mais la méthode n’ayant jamais été utilisée sur un être humain, le degré de souffrance infligé est difficile à évaluer. Des experts vétérinaires recommandent de ne pas euthanasier des animaux avec de l’azote. En 2013, la Société mondiale de protection des animaux précisait par exemple dans un rapport que les «effets secondaires avant la perte de connaissance pourraient être pénibles». Une entreprise située dans l’Arizona qui, en 2016, tentait de vendre les avantages de l’azote pour les exécutions, voit apparemment les choses autrement, révèle un article du New York Times. Elle précise qu’il provoque «calme et sédation suivis par de l’ivresse et de l’euphorie» et qu’il «garantit la mort de tout mammifère en quatre minutes» sans exiger d’expertise médicale.

Aucune date n’est encore fixée pour la première mise à mort par azote. L’Oklahoma, qui y songe déjà depuis plusieurs années, n’est visiblement pas rebuté par l’aspect expérimental. L’Etat s’est déjà distingué par des exécutions controversées. En 2014, le condamné à mort Clayton Lockett avait agonisé pendant 45 minutes, en raison d’une mauvaise administration de produits. Pour la première fois, un cocktail de trois produits mariant un sédatif, un anesthésiant et du chlorure de potassium avait été administré. Selon le constat d’un médecin, une veine avait éclaté, empêchant le premier produit de s’écouler normalement. C’est ce qui a provoqué une longue et douloureuse agonie.

Lire aussi: Aux Etats-Unis, l’Arkansas se livre à un sprint aux exécutions

En juillet, huit condamnés à mort ont créé la surprise dans l’Etat de l’Alabama: ils ont d’eux-mêmes fait la demande de mourir par inhalation forcée d’azote. Parce qu’ils connaissent les risques des injections létales avec des nouveaux produits dont les effets sont mal maîtrisés. Mais peut-être aussi pour gagner du temps et nourrir une bataille juridique jusqu’à ce que le nouveau protocole pour l’azote soit édicté. Aux Etats-Unis, 2750 condamnés croupissent actuellement dans les couloirs de la mort. La peine capitale est en vigueur dans 31 Etats.

«Il n’y a pas de preuves scientifiques permettant de dire que le recours à l’azote sera rapide et indolore»

Robert Dunham, directeur du Death Penalty Information Center, évoque les récents développements en matière de peine de mort.

Le Temps: Que pensez-vous du recours à l’azote pour exécuter des condamnés à mort?

Robert Dunham: Aucun Etat n’a encore élaboré de protocole d’exécution pour l’utilisation de l’azote et il est fort probable que la méthode proposée pour l’administrer entraînera des problèmes juridiques. Il existe différents dangers potentiels, à la fois pour les prisonniers, pour le personnel et pour les témoins. Les principales associations vétérinaires américaines et mondiales s’opposent à l’utilisation d’azote pour les euthanasies. Elles soulignent généralement que l’animal doit d’abord être plongé dans un état inconscient avec une méthode acceptable – ce qui repose la question de l’injection de produits létaux –, et qu’une «exposition prolongée peut être nécessaire pour assurer la mort». Il n’y a pas de preuves scientifiques permettant d’assurer que le recours à l’azote pour exécuter des prisonniers sera rapide et indolore. Je ne dis pas que l’azote fonctionnera ou ne fonctionnera pas. Ce que je dis, c’est que nous ne pouvons pour l’instant pas le savoir et que ce ne sera probablement pas aussi simple que les Etats intéressés le prétendent.

Y a-t-il pour vous une manière plus «digne» que d’autres d’exécuter un condamné? Les Américains sont choqués par le recours aux lapidations ou aux pendaisons dans certains pays alors que des injections létales ratées pratiquées aux Etats-Unis se sont apparentées à de véritables scènes de torture…

Notre centre ne prend pas position sur ce sujet, ni sur la peine de mort en elle-même, même si nous nous montrons critiques sur la manière dont certaines exécutions sont menées. Mais, effectivement, un sondage effectué par YouGov en février 2015 précise que 66% des sondés ne considèrent pas les injections létales comme «cruelles et inhabituelles», alors qu’ils sont 52% à penser que les chambres à gaz le sont (contre 34% qui pensent le contraire). Ce chiffre est de 53% (contre 33%) pour les exécutions par peloton d’exécution et de 54% versus 33% pour les chaises électriques. Pour les pendaisons et les lapidations, les sondés sont respectivement 67% et 81% à s’ériger contre.

Les exécutions ratées ont-elles un impact sur l’évolution de l’opinion publique américaine à propos de ** la peine de mort?**

Une précision: il n’y a eu aucune exécution ratée à cause de «mauvais produits»: ces médicaments sont bons quand ils sont utilisés aux fins prévues. De graves problèmes interviennent par contre quand des Etats recourent à des produits à des fins non thérapeutiques, pour un usage auquel ils n’étaient pas destinés. En raison des lois sur le secret en vigueur dans les Etats qui appliquent la peine de mort, le public ignore beaucoup des comportements douteux pour obtenir ces produits ainsi que sur la manière dont les exécutions par injection létale sont menées. Les exécutions bâclées, celles qui recourent à des combinaisons de drogues inadéquates, et la façon inappropriée dont certains Etats obtiennent ces produits pèsent sur la confiance du public. Nous arrivons à un point où le public ne fait plus confiance aux gouvernements quand ils affirment avoir agi conformément aux protocoles pour les exécutions, mais qu’ils refusent de fournir les informations nécessaires pour le vérifier.

La transparence fait défaut…

Oui. Les réponses à propos d’exécutions problématiques du type «Nous avons suivi le protocole» ou «Faites-nous confiance, nous représentons l’autorité» ne sont plus acceptables. Une transparence est nécessaire dans la façon dont tout protocole d’exécution est développé et appliqué. Il est difficile de dire à quel point tout cela a eu de l’influence sur l’opinion publique américaine à propos de la peine de mort. Mais le fait est que le soutien à la peine capitale est passé de 80% dans les années 1990 à environ 55% aujourd’hui. Il reste proche des taux historiques les plus bas malgré une légère augmentation associée à la rhétorique de la peur et de la division qui vient de Washington.

(Propos recueillis par VdG)