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Prix Nansen : un chirurgien sud-soudanais honoré pour son « aide extraordinaire » aux réfugiés

Le docteur Evan Atar Adaha se voit distinguer pour l’année 2018 par le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nation unies.

Par  (Nairobi, correspondance)

Publié le 25 septembre 2018 à 07h00, modifié le 25 septembre 2018 à 08h15

Temps de Lecture 4 min.

Le chirurgien Evan Atar Adaha dans le bloc chirurgical de l’hôpital de Bunj, au Soudan du Sud.

Retirer un kyste, opĂ©rer une thyroĂŻde, pratiquer une cĂ©sarienne. Les jours « normaux Â», la vie d’Evan Atar Adaha ressemblerait presque Ă  celle d’un chirurgien comme un autre. Si ce n’est que ce mĂ©decin sud-soudanais travaille dans une salle d’opĂ©ration Ă©clairĂ©e par une faible ampoule, Ă  la merci de gĂ©nĂ©rateurs Ă©lectriques capricieux, sans banque de sang et souvent sans machine d’anesthĂ©sie en Ă©tat de marche et qu’il remplace par des injections de kĂ©tamine, faute de mieux.

Et puis il y a « les jours fous Â». Ceux oĂą dĂ©barquent, après des combats, cent personnes souffrant de blessures de guerre. Pour ces jours-lĂ , le « Dr Atar Â», seul chirurgien de l’hĂ´pital de Bunj, a sa mĂ©thode, Ă©prouvĂ©e par des annĂ©es de conflit. « Je leur demande de faire la queue pour ĂŞtre soignĂ©s. S’ils peuvent se tenir debout, c’est qu’ils ne vont pas si mal. Il faut donc d’abord s’occuper des autres et commencer par ceux qui vont mourir dans les dix minutes Â», explique le mĂ©decin en touchant les petites lunettes qui lui pendent au cou.

Plus de 200 000 patients potentiels

L’hĂ´pital du docteur Atar est situĂ© Ă  plus de 600 km de Juba, lointaine capitale d’un pays ravagĂ© par la guerre civile depuis 2013. L’établissement est le seul encore ouvert dans tout le Nil-SupĂ©rieur, rĂ©gion de l’extrĂŞme nord très touchĂ©e par le conflit et qui accueille Ă©galement de nombreux rĂ©fugiĂ©s soudanais. InstallĂ© dans la petite ville de Bunj, près de la frontière entre les deux pays, il a potentiellement la charge de plus de 200 000 patients – Ă  71 % des rĂ©fugiĂ©s – qui font parfois plusieurs heures de marche pour se rendre Ă  l’hĂ´pital. Face Ă  l’afflux, il arrive que les lits soient occupĂ©s par plusieurs patients. « Nous prenons tout le monde, explique le mĂ©decin, de passage Ă  Nairobi. C’est un challenge immense, mais ces gens ne peuvent compter que sur cet hĂ´pital. Leur dire : “DĂ©solĂ©, nous ne pouvons pas vous soigner”, c’est comme leur dire “Rentrez mourir chez vous”. Â»

L’hôpital de Bunj, au Soudan du Sud.

C’est Ă  cet homme de 52 ans, toujours calme et Ă©lĂ©gant dans sa chemise bleue rayĂ©e, que le Haut-Commissariat pour les rĂ©fugiĂ©s des Nations Unies (HCR) vient de dĂ©cerner pour « son aide extraordinaire Â», mardi 25 septembre, le prix Nansen, qui soutient chaque annĂ©e le travail des « hĂ©ros Â» ayant Ĺ“uvrĂ© en faveur des personnes rĂ©fugiĂ©es ou dĂ©placĂ©es. « C’est un homme très humble, qui vit dans une tente alors qu’il pourrait avoir une vie luxueuse. Et qui, lorsque tous les autres Ă©vacuent la rĂ©gion, reste pour prendre soin des patients Â», loue Eujin Buyn, porte-parole du HCR Ă  Juba, qui le connaĂ®t bien.

Le prix, assorti d’une enveloppe de 150 000 dollars, lui sera remis lors d’une cĂ©rĂ©monie le 1er octobre, Ă  Genève, en prĂ©sence d’un parterre d’officiels et de l’actrice australienne Cate Blanchett. « Je ne connaissais pas l’existence de ce prix avant que le HCR ne m’honore Â», reconnaĂ®t le chirurgien. Tout cela, dit-il, lui est arrivĂ© « par accident Â».

MaĂ®tre de « l’improvisation Â»

A la mort de son père, Ă©leveur dans un village du sud du pays, Evan Atar Adaha aurait dĂ» ĂŞtre vouĂ©, dès ses 7 ans, Ă  prendre en charge sa famille. Mais un fait divers est venu bouleverser cette destinĂ©e. Un voisin, analphabète, est accusĂ© d’un crime. Incapable de se dĂ©fendre, il est emprisonnĂ©. « Ma mère m’a dit : tu sauras lire et Ă©crire, ensuite tu reviendras ! Et elle m’a envoyĂ© Ă©tudier Ă  Juba. Â» Après plusieurs bourses, il ira poursuivre des Ă©tudes secondaires Ă  Khartoum, puis intĂ©grera l’universitĂ© de mĂ©decine du Caire. Il commence Ă  pratiquer la chirurgie en Egypte avant d’accepter, en 1997, un projet humanitaire Ă  Kurmuk, au Soudan, en proie Ă  la guerre civile. IsolĂ©, manquant de mĂ©dicaments, il devient un maĂ®tre de « l’improvisation Â» : appliquer des herbes sur des blessures pour arrĂŞter les hĂ©morragies, recoudre une plaie avec du fil de pĂŞche, rĂ©aliser une trachĂ©otomie avec n’importe quelle tige vĂ©gĂ©tale creuse.

En 2011, les combats se rapprochent de Kurmuk. Il n’y a plus rien Ă  manger. Le docteur dĂ©cide alors de partir, embarque quelques patients et tout ce qu’il peut d’équipements « dans quatre voitures et un tracteur Â». Direction le Soudan du Sud, qui vient alors de dĂ©clarer son indĂ©pendance du Soudan, et connaĂ®t une paix relative. Le trajet, moins d’une centaine de kilomètres, prendra un mois. Le convoi s’arrĂŞte Ă  Bunj, l’une des premières villes après la frontière et qui compte un centre de santĂ© abandonnĂ©. « Nous sommes arrivĂ©s le 22 novembre 2011, se souvient Dr Atar. Le 23, nous avons installĂ© des tables, j’ai commencĂ© les opĂ©rations. Â»

Le docteur Evan Atar Adaha avec nouveau-né dans son hôpital de Bunj, au Soudan du Sud.

Depuis, il ne s’arrête que trois fois par an pour aller rendre visite à sa femme et à ses quatre enfants, qui vivent à Nairobi. L’hôpital, lui, s’est développé. Une cinquantaine de personnes, dont quatre docteurs, y travaillent. Grâce à des fonds de l’ONG Samaritan’s Purse et du HCR, deux salles d’opération ont été installées, un espace pour les malades de la tuberculose a été construit et l’infatigable chirurgien reçoit un salaire. Mais beaucoup d’équipements manquent encore pour faire face à l’afflux de patients. Avec l’argent du prix, le Dr Atar, qui n’envisage pas de quitter Bunj, compte obtenir une machine d’anesthésie, aménager une maternité et acheter enfin de grandes lampes halogènes pour éliminer les ombres dans sa salle d’opération.

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