’ex patron de la DGSE Bernard Bajolet : « La France manque de vision sur les conflits »

Dans un ouvrage qui paraît ce jeudi, Bernard Bajolet, diplomate tout terrain et ancien patron du renseignement extérieur (DGSE), considère les interventions militaires françaises dénuées de toute forme de « continuité ».
Sébastien MICHAUX - 20 sept. 2018 à 05:00 - Temps de lecture :
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Bernard Bajolet avec les militaires français lorsqu’il était ambassadeur à Kaboul, en pleine guerre d’Afghanistan.  Photo Sébastien MICHAUX
Bernard Bajolet avec les militaires français lorsqu’il était ambassadeur à Kaboul, en pleine guerre d’Afghanistan. Photo Sébastien MICHAUX

Dans le corps des diplomates, il fait partie de ceux « élevés à l’école du gilet pare-balles ». Damas, Amman, Sarajevo, Bagdad, Alger, Kaboul… Bernard Bajolet a, au cours de ces quatre dernières décennies, a arpenté les terrains de tous les principaux conflits. Défié la mort plusieurs fois, lui qui fut la cible de tentatives d’assassinats aussi bien en Irak qu’en Afghanistan.

François Mitterrand, contrairement à ses habitudes, le reçut avant de l’envoyer comme ambassadeur en Jordanie en 1994. Jacques Chirac lui confia la mission de hisser à nouveau le drapeau tricolore dans la capitale irakienne en plein chaos en 2003. Nicolas Sarkozy fit de lui, en 2008, le premier coordonnateur du renseignement. François Hollande le nomma patron de la DGSE en 2013, poste que ce Lorrain de naissance et Franc-Comtois d’adoption, occupa jusqu’à mai 2017, lorsqu’il prit sa retraite.

De ces quatre présidents de la République, il est question dans le récit que Bernard Bajolet dresse de ces années passées au cœur de la machine diplomatique dont il dévoile une partie des coulisses, à grand renfort d’anecdotes parfois savoureuses. Mais pour ce serviteur de l’État, « Le Soleil ne se lève plus à l’Est », son ouvrage à paraître ce jeudi, est aussi l’occasion de donner ouvertement une position qui, compte tenu de sa personnalité, s’avère tout sauf anodine. « Nos politiques dans le monde souffrent d’une approche excessivement à court terme, on manque de vision et de souffle et de continuité dans l’effort », estime Bernard Bajolet en évoquant les interventions militaires. « Dans les années 90 dans les Balkans, après un engagement très fort, on a dénombré plus de 80 militaires français tués, nous nous sommes retirés. On a lâché pied en Bosnie qui reste un pays fragile, ça n’intéressait personne alors qu’il s’agit d’un terrain d’action pour la Russie et la Turquie ».

Opérations militaires sans solution politique

Idem en Centrafrique. « On a poussé le président à intervenir, c’était lourd pour François Hollande quelques mois après le Mali. D’autant que nous n’avions aucun soutien de l’ONU, qui s’est engagée ensuite modestement. Mais il fallait le faire. Depuis ? »

Pas plus de solution durable dans le Nord Mali, où évoluent 4 500 soldats français, même si Bernard Bajolet pointe également la responsabilité des pouvoirs à Bamako et Alger. « Nos armées sont également réticentes à combattre les trafics, notamment de drogue, pour ne pas s’attirer l’hostilité des tribus. L’échec, en Afghanistan, tient aussi à cela. »

Pour l’ex-patron du principal service de renseignement français, tout est là : « La politique de nos gouvernements est de plus en plus dictée par l’actualité, par les émotions de l’opinion publique, on s’en tient à un traitement symptomatique des crises ». La Libye en est peut-être le parfait exemple.

« On n’a pas préparé l’après Kadhafi»

« On n’a pas préparé l’après Kadhafi qui n’avait pas créé d’État ». Quant à la Syrie, Bernard Bajolet, qui fut très proche de Bassel, le frère aîné de Bachar Al Assad appelé à prendre la tête du pays s’il n’avait pas trouvé accidentellement la mort, se défend : « La diplomatie n’a pas failli. Lorsque notre ambassade est attaquée en 2011, ce qui n’est pas imaginable sans l’implication du régime, il n’en est plus question. D’autant qu’on obtient toutes les preuves que Bachar gazait son peuple. Mais on aurait dû voir que la Syrie n’était pas un enjeu majeur pour Obama ».

Allusion au recul des Etats-Unis sur la perspective d’engager des frappes aériennes au côté de la France en représailles de l’utilisation, par Damas, d’armes chimiques. « Un tournant » aux yeux de l’ancien diplomate ayant eu pour effet de modifier le rapport des forces : « cela a remis la Russie dans le jeu ». Donc non, à ses yeux, « Le Soleil ne se lève plus à l’est ». Sauf à répondre par l’affirmative à cette question qui clôt l’ouvrage : « Les rayons du soleil d’Orient perceront-ils les épais nuages qui l’étouffent ? » Une chose est sûre selon lui : la France doit y jouer un rôle primordial.

« Le Soleil ne se lève plus à l’Est, mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate » de Bernard Bajolet, éd. Plon, 459 pages, 21,90 €.