Migrants

Grèce : à Lesbos, le camp réservé aux migrants «est un monstre qui ne cesse de s'étendre»

Alors que les dirigeants européens sont réunis à Salzbourg pour évoquer notamment les questions migratoires et la création de «centres fermés», les hotspots surpeuplés des îles grecques se trouvent dans une situation explosive.
par Maria Malagardis
publié le 20 septembre 2018 à 15h28

L’annonce n’aurait pu mieux tomber : mardi, le gouvernement grec s’est enfin engagé à transférer 2 000 migrants de l’île de Lesbos vers la Grèce continentale d’ici la fin du mois. Une décision censée décongestionner quelque peu le camp surpeuplé de Moria qui abrite près de 9 000 personnes, dont un tiers d’enfants. Or, depuis plusieurs jours, les ONG installés sur place ne cessent d’alerter sur les conditions de vie abjectes dans ce camp, aux allures de caserne, prévu au départ pour 3 000 personnes.

Car Moria est censé accueillir l’immense majorité de réfugiés et migrants qui accostent sur l’île (ils sont aujourd’hui plus de 11 000 au total à Lesbos), en provenance des côtes turques qu’on distingue à l’œil nu au large. Généraliser les hotspots, ou centres fermés, en Europe : c’est justement l’une des options envisagées par les dirigeants européens réunis jeudi et vendredi à Salzbourg en Autriche. En Grèce, les hotspots créés il y a plus de deux ans, ont pourtant abouti à une situation explosive.

Moria, comme les autres hotspots des îles grecques, n’est certes pas un centre fermé : ses occupants ont le droit de circuler sur l’île, mais pas de la quitter. En mars 2016, un accord inédit entre l’Union européenne et la Turquie devait tarir le flot des arrivées sur cette façade maritime. Comme Ankara avait conditionné le rapatriement éventuel en Turquie de ces naufragés à leur maintien sur les hotspots d’arrivée, les îles grecques qui lui font face se sont rapidement transformées en prison. Condamnant les demandeurs d’asile à attendre de longs mois le résultat de leurs démarches auprès des services concernés. Certains attendent même une réponse depuis déjà deux ans. Et plus le temps passe, plus les candidats sont nombreux.

Silence

Si le deal UE-Turquie a fait baisser le nombre des arrivées, elles n'ont jamais cessé. Rien que pour l'année 2018, ce sont près de 20 000 nouveaux arrivants qui ont échoué sur les îles grecques, où l'afflux des barques venues de Turquie reste quasi quotidien. Selon le quotidien grec Kathimerini, 615 personnes sont arrivées rien que le week-end dernier. Pour le seul mois d'août, Lesbos a accueilli plus de 1 800 nouveaux arrivants. Des arrivées désormais peu médiatisées alors que les dirigeants européens se sont écharpés cet été sur l'accueil de bateaux en provenance de Libye. Et pendant ce temps à Lesbos, la situation vire au cauchemar dans un silence assourdissant.

Il y a une semaine, 19 ONG, dont Oxfam, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme dans une déclaration commune, dénonçant des conditions de vie scandaleuses, et appelant les dirigeants européens à abandonner l’idée de créer d’autres centres fermés à travers l’Europe.

«Moria, c'est un monstre qui n'a cessé de s'étendre. Faute de place on installe désormais des tentes dans les champs d'oliviers voisins, des enfants y dorment au milieu des serpents, des scorpions et de torrents d'eau pestilentiels qui servent d'égouts. A l'intérieur même du camp, il y a une toilette pour 72 résidents, une douche pour 80 personnes. Et encore, ce sont les chiffres du mois de juin, c'est pire aujourd'hui», dénonce Marion Bouchetel, chargée sur place du plaidoyer d'Oxfam, et jointe par téléphone. «Ce sont des gens vulnérables, qui ont vécu des situations traumatisantes, ont été parfois torturés. Quand ils arrivent ici, ils sont piégés pour une durée indéterminée. Ils n'ont souvent aucune information, vivent dans une incertitude totale», ajoute-t-elle.

Avec un seul médecin pour tout le camp de Moria, les premiers examens psychologiques sont forcément sommaires et de nombreuses personnes vulnérables restent livrées à elles-mêmes. Dans la promiscuité insupportable du camp, les agressions sont devenues fréquentes, les tentatives de suicide et d’automutilations aussi. Elles concernent désormais souvent des adolescents, voire de très jeunes enfants.

«Enfer»

«J'ai travaillé quatorze ans dans une clinique psychiatrique de santé mentale à Trieste en Italie», explique dans une lettre ouverte publiée lundi, le docteur Alessandro Barberio, employé par Médecins sans frontières (MSF), à Lesbos. «Pendant toutes ces années de pratique médicale, jamais je n'ai vu un nombre aussi phénoménal qu'à Lesbos de gens en souffrance psychique», poursuit le médecin, qui dénonce la tension extrême dans laquelle vivent les réfugiés mais aussi les personnels soignants. Sans compter le cas particulier des enfants «qui viennent de pays en guerre, ont fait l'expérience de la violence et des traumatismes. Et qui, au lieu de recevoir soins et protection en Europe, sont soumis à la peur, au stress et à la violence», renchérit dans une vidéo récemment postée sur les réseaux sociaux le coordinateur de MSF en Grèce Declan Barry.

«Comment voulez vous aider quelqu'un qui a subi des violences sexuelles ou a fait une tentative de suicide, si vous le renvoyez chaque soir dans l'enfer du camp de Moria ? Tout en lui annonçant qu'il aura son premier entretien pour sa demande d'asile en avril 2019 ? Actuellement, il n'y a même plus d'avocat sur place pour les seconder dans la procédure d'appel», s'indigne Marion Bouchetel d'Oxfam.

Il y a une dizaine de jours, la gouverneure pour les îles d'Egée du Nord avait menacé de fermer Moria pour cause d'insalubrité. Est-ce cette annonce, malgré tout difficile à appliquer, qui a poussé le gouvernement grec a annoncé le transfert de 2 000 personnes en Grèce continentale ? Le porte-parole du gouvernement grec a admis mardi que la situation à Moria était «borderline». Mais de toute façon, ce transfert éventuel ne réglera pas le problème de fond.

«Il a déjà eu d'autres transferts, au coup par coup, sur le continent. Le problème, c'est que ceux qui partent sont rapidement remplacés par de nouveaux arrivants», soupire Marion Bouchetel. Longtemps, les ONG sur place ont soupçonné les autorités grecques et européennes de laisser la situation se dégrader afin d'envoyer un message négatif aux candidats au départ. Lesquels ne se sont visiblement pas découragés.

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