A Paris, l’insoluble question des enfants des rues

Le nombre d’interpellations de mineurs isolés marocains est en hausse à Paris. Les autorités s’arrachent les cheveux pour traiter le cas de ces enfants de la rue, à la fois délinquants et victimes.

 Les mineurs marocains sont entre trente et soixante en permanence dans la capitale.
Les mineurs marocains sont entre trente et soixante en permanence dans la capitale. LP/Jean Nicholas Guillo

    Sur l'escalator qui mène à la station Barbès-Rochechouart (Paris XVIIIe), un adolescent à la silhouette efflanquée, flottant dans un t-shirt orange, se glisse derrière une vieille dame voûtée. Un regard prudent en arrière et il se jette sur sa proie, la faisant chuter lourdement sur la tête. Bilan : un collier en toc dérobé et une hospitalisation dans un état sérieux… Cette scène violente, filmée fin juillet par les caméras de la RATP, illustre une délinquance qui préoccupe les autorités au plus haut niveau. Celle des mineurs marocains isolés à Paris, installés dans le quartier de la Goutte d'Or.

    Livrés à eux-mêmes, ils errent dans les rues, à la recherche de menus larcins pour survivre. Un casse-tête tant sécuritaire qu'humanitaire : la justice et les services de l'enfance peinent à trouver les réponses pénales et éducatives adaptées à ces migrants, délinquants ingérables mais aussi victimes de la rue à protéger.

    « Ils sont très jeunes, parfois âgés de 9 ou 10 ans, et déjà très abîmés, résume Laëtitia Dhervilly, vice-procureure de Paris et cheffe de la section des mineurs. Abîmés physiquement en raison des violences de rues et des violences qu'ils s'imposent entre eux. Mais aussi abîmés psychiquement car ils sont polytoxicomanes. Ils refusent tout contact avec l'adulte et prise en charge. »

    «Ils sont désinhibés par le Rivotril»

    Selon le ministère de l'Intérieur, plus de 1 200 interpellations de mineurs se déclarant Marocains ont été comptabilisées depuis le début de l'année à Paris. Soit une hausse de 52 % par rapport à 2017. L'an passé, 813 gardes à vue ont été diligentées. Un flux tendu qui a poussé la mairie de Paris à faire appel en juin à des fonctionnaires marocains pour identifier ces migrants. Alors que leur mission ne devait durer qu'un mois, ces renforts ont été prolongés.

    En réalité, ils sont entre trente et soixante mineurs marocains en permanence dans la capitale, au gré des mouvements. Ces sans-papiers autonomes multiplient les alias et les allers-retours entre les commissariats et la rue. « Au départ, ils commettaient des vols simples, à la tire, explique le parquet des mineurs. Désormais, désinhibés par le Rivotril (NDLR : un anxiolytique), ils s'adonnent aux vols qui peuvent être très violents, comme les arrachages de colliers, ou les cambriolages. »

    Leurs cibles : souvent des femmes seules ou âgées. Avec leur gabarit fluet, ils donnent dans les effractions acrobatiques. Comme le 4 août, dans le XVIIIe, où deux jeunes Marocains ont été interpellés, en possession de jumelles, après avoir dérobé bijoux et montres dans un appartement du quatrième étage en escaladant un échafaudage. « En garde à vue, ils sont plutôt méprisants et taiseux. Certains ont le regard vide, à force de sniffer de la colle », décrit Benjamin Pandolfo, délégué du syndicat SGP-Police pour le secteur.

    Aucun donneur d'ordre adulte identifié

    Ces mineurs marocains sont arrivés subitement au printemps 2016 dans la capitale, par dizaines, après être passés par l'Espagne. Ils ont aussi séjourné dans d'autres villes européennes, comme en Suède, où ils acceptent davantage l'accueil. Selon les magistrats spécialisés, ils affirment eux-mêmes « venir à Paris pour récupérer l'argent de la délinquance ». Une enquête judiciaire a été ouverte en 2017 pour percer les mystères de leur parcours migratoire.

    « À ce jour, les investigations ne démontrent pas l'existence de filières à l'immigration. Ni intermédiaires, ni donneurs d'ordres adultes n'ont été identifiés », indique Laëtitia Dhervilly. Un schéma à l'opposé de la délinquance des mineurs de l'Europe de l'Est -comme le clan Hamidovic -, petites mains de groupes mafieux. Des réseaux locaux ont bien été identifiés : de simples voyous qui profitent de la fragilité de ces jeunes Marocains pour échanger leurs butins contre des cachets de Rivotril ou un squat pour dormir…

    Plus troublant, les enquêtes n'ont mis au jour aucun orphelin. Au contraire, ces mineurs entretiennent des liens, via les réseaux sociaux, avec des parents restés au Maroc, souvent dans la région de Fès. Sans jamais révéler leur situation précaire.