Vous aussi vous exercez un bullshit job, "un métier à la con" dans la langue de Molière ? Vous serez rapidement fixé en lisant l’enquête publiée début septembre par David Graeber, l’inventeur du concept. Alors que l’automatisation des tâches pourrait permettre de libérer des millions de travailleurs, l’anthropologue déplore que nous soyons condamnés à répéter des taches inutiles et dénuées d’impact sur le monde.

Directeurs de fonds spéculatifs, conseillers en communication, consultants stratégiques, avocats d’affaires, lobbyistes, financiers… La listes des bullshit jobs, "les métiers à la con", tels que les conçoit l’anthropologue et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street David Graeber, est longue. Après avoir fait le buzz avec un article publié à l’été 2013 – qui a été lu plus de 10 millions de fois –, ce professeur de la London School of Economics revient en cette rentrée avec une enquête de 400 pages (1).
"Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste, que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence bien qu’il se sente obligé de faire croire qu’il n’en est rien." Voici la définition que donne l’auteur d’un bullshit job, des centaines de témoignages à l’appui. Ces boulots dénués de sens se sont tellement multipliés ces dernières années que désormais, "la moitié du travail accompli pourrait être éliminé sans aucune conséquence", estime-t-il.
Larbin, cocheur de case, porte-flingue…
Il a dressé cinq grandes catégories de jobs à la con. Il y a d’abord les larbins qui n’existent que pour permettre à quelqu’un d’autre de se sentir important. C’est le cas des assistants, des portiers, ou encore des réceptionnistes, symboles de respectabilité et d’importance. Bill raconte : "Je passais la moitié de ma journée à appuyer sur un bouton pour ouvrir la porte d’entrée aux résidents et à les saluer. Si je ne pressais pas le bouton à temps et qu’un résident était obligé d’ouvrir la porte à la main, mon responsable me tombait dessus." 
Il y a les consultants, dans la catégorie "cocheur de case", dont les rapports ne sont lus par personne. Dans la catégorie "petit chef", on trouve l’assistant brassant de l’air car son chef a besoin de justifier sa position hiérarchique. Dans la catégorie "porte-flingue", il y a l’avocat d’affaires gagnant de l’argent uniquement grâce aux erreurs du système. Tous ont en commun de dédier leur vie à des tâches inutiles et dénuées d’intérêt.
Angoisse et dépression
Ces travailleurs sont bien souvent minés par l’angoisse et la dépression. "Être obligé de me lever tous les jours pour un boulot que je trouve absurde s’est rapidement révélé épuisant et déprimant", raconte Ramadan. "C’était comme participer aux Jeux olympiques de la résistance à l’ennui", en rigole Nigel.
Pour David Graeber, "un être humain privé de la faculté d’avoir un impact significatif sur le monde cesse d’exister" explique-t-il. Les bullshit jobs constitueraient ainsi une "attaque directe contre ce qui nous rend humain". Pourtant, le phénomène ne soulève pas la révolte car dans nos sociétés, le travail a été érigé comme une "fin en soi", "un devoir sacré" argumente-t-il. Mieux vaut avoir un emploi, même inutile, que ne pas travailler du tout.
En 1930, l’économiste Keynes prédisait que, d’ici un siècle, le travail serait limité à 20, voire à 15 heures par semaine. Mais finalement, "nous nous retrouvons collectivement condamnés à passer la majorité de notre vie éveillée au travail à exécuter des tâches qui n’ont aucun impact significatif sur le monde", conclut-il. 
Concepcion Alvarez, @conce1 
(1) BullShit Jobs, David Graeber, Ed. Les Liens qui libèrent, 25 euros.

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