Le choix du prénom en France en 2018 : liberté, diversité, originalité

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Le choix du prénom en France en 2018 : liberté, diversité, originalité

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En France, l'état-civil n'a plus le droit de refuser un prénom depuis 1993 ; c'est à la justice de trancher, dans l'intérêt de l'enfant
En France, l'état-civil n'a plus le droit de refuser un prénom depuis 1993 ; c'est à la justice de trancher, dans l'intérêt de l'enfant
© Getty - Jean-Pierre Rey

Repères. Les Français choisissent des prénoms de plus en plus divers et originaux par rapport au passé. Depuis 1993, ils sont aussi plus libres dans leur décision ; l'état-civil ne pouvant plus refuser de prénoms. Seule la justice en a le pouvoir, dans l'intérêt de l'enfant.

En France, le choix du prénom d'un enfant est un acte individuel libre effectué par les parents. Seule la justice peut en décider autrement, en invoquant l'intérêt de l'enfant. Et cette liberté est utilisée à plein : historiquement, nous vivons une époque de grande diversité des prénoms. Au Moyen Âge, la plupart des hommes s’appelaient Jean et en 1900, on n'avait d'autre inspiration que le calendrier chrétien.

Au Moyen Âge, tout le monde s'appelle Jean

"Le nombre des prénoms utilisés est très faible au Moyen Âge", explique Florian Besson, enseignant en histoire médiévale et auteur d'un article sur le sujet ("Quand les Kevin s'appelaient Jean"). "Sur la période que j'ai étudiée, du XIe au XVe siècle, le prénom Jean est porté par un tiers de la population masculine et parfois plus. C'est comme si une personne sur trois que l'on croisait aujourd'hui s'appelait Jean ! En gros, quatre ou cinq prénoms suffisent pour nommer environ 30 à 50% de la population." 

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A l'époque, Jean fait un carton car il est l'un des grands saints du Moyen Âge : "Saint Jean Baptiste est celui qui a baptisé le Christ, c'est extrêmement prestigieux. En plus, ce prénom est très pratique, il se décline dans plusieurs langues : Jean, Juan, Yoan, Johan, Giovanni... Ce sont tous les mêmes prénoms." Au Moyen Âge, la quête de l'originalité n'est pas non plus très répandue : "contrairement à aujourd'hui où le prénom définit l'identité d'une personne, à l'époque, le patronyme marque avant tout l'intégration dans une communauté et donc, il est logique de recevoir celui qui est le plus porté. La plupart du temps d'ailleurs, ce n'est qu'une étiquette lambda : on s'appelle Jean parce que tout le monde s'appelle Jean... Et Marie parce que tout le monde s'appelle Marie". Avant la Révolution, le prénom s'appelle nom de baptême et il est marqué par le poids de l'Eglise.

Dans certaines familles, le prénom se retrouve lié à l'identité de la lignée : les comtes de Tripoli s'appellent tous Raymond, les princes d'Antioche Bohémond et les rois de Jérusalem Baudoin, référence ici au fondateur de l'entité politique. Une habitude qui ne concerne pas que les milieux les plus hauts placés, "A Florence en 1463, on croise ainsi un Andrea, fils de Berto, fils d'Andrea, fils de Berto, fils d'Andrea, fils de Berto, fils d'Andrea... Le nom se fait conservatoire de la mémoire familiale, sur sept générations, comme peuvent l'être aujourd'hui les « ben » ou « ibn » arabes".

Par ailleurs, au Moyen Âge, les prénoms sont aussi le reflet des dynamiques d'une époque. Sur une grand échelle de temps, les noms germaniques sont les plus donnés du Ve au IXe siècle, "des noms en cric ou en ruc comme Théophric, Théodoric", décrit Florian Besson, "mais petit à petit, ils disparaissent et cèdent la place à une latinisation des noms. On voit apparaître des Jean, des Marc, des André, des Pierre...". A plus petite échelle, on assiste aussi à des phénomènes de mode : "Jean en hommage à Saint Jean Baptiste, on l'a dit, mais aussi François en hommage à François d'Assise qui va devenir LE grand saint du XIIIe siècle. On voit plein de François partout, notamment dans l'espace italien parce que les gens sont fascinés par cette nouvelle figure et du coup, veulent donner ce nom à leurs enfants"

L'influence des œuvres littéraires joue également un rôle : après la vague des premiers romans arthuriens à la fin du XIIIe siècle, "quelques prénoms deviennent en vogue comme Lancelot, Tristan ou Gauvain... Même si le phénomène reste assez marginal". Un phénomène que l'on retrouve aujourd'hui lorsque des fans de Game of Thrones choisissent les noms des personnages pour leur enfant (53 bébés ont pris le nom Khaleesi en 2014 au Royaume-Uni, du nom de l'héroïne de la série) suscitant parfois les moqueries.

François d’Assise, dont le prénom est devenu un classique. Oeuvre de la collection privée de l’industriel marseillais Joseph Arakel exposée en 2016
François d’Assise, dont le prénom est devenu un classique. Oeuvre de la collection privée de l’industriel marseillais Joseph Arakel exposée en 2016
© Maxppp - Nicolas Vallauri

Crispations sur les noms

L'opprobre suscité par un prénom n'est pas récent. En revanche, "au Moyen Âge, certains sont connotés socialement, comme Martin ! En Italie, au XVe siècle, ce prénom est associé aux bouseux, aux campagnards et c'est la honte de s'appeler comme ça", ajoute Florian Besson. "Et puis il y a les prénoms vus comme des marqueurs nationaux, au sens médiéval du terme, une communauté d'habitants partageant une langue. Par exemple, dans les communes italiennes qui se battent tout le temps, il y a des prénoms vénitiens, comme Marc. Si des Pisans (habitants de Pise) avaient appelé leur fils Marc, cela aurait été très mal reçu à l'époque. On peut parler d'une forme de pression sociale diffuse car le choix du prénom n'est pas qu'individuel, il dit aussi quelque chose des identités d'une personne. Il parle de notre rapport aux autres, aux ancêtres, aux morts, à la mémoire, à Dieu. Il renvoie à des processus culturels majeurs : diffusion d’une religion, d’une langue, construction d’une identité nationale. Les prénoms soulignent aussi l’écart qui nous sépare du Moyen Âge : même si la plupart des prénoms donnés aujourd’hui l’étaient aussi à cette période, ces siècles étaient dominés par la recherche d’une continuité, tandis que nous valorisons l’originalité."

Mais donnait-on aussi des prénoms pour mieux s'insérer dans une société ? "Il faut savoir que la quasi totalité des médiévaux parlaient plusieurs langues", répond Florian Besson, "et que passer de l'une à l'autre se faisait assez facilement, on n'avait aucune difficulté à reconfigurer son prénom dans la langue dans laquelle on était en train d'interagir. La notion d'orthographe n'était pas la même non plus et était moins figée. On passait ainsi de Juan en Espagne à Yohan en Pologne ; cela ne posait pas de problème de changer, c'était une façon de mieux s'insérer. Je n'ai qu'un exemple contraire, une forme de résistance passive : dans les Etats latins d'Orient où les Occidentaux se sont installés à la suite des Croisades. Malgré plusieurs siècles de présence de Français, d'Anglais, d'Allemands en terre orientale, ces derniers ne prenaient pas de noms arabes ou de prénoms de chrétiens d'Orient. Ils restaient attachés à leurs prénoms et on sent bien que cela cristallisait leur identité. Ils étaient très fiers de s'appeler Pierre, André ou Jean au milieu d'une population composée de Moïse, de Mohamed ou de Saliba, etc."

De quoi le prénom est-il le nom ? Entretien de Baptiste Coulmont, sociologue, avec Antoine Garapon ("Le Bien commun", avril 2012)

30 min

Du respect du calendrier chrétien à la quête de l'originalité

En effectuant un bond dans le temps jusqu'au début du XXe siècle, on constate que le nombre de prénoms n'a pas beaucoup évolué depuis le Moyen Âge : il est resté limité. "En 1900, 80% des Français donnent à leurs enfants des prénoms de saints catholiques", explique le sociologue Baptiste Coulmont dans une interview à la Croix à propos de son livre " La sociologie des prénoms", "En comparaison, ils ne sont plus que 20% en 2018." Jusque dans les années 50, le prénom Jean a conservé sa prééminence acquise au Moyen Âge puisqu'il était encore le plus donné aux petits Français en 1957, d'après Le Monde qui a consacré un article au sujet en se basant sur les données de l'Insee.

Mais en quelques décennies, la situation a basculé. Après la Seconde Guerre Mondiale, 10 à 15% des enfants s'appelaient encore Jean ou Marie alors qu'au début des années 90, le prénom le plus donné, Kévin, n'est attribué qu'à une minorité ; "97% des garçons ne portent pas ce prénom", décrit Baptiste Coulmont, dans une interview accordée cette fois au Monde (voir lien dans le précédent paragraphe). De manière générale, les familles choisissent des prénoms de plus en plus rares : "en 2017, le prénom le plus attribué, Emma, n'a été donné qu'à 4 000 petites filles, soit seulement 1% des naissances", remarque le sociologue, "aujourd'hui, neuf prénoms sur dix sont portés par moins de 3 000 personnes en France".

Baptiste Coulmont voit un basculement avec la loi du 3 avril 1993 qui a permis aux parents de choisir librement et sans contrainte le prénom de leurs enfants : "avant 1993, les officiers de l'état civil pouvaient refuser certains prénoms à consonance étrangère. Car pour l’état civil, le rôle du prénom n’était pas d’exprimer l’identité personnelle mais l’identité civile et nationale (...). Les immigrés devaient franciser leur prénom pour obtenir la nationalité française. Néanmoins, des circulaires recommandaient aux officiers d’appliquer la loi de manière souple." 

A propos des Français non immigrés, le sociologue mesure aussi une évolution : "Jusqu’au début du XXe siècle, le prénom de l’enfant était celui du parrain ou de la marraine, à savoir les grands-parents. On ne l’investissait pas d’autant d’émotion (...). C’est lorsque le couple conjugal s’autonomise de ses ancêtres que le choix du prénom se distingue enfin de l’héritage (...). Les Français, sans aucune origine migratoire, s’inspirent de plus en plus des registres exotiques pour choisir les prénoms de leurs enfants. Ils piochent notamment dans les cultures méditerranéennes comme Enzo ou anglo-saxonne comme Ryan".

La seule contrainte à laquelle s'exposent les parents est celle de la Justice. En cas de doute, l'officier d'état civil peut alerter le procureur de la République : si le juge estime qu'un prénom porte atteinte à l'intérêt de l'enfant, il peut décider de lui en donner un autre sans l'accord des parents. Dernièrement, un tribunal a ainsi rebaptisé une petite "Nutella" en "Ella" ou une petite "Fraise" en "Fraisine". D'autres tribunaux ont refusé les prénoms "Titeuf", "MJ", "Folavril", "Patriste et Joyeux" pour des jumeaux, etc... Enfin, la justice limite également le droit de choisir certains prénoms "régionaux" lorsqu'ils s'éloignent trop de l'alphabet officiel. En Bretagne, des parents qui voulaient nommer leur enfant Fañch ou Derc'hen ont été obligés de renoncer, la lettre ñ (avec l'accent "tilde") et l'apostrophe au milieu du nom n'étant pas reconnu par la justice.

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