Le Caravage (1571-1610) est de ces rares artistes anciens qui réunissent les ingrédients capables d’attirer les foules : une vie picaresque en clair-obscur et une œuvre très expressive au goût du jour. En dix ans, d’ailleurs, pas moins d’une trentaine d’expositions lui ont été consacrées dans le monde. Mais pas une seule à Paris depuis 1965. Un vide que veut combler le Musée Jacquemart-André avec « Caravage à Rome, amis et ennemis » à partir du 21 septembre.
Des musées réticents
Pour relever le gant, l’institution parisienne a les reins solides : elle a mis sur la table plus de 1 million et demi d’euros afin de financer le transport, l’assurance, la scénographie et la communication. Mais l’argent seul ne suffit pas. Pour décrocher dix œuvres, dont quelques pépites comme Judith décapitant Holopherne, Jacquemart-André a utilisé une précieuse monnaie d’échange : sa propre collection d’art ancien. Le corpus d’œuvres indiscutables du peintre milanais est resserré, à peine une soixantaine de toiles authentifiées. Une bonne partie d’entre elles, de très grand format, est accrochée dans des églises en Italie et peut difficilement bouger. Quant aux musées, ils sont réticents à se défaire de leurs chefs-d’œuvre les plus emblématiques, qui ornent la couverture de leurs guides.
« C’est un échange de bons procédés : le public italien qui ne connaît pas forcément bien Rembrandt a l’occasion d’en voir un pendant quelques mois. » Francesca Cappelletti, co-commissaire de l’exposition
L’Ermitage de Saint-Pétersbourg n’était pas très chaud pour prêter son seul et unique Caravage, Le Joueur de luth, jamais présenté à Paris. Pour le convaincre, Jacquemart-André lui a envoyé en retour un Saint Georges terrassant le dragon, de Paolo Uccello, le temps de l’exposition parisienne. Avec les musées transalpins, la pratique du donnant-donnant est bien huilée. « Tous les deux ans, nous faisons une grande exposition italienne, c’est dans notre ADN. Et du coup, on connaît bien nos collègues italiens », explique Pierre Curie, conservateur du musée.
La Pinacothèque de Brera, à Milan, a ainsi consenti à prêter l’une des toiles les plus célèbres du Caravage, Le Souper à Emmaüs, en contrepartie d’un tableau illustrant le même sujet biblique, mais par Rembrandt. « C’est un échange de bons procédés : le public italien qui ne connaît pas forcément bien Rembrandt a l’occasion d’en voir un pendant quelques mois », résume Francesca Cappelletti, co-commissaire de l’exposition et grande spécialiste du Caravage. Certaines institutions transalpines se sont montrées plus coriaces que d’autres. Francesca Cappelletti a dû argumenter pendant deux ans pour obtenir Le Jeune Saint Jean-Baptiste au bélier des Musées du Capitole à Rome. « J’ai insisté en disant que j’avais établi par mes recherches la datation exacte du tableau, raconte-t-elle, fière de cette prouesse. Je leur ai forcé la main ! »
« Caravage à Rome, amis et ennemis », Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, Paris 8e. Jusqu’au 28 janvier 2019. www.musee-jacquemart-andre.com
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