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Société

Monseigneur Jean-Michel di Falco, l'évêque qui a dilapidé des millions d'euros

REVELATIONS - En quittant le diocèse de Gap l’an dernier, monseigneur Jean-Michel di Falco a laissé un trou de plusieurs millions d’euros ardoise. Outre un train de vie somptuaire, le prélat avait lancé un projet pharaonique de Lourdes bis que doit enterrer son successeur.

Olivier-Jourdan Roulot , Mis à jour le
Jean-Michel di Falco à Chanceaux-Pres-Loches en août 2015.
Jean-Michel di Falco à Chanceaux-Pres-Loches en août 2015. © Sipa

Ce jour-là, face à la foule rassemblée sous l'immense chapiteau, monseigneur Jean-Michel di Falco est aux anges. En s'avançant sous les applaudissements pour donner l'accolade à son invité, il sait qu'il vient de réussir son coup. Et d'administrer une nouvelle démonstration de son entregent. « Si vous avez une foi même pas plus grosse qu'un grain de sénevé [de moutarde], vous pouvez déplacer les montagnes", lance-t-il à Lech Walesa, paraphrasant l'Évangile. Le leader historique de Solidarnosc est venu dans les Alpes clôturer le 350e anniversaire du début des apparitions de la Vierge à Benoîte Rencurel. Profitant du moment, l'évêque de Gap annonce ce 1er mai 2015 le lancement du comité de parrainage de la future église de Notre-Dame du Laus, qui doit faire du sanctuaire de la bergère un lieu de pèlerinage mondial. Naturellement, la présidence échoit au Prix Nobel de la paix et ex-chef de l'État polonais.

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Deux ans plus tard, changement de décor. En prenant son poste à l'été 2017, Xavier Malle ne s'attendait pas à pareil baptême du feu. Pour un évêque fraîchement ordonné, le diocèse de Gap et d'Embrun présente les atours d'une jolie dot. Dans ce département de 140.000 âmes éparpillées dans les vallées, l'Église est restée une institution qui compte. L'atterrissage est brutal. "Je n'ai pas traîné, acquiesce l'intéressé. J'ai été ordonné le 1er juillet, j'ai fait faire un audit en août."
L'audit ? En s'installant dans ses nouveaux quartiers, Mgr Malle trouve un dossier sur son bureau. À l'intérieur, des cartes de visite mêlant patronymes célèbres et généreux donateurs, une série de permis de construire, le dessin d'une basilique aux lignes contemporaines… Il y a un hic, pourtant. Peut-être parce qu'il a géré dans une autre vie une collectivité publique, cet ancien directeur de cabinet du maire de Cognac flaire le loup. Sa curiosité va être servie. Confié au patron d'une entreprise lyonnaise qui fait promettre de protéger son anonymat, l'audit est bouclé en quelques semaines. La facture qu'il révèle est astronomique : 21 millions d'euros, pas moins.

Des dépenses dignes d'un ministre

Pour comprendre, un retour dans le passé s'impose. Au tournant de la décennie 2010, Jean-Michel di Falco se sent pousser des ailes. Si son parachutage à Gap en 2003 ressemblait à une mise au vert (pour fuir le bruit du scandale autour d'accusations de pédophilie*), l'air de la montagne a un effet euphorisant sur lui. Loin de Paris, l'étiquette "vu à la télé" impressionne, d'autant que le fondateur de la chaîne KTO reste dans les radars des médias. L'intitulé de son diocèse a été élargi en 2008 à la faveur d'une décision du Vatican – désormais, il porte aussi le nom d'Embrun. La même année, l'ancien bras droit du cardinal Lustiger obtient la reconnaissance officielle des miracles de Benoîte Rencurel. Une belle victoire tant Rome délivre ses labels au compte-gouttes. Mais l'évêque de Gap voit plus loin. Il veut faire de la bergère une sainte.

Pour convaincre le Saint-Siège de la béatifier, il a une idée : l'édification d'une basilique. Grâce à l'appui de parrainages qui témoignent de l'étendue de son carnet d'adresses, il fait phosphorer la fine fleur de l'architecture. Sur les rangs, pas moins de trois grands prix nationaux : Dominique Perrault, Rudy Ricciotti et Marc Barani. Le 21 juin 2012, pour proclamer le nom du lauréat du concours se pressent l'ex-ministre Jean-Jacques Aillagon, qui préside la séance, l'ancien directeur de l'École du Louvre Dominique Ponnau, le sénateur et président UMP du département des Hautes-Alpes Jean-Yves Dusserre et François Pinault, l'ami de longue date, qui a mis ses bureaux à disposition du jury. À la barbe de ses concurrents, Philippe Madec et sa basilique en bois sont retenus.

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Il est en train d'éliminer tous ceux qui ont travaillé avec moi

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Automne 2017. Xavier Malle fait procéder à un second audit consacré au fonctionnement du diocèse et de toutes les structures, satellites et paroisses qui lui sont rattachés. Là encore, mauvaise surprise : son prédécesseur a laissé de lourds et profonds déficits. Mgr di Falco menait grand train, faisant restaurer à grands frais sa maison, dans laquelle il a fait poser un magnifique parquet, et réaliser un siège épiscopal flambant neuf, le centre diocésain Pape-François. Dans les réceptions qu'il donnait, invités et people de passage étaient reçus en grande pompe. L'évêque se déplaçait dans toute la France, seul ou accompagné des Prêtres, le groupe qu'il a lancé et dont il gérait les tournées. Pour faire tourner sa petite entreprise, l'ancien pensionnaire du séminaire de Marseille avait mis en place une intendance digne d'un ministre, entouré d'un cabinet et d'un personnel pléthorique (une grosse trentaine de salariés).

Face à la situation financière de son navire, qu'il annonce en "faillite", l'évêque en titre décide de prendre des mesures radicales. Une grosse dizaine de "départs volontaires" sont actés au diocèse. L'équipe de direction est décimée en quelques semaines, au point que di Falco dénonce une chasse aux sorcières : "Il est en train d'éliminer tous ceux qui ont travaillé avec moi", s'étrangle-t-il au téléphone. Partie à la retraite après son départ, sa secrétaire n'est pas remplacée. Mgr Malle n'a plus de directeur de cabinet ni de responsable de catéchèse. L'ancien chargé des recherches de fonds s'est reconverti dans le commerce de vin. Le cuisinier prépare la popote dans une maison de retraite. Le jardinier n'est plus là pour soigner les roses. Pour le personnel de maison, l'évêque compose avec un couple de retraités : en échange du toit, l'une joue les assistantes occasionnelles, l'autre le marmiton de fortune.

Lors de notre visite, le chargé de communication n'est pas là pour nous accueillir. Il a une bonne excuse : il vient de recevoir sa lettre de licenciement. Lui non plus ne sera pas remplacé. L'économe, en instance de départ, devrait l'être en revanche. "J'ai fait les économies les plus faciles, mais je ne sais pas faire pour la suite, justifie Xavier Malle. Pour les centaines de milliers d'euros à trouver maintenant, j'ai besoin d'un œil neuf." Le nouveau cost killer devait être à l'œuvre à la rentrée.
Dès l'automne 2017, l'évêque a décidé de surseoir au lancement des travaux de Notre-Dame du Laus. Après quelques mois de suspense, les permis de construire courant jusqu'au terme de l'année 2018, le couperet est tombé : en mai, Mgr Malle a annoncé l'abandon définitif du projet Madec. Enterrant le grand œuvre de di Falco.

Une donation miraculeuse

Depuis son départ de Gap, le néoretraité s'est installé à Marseille dans le quartier maritime des Catalans – celui de son enfance. Il donne rendez-vous, après un premier refus, dans un café à quelques pas du Cercle des nageurs, où les futurs cracks des bassins forgent les records de demain. Sans sa soutane et sa croix, troquées contre le beige fadasse d'un polo assorti à son pantalon, le flamboyant ecclésiastique a perdu de sa superbe. Il dit être "à disposition", "pour rendre service" ; confie que "la rupture" a été "difficile" – "Quand vous vous baladez sur le marché de Gap, vous êtes reconnu, on vous aborde, vous êtes quelqu'un.". Il explique qu'il fait la cuisine, le ménage, la vaisselle. Des tâches dont on comprend qu'elles lui pèsent.

À l'évidence, Jean-Michel di Falco n'a pas avalé les critiques contre son action, qui ont pourtant à peine filtré dans la presse locale. "J'ai été blessé qu'il m'attaque, lâche-t-il au sujet de son successeur. Qu'on ne soit pas d'accord, ça arrive, mais pas comme ça, pas publiquement. Il dit qu'il a hérité d'un diocèse en faillite, c'est faux. Quand on possède une trésorerie qui se situait autour de 5 millions et un patrimoine de plusieurs millions, on ne peut pas dire ça." Tout compris, le patrimoine du diocèse de Gap se monte à 25,21 millions d'euros – il est notamment constitué d'un portefeuille d'immeubles à Paris.

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Dès qu'on parlait de réduire les dépenses, les gens me disaient : 'Ce n'est pas possible, on ne peut pas faire ça.'

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Les déficits répétés à chaque exercice (1 million d'euros en 2015, 800.000 euros en 2016, 700.000 en 2017) ? "C'était difficile, plaide-t-il. Dès qu'on parlait de réduire les dépenses, les gens me disaient : 'Ce n'est pas possible, on ne peut pas faire ça.'" À l'écouter, c'est d'ailleurs lui qui a engagé les coupes. À son crédit, la décision prise en 2015 de stopper la subvention à l'antenne locale de la radio RCF (autour de 100.000 euros). Sur le dégraissage mené par l'évêque actuel, l'ancien porte-parole de la Conférence des évêques de France se défend point par point. Puis lance : "Bien sûr, on peut licencier tout le monde, mais derrière il y a des familles et des enfants. Je ne l'ai pas fait, on peut m'en faire le reproche."

Même incompréhension sur la dérive inflationniste de la facture de l'église Madec : "Je ne sais pas d'où sortent ces chiffres, je ne sais pas…" Il faut insister pour que di Falco précise les choses. À sa façon. "La construction de la nouvelle église, c'était autour de 10 millions, c'est faux de dire que le projet était de 21 millions d'euros, développe-t-il. Après, Madec a mené une réflexion pour l'ensemble du site, c'était un projet à vingt ou trente ans, mais il n'a jamais été question de tout mettre en route." L'architecte n'a pas le même souvenir : "Le concours portait sur l'aménagement global du site, le contredit-il, ce n'est pas l'église qui coûtait 21 millions."

En 2013, Jean-Michel di Falco a reçu une donation miraculeuse de 10 millions d'euros qui lui a permis d'engager les travaux du centre diocésain de Gap : le legs Laurens, du nom d'une riche parisienne sans héritiers qui "a eu connaissance de ce qu'on a fait pour le diocèse, notamment la reconnaissance officielle pour Notre-Dame du Laus et Les Prêtres", expose-t-il.

Le nom de di Falco sur la façade de l'Olympia

Les Prêtres, justement. Le boys band en soutane a quitté la scène depuis 2016, année de ses derniers concerts. Mais il continue de générer des revenus. Peu ("4.000 à 5.000 euros par an"), selon celui qui en était la véritable vedette, dont le nom s'affichait sur la façade de l'Olympia et qui touchait les mêmes cachets que les trois chanteurs. Il ne souhaite pas en donner le montant : "Je ne veux pas qu'on croie qu'on a fait ça pour des cachets, mais c'est moins de 200 euros [par concert]." S'il s'agissait au départ de « faire un disque et un concert à Gap, rien de plus", pour financer de menus travaux au Laus, le succès dépassera tous ses espoirs. Jusqu'à nourrir un climat d'euphorie qui débouchera sur le projet Madec, porté par un di Falco marchant sur l'eau.

Avec trois albums et une compilation, des concerts en France et à l'étranger, le groupe a enregistré des ventes records (2,2 millions d'albums revendiqués) et rapporté beaucoup d'argent. L'essentiel est tombé dans les caisses de TF1, qui l'a produit et a assuré sa promotion. Le reste a été versé à l'association Spirale – autour de 3,5 millions d'euros pour les seules ventes d'albums, selon une estimation faite sur la base des éléments du contrat passé avec la chaîne de Bouygues. En dehors d'une première dotation pour restaurer l'église existante, le sanctuaire de Benoîte en a peu profité, même si di Falco assure que 900.000 euros ont été dirigés vers Saint-Étienne-le-Laus. "Les Prêtres? L'association ne dépend pas du diocèse et l'argent n'est pas allé dans ses caisses", confirme Xavier Malle.

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Le projet a fait peur à mon successeur…

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"Le projet a fait peur à mon successeur…" À la terrasse du Petit Catalan, Jean-Michel di Falco fixe le fond de sa tasse après avoir avalé une dernière gorgée de café. Assis dans le coin salon de sa résidence de Gap, Mgr Malle réplique du tac au tac : "Il ne restait plus que l'appel d'offres pour les entreprises, ils espéraient que ça lancerait les dons… Et on se serait retrouvés avec le pont qui ne mène nulle part ou l'autoroute s'arrêtant en pleine campagne !" Di Falco, lui, consulte sa montre à plusieurs reprises. La demi-heure négociée est dépassée. "Si j'étais resté, peut-être que j'aurais aussi dû renoncer, je ne sais pas…" Pour la première fois, l'inébranlable évêque semble traversé par le doute. "J'ai cru qu'on allait y arriver", lâche-t-il une dernière fois avant de prendre congé.

A Gap, l'heure est désormais à l'austérité

À Gap, la page est bel et bien tournée. Le temps des gestionnaires a remplacé celui du faste et de la communication. Terminé la démesure, les "­starchitectes", les médias sous intraveineuse, les curés aux verres fumés jouant les James Bond sur les affiches pour mobiliser autour du denier du culte. L'heure est à l'austérité. Mgr Malle n'a qu'une obsession : sortir de la spirale infernale des déficits.

"Jusqu'à présent, on faisait quoi? On vivait au-dessus de nos moyens. Pour faire la maison diocésaine, on a vendu une part d'un legs. Quand on aura tout vendu, on fait quoi?" À défaut de rêve, l'évêque néophyte tente de vendre à ses ouailles un projet bis pour le sanctuaire du Laus, pour lequel il a retenu un architecte local : "Le chiffrage, c'est 2 millions d'euros ; si on arrive à 3 millions, c'est très bon." Son conseil économique a fixé la barre limite à 4 millions pour ce Notre-Dame du Laus au rabais. Pour le moment, Malle a 900.000 euros en poche. L'argent des dons collectés… pour l'église Madec. L'évêque a contacté tous les grands donateurs. Pour lui, "les demandes de fonds sont basculables", car "elles n'étaient pas concentrées uniquement sur l'église signée Madec".

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Mgr di Falco correspondait sans doute à une époque passée

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Jean-Michel di Falco a-t-il sciemment trompé son monde en vendant du rêve à bon compte, sachant qu'il ne pourrait jamais régler l'addition? Et ceux qui y ont cru ont-ils été pris d'une fièvre mystique, au point d'emporter toute prévention, ou est-ce le nuage de paillettes dans son sillage qui les a aveuglés? "Si on avait pensé ça, on ne se serait pas dévoués pendant autant d'années", répond sèchement l'architecte Philippe Madec. Dans les Alpes, le silence observé aujourd'hui par ceux qui se flattaient hier de l'amitié de Mgr di Falco trahit leur gêne. Le maire de Gap, qui lui a remis la médaille d'honneur de la ville à son départ? Il devait nous rappeler, on attend toujours.

À Saint-Étienne-le-Laus, son homologue ne nous a reçu, lors d'une visite impromptue, que pour nous demander de le rappeler. L'ex-sénateur et président du département est décédé en 2014. Le commissaire aux comptes? Retranché derrière son secret professionnel. L'économe du diocèse? Il l'est aussi en paroles : pas de nouvelles, malgré nos sollicitations.*

À la Conférence des évêques, à Paris, la situation est jugée "préoccupante". Mais on tient à rappeler qu'"il n'y a pas de malversations" et à éviter de personnaliser les choses. "Chaque évêque fait des choix, élude Vincent Desmont, porte-parole de l'Église de France. Mgr di Falco correspondait sans doute à une époque passée, il était un évêque qui avait des moyens pour faire rentrer de l'argent. Aujourd'hui il faut être prudent, la situation de l'Église nécessite une vision pastorale un peu ­différente."

"Vous savez, Notre-Dame du Laus, c'est cinq années d'engagement, reprend Philippe Madec. Vous ne faites pas ça juste pour un rêve. En tant qu'urbanistes, on sait que les choses prennent du temps et que la durée et les budgets finissent par se marier." Pas à Gap ni au Laus. De la grande vision de di Falco, il ne reste rien en dehors des soucis financiers de son successeur et d'un livre pour l'éternité et la gloire, Ecclesia nova, coécrit avec le critique Jean-François Pousse. Di Falco le roi de la com l'a édité sans attendre que sa magnifique église soit construite. Feuilleter l'objet trois ans plus tard laisse une étrange impression. Dans les Hautes-Alpes, le miracle n'a pas eu lieu. À la place reste une image sur papier glacé. Celle d'un mirage. g

* En mai, après les tribunaux pénaux, la justice civile a considéré à son tour cette affaire remontant aux années 1970 comme prescrite. Le plaignant a fait appel.

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