Non, la guerre d'Algérie n'est pas cachée aux élèves (mais le sort des harkis, oui)

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Non, la guerre d'Algérie n'est pas cachée aux élèves (mais le sort des harkis, oui)

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Le 20 juillet 1962, l'arrivée des rapatriés d'Algérie à la gare maritime à Marseille
Le 20 juillet 1962, l'arrivée des rapatriés d'Algérie à la gare maritime à Marseille
© Getty - Gamma-Keystone

La guerre d'Algérie figure dans les programmes scolaires au lycée depuis 1983 et n'est pas cet angle mort des cours d'histoire dans le secondaire que dénonce en fait une idée reçue. Mais alors qu'on croise les pieds noirs dans les manuels depuis 1971, les harkis, eux, demeurent très occultés.

Il existe depuis 2003 et un décret signé par Jacques Chirac, alors Président de la République, une “Journée nationale d'hommage aux harkis”. La seizième édition de cette journée nationale parmi tant d’autres arrive ce mardi 25 septembre. Passés de supplétifs du camp métropolitain au rang d’oubliés de la mémoire collective, relégués dans les plis d’une histoire de la Guerre d’Algérie qui a tardé à se raconter, les harkis demeurent le véritable angle mort de l’enseignement de la guerre d’Algérie à l’école. 

L’historien Benoît Falaize, spécialiste de l’enseignement de l’histoire et notamment des enjeux les plus controversés, souligne ainsi que c’est seulement dans les années 2000 que les harkis font une timide apparition dans les programmes. Alors que ceux qu’on nomme les "pieds-noirs", par exemple, apparaissent dès 1971 dans les manuels scolaires au collège, et en 1983 au lycée.

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Reportage photographique à la gare maritime de Marseille le 20 juillet 1962, tandis que se croisent les rapatriés d'Algérie arrivés à bord du "Ville de Tunis" et un bateau en partance pour Philippeville, en Algérie (aujourd'hui Skikda)
Reportage photographique à la gare maritime de Marseille le 20 juillet 1962, tandis que se croisent les rapatriés d'Algérie arrivés à bord du "Ville de Tunis" et un bateau en partance pour Philippeville, en Algérie (aujourd'hui Skikda)
© Getty - Gamma / Keystone

Une idée reçue... complètement fausse

Cette année 1983 représente un tournant décisif en matière d’enseignement de la guerre d’Algérie. C’est en effet à ce moment-là que les programmes scolaires stipuleront explicitement, pour ne plus jamais revenir dessus, que n’importe quel lycéen inscrit en filière générale aura obligatoirement la Guerre d’Algérie dans son cursus. A raison d’une à deux heures en moyenne, durant l’année de Terminale, que l’enseignant aura le choix d’aborder soit dans le cadre du chapitre sur la colonisation, soit lorsqu’il attaquera la partie du programme intitulée “La France après 1945”. En section techniques, le thème de la décolonisation est revenu dans le programme officiel en 2007 pour les élèves par exemple inscrits en STG (sciences et techniques de gestion) dans le cadre d’un chapitre sur la décolonisation, précisaient Gilles Boyer et Véronique Stacchetti dans “La France et l’Algérie : leçons d’histoire”, paru en 2014 aux éditions de l’ENS.

Vingt-et-un an après les accords d’Evian qui marqueront la fin de la guerre d’indépendance, cette décision pédagogique de 1983 est certes tardive, mais pas aussi obscurantiste que ce qu’on entend parfois. L’idée reçue qui voudrait que l’Education nationale ait occulté la mémoire de ce conflit colonial est tout simplement fausse.

Quatre mois après la signature des accords d'Evian, l'arrivée de rapatriés d'Algérie à la gare maritime de Marseille, le 20 juillet 1962.
Quatre mois après la signature des accords d'Evian, l'arrivée de rapatriés d'Algérie à la gare maritime de Marseille, le 20 juillet 1962.
© Getty - Gamma / Keystone

Avant même 1983, la guerre d’Algérie était déjà enseignée au collège, même si elle n’était pas systématiquement mise au programme. Inspecteur d’Académie et historien, Louis-Pascal Jacquemond était intervenu en mars 2012 devant l’Association des professeurs d’histoire-géographie pour distinguer trois époques dans l’enseignement de l’histoire de l’Algérie dans le secondaire - et notamment les décennies 1960 et 1970, qui marquent un tournant sous le haut patronage de l’école des Annales et de Fernand Braudel qui préside la commission des programmes en 1968-1969 et impulse un tournant vers une histoire plus critique. 

De la gare maritime, navette gratuite pour Marseille Saint-Charles le 20 juillet 1962 à la descente du bateau en provenance d'Algérie.
De la gare maritime, navette gratuite pour Marseille Saint-Charles le 20 juillet 1962 à la descente du bateau en provenance d'Algérie.
© Getty - Gamma / Keystone

Quand le mot "bourbier" surgit dans les manuels

En ouvrant les manuels scolaires de 1972, on voit par exemple que certains éditeurs ont fait le choix d’y consacrer trois ou quatre pages très explicites, et nourries de longs développements, explique encore en substance Benoit Falaize qui a repéré par exemple l’emploi du mot “bourbier” pour qualifier le conflit, dans un manuel daté de 1983. C’est ensuite, entre le milieu des années 80 et le milieu des années 2000, que ce récit historiographique s’appauvrira.

Il en ira ainsi pratiquement jusqu’à la fin des années 2000, quand les manuels d’histoire au lycée feront de nouveau une place importante au conflit qui durera de 1954 à 1962. Entre-temps, toute la décennie aura été marquée par le sursaut des questions mémorielles dans l’espace public, et bon nombre de polémiques sur la manière dont les cours d’histoire-géographie doivent faire de la place à des enjeux édulcorés. 

A la gare maritime de Marseille le 20 juillet 1962, à la descente du "Ville de Tunis" transportant des rapatriés d'Algérie.
A la gare maritime de Marseille le 20 juillet 1962, à la descente du "Ville de Tunis" transportant des rapatriés d'Algérie.
© Getty - Gamma / Keystone

Cette dynamique mémorielle d’écriture de l’histoire scolaire n’est pas allée sans un biais, et une lecture en partie simplificatrice, cependant. Le même Benoit Falaize relève ainsi que le FLN et De Gaulle sont ainsi renvoyés dos à dos, avec un nombre d’occurrences scrupuleusement identiques pour l’un comme pour l’autre dans la plupart des manuels, comme si les éditeurs avaient conscience de marcher sur des œufs.

En classe, les enseignants se sont en effet plaints pendant longtemps d’être largement démunis pour enseigner ce chapitre de l’histoire de France au XXe siècle. Une enquête avait eu lieu entre 2000 et 2002 sous la houlette de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) dans l’Académie de Lyon, qui montrait que les profs d’histoire du secondaire étaient finalement plus à l’aise pour aborder la Shoah, qu’ils connaissaient mieux et dont ils estimaient pouvoir plus aisément transmettre la mémoire, que la guerre d’Algérie. Même son de cloche deux ans plus tard, lorsque la même académie de Lyon organisera deux stages de formation continue sur la question. Car la question de l’enseignement devant les élèves masque en réalité celle des enseignants eux-mêmes. Au collège, la plupart s’en tiennent aux documents disponibles dans les manuels, et pour l’essentiel des tracts du FLN présentant les revendications indépendantistes. Au lycée, certains enseignants peuvent choisir d’enrichir leur cours par des archives audiovisuelles, comme le racontait Séverine Liatard dans sa “Fabrique de l’histoire scolaire” le 27 octobre 2016 sur France Culture :

La Fabrique de l'histoire scolaire et l'Algérie : le 27/10.2016

5 min

A la descente du "Ville de Tunis" le 20 juillet 1962, à Marseille, de retour d'Algérie.
A la descente du "Ville de Tunis" le 20 juillet 1962, à Marseille, de retour d'Algérie.
© Getty - Gamma/Keystone

Une chose reste largement méconnue : la guerre d’Algérie est inscrite dans les programmes scolaires à l’école primaire à partir de 2002.

Le 20 juillet 1962, des familles rapatriées d'Algérie patientent dans le hall de la gare maritime de Marseille à leur descente du bateau.
Le 20 juillet 1962, des familles rapatriées d'Algérie patientent dans le hall de la gare maritime de Marseille à leur descente du bateau.
© Getty - Gamma / Keystone