Devant un mur rose de Faa’a, banlieue sud de Papeete, quatre jeunes tahitiens aux visages burinés par le soleil scrutent les voitures et les passants d’un regard blasé. Parmi eux, Moe, 22 ans, un habitué des lieux. Tatouages marquisiens sur les bras aux muscles saillants, il a cédé à la mode locale des cheveux en crête à la blondeur décolorée que n’aurait pas reniée Paul Pogba il y a un temps. Ici et là, un sourire édenté, un haussement de sourcils ou un geste de la main de surfeur, le pouce et le petit doigt en l’air. Les clients défilent : les popa’a (blancs) de la commune voisine huppée de Punauiaa sortent de leur pick-ups ; les jeunes du quartier déboulent sur leurs vélos, en wheeling. Ici, les petits sticks de « paka » (cannabis local) à 1 000 francs polynésiens [8 euros, ndlr] se vendent comme des petits pains. Depuis quelque temps, les dealers locaux comme Moe se sont diversifiés : ils proposent des sachets d’ice importés des Etats-Unis, puis vendus au dixième de gramme pour une centaine d’euros.
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Initialement utilisé au Japon pour ses effets de stimulant sexuel, ce dérivé de la métamphétamine (appelée aussi crank, speed ou crystal meth) fait des ravages à Tahiti depuis son arrivée en provenance des Etats-Unis à la fin des années 2000. Si l’on en croit le professeur Brugiroux, chef de service du centre de consultation en toxicologie, on compte aujourd’hui environ 10 000 consommateurs d’ice en Polynésie – soit environ une personne sur 30. De quoi glacer les autorités locales qui ont fortement resserré la vis sur les circuits d’approvisionnement d’ice au « Fenua », le « territoire » comme l’appellent les Tahitiens.Récemment, plusieurs réseaux structurés ont été démantelés par les services de douanes, de gendarmerie et de police en coopération avec les pays du Pacifique (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande). Le procureur de la République de Papeete, Hervé Leroy, salue le travail des forces de l’ordre qui sont parvenues à saisir 912 grammes d’ice depuis le début de l’année, et une somme de 63 millions de francs pacifique en cash. Selon le procureur, « depuis le début de l’année 2018, plus de 100 personnes qui ont été jugées et mises en examen pour des affaires d’ice, dont 14 en comparution immédiate, ce qui représente une augmentation de 250% par rapport à 2017 ! ».
« Avant, j’étais connu comme un grand sportif et puis…j’ai fait l’erreur de tomber dans l’ice » – Moerani Marlier
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Ainsi, en janvier 2018, trois « mules » ont été interpellées à l’aéroport avec des capsules d’ ice insérées « in corpore » en provenance de Californie et des dizaines de colis postaux interceptés. Après l’affaire des époux Dubaquier en mars, et l’affaire Kikilove en juin 2018, un hôtel du centre-ville de Papeete a été perquisitionné mi-août 2018 et 19 personnes ont été appréhendées dont un enseignant ancien président de la Fédération de futsal de Tahiti. Mais l’affaire la plus emblématique qui vient d’être jugée est celle dite de « Mai-Marlier ».Le 24 août dernier, devant une salle d’audience comble, Moerani Marlier a affirmé : « J’ai toujours travaillé dur dans ma vie, comme le prouve mon palmarès de champion de Polynésie en surf et de vice-champion du monde de kitesurf. Avant j’étais connu comme un grand sportif, et puis… j’ai fait l’erreur de tomber dans l’ice ».Auparavant reconnu pour ses qualités de glisse, Moerani Marlier est devenu un des « barons noirs » de l’ice à Tahiti, à tel point qu’il est surnommé « el chapo » – en référence au fameux narcos mexicain Joaquín Guzmán arrêté en 2016. Jusqu’à son arrestation, le train de vie de Moerani Marlier n’avait rien à envier à son « mentor » mexicain : une existence partagée entre trois villas entre les îles de Tahiti et Moorea, jets-skis et bateaux de luxes et des soirées bien arrosées. Avec son complice - Yannick Mai, dit le « parrain » et détenu aux Etats-Unis – il est accusé d’avoir importé une quantité considérable d’ice à Tahiti en provenance de Californie via un réseau de mules. Les deux « narcos tahitiens » ont été condamnés respectivement à des peines de 8 et 10 ans de prison.
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