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Défense

Rafale en Inde : les explications sur l'énorme bourde de François Hollande

En une sortie pour défendre sa compagne Julie Gayet, l'ancien président a relancé une énorme polémique en Inde autour du contrat pour 36 Rafale signé en 2016. Et plombé le chasseur français au moment où il vise de nouveaux contrats avec Delhi. Explications.

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Visite de François Hollande à la chaîne d’assemblage final du Rafale , à Mérignac (Gironde), le 4 mars 2015.

Visite de François Hollande à la chaîne d’assemblage final du Rafale , à Mérignac (Gironde), le 4 mars 2015.

© Dassault Aviation - S. Randé

Il aura suffi de deux phrases pour mettre le feu aux relations franco-indiennes, et plomber le Rafale sur les futurs appels d'offres de Delhi. Deux petites phrases prononcées par François Hollande, interrogé sur le choix du conglomérat indien Reliance comme partenaire de Dassault lors du contrat pour 36 Rafale signé avec l'Inde en septembre 2016. "C'est le gouvernement indien qui a proposé ce groupe de services, et Dassault qui a négocié avec Ambani (PDG de Reliance), assurait ainsi François Hollande à Mediapart dans un article publié le 21 septembre. Nous n'avions pas notre mot à dire à ce sujet, nous n'avons pas eu le choix, nous avons pris l'interlocuteur qui nous a été donné."

Insignifiantes en apparence, ces deux phrases ont fait l'effet d'une bombe à Delhi. Et pour cause : elles contredisent la version du premier ministre indien Narendra Modi sur l'affaire. Accusé par le parti du Congrès, principale formation d'opposition, d'avoir favorisé le dirigeant de Reliance Anil Ambani, patron dont il est réputé proche, lors des négociations d'offset (compensations industrielles) autour du contrat pour 36 Rafale signé en 2016, Modi a toujours nié être intervenu dans l'affaire. C'est bien Dassault et lui seul, assure le gouvernement indien, qui a fait le choix de Reliance. Une position qui a également toujours été celle du gouvernement français et de Dassault Aviation.

Cadeau du ciel pour Gandhi

La sortie de François Hollande a jeté le doute sur ce discours officiel, et remis de l'huile sur le feu d'une polémique lancée fin 2017 par le patron du parti du Congrès Rahul Gandhi. Principal opposant à Narendra Modi, Gandhi n’a eu de cesse, depuis la fin 2017, de faire de l' "affaire Rafale" l'aiguillon de son offensive électorale contre le premier ministre, parlant d' "escroquerie" et de "capitalisme de copinage" au sujet du choix de Reliance. Le conglomérat, souligne l'opposition indienne, n'avait aucune expérience aéronautique avant d'être choisi par Dassault pour bénéficier des "offsets", ces compensations industrielles que doit consentir tout bénéficiaire de contrat de défense. Si Reliance a été préféré au géant public HAL (Hindustan Aeronautics Limited), acteur historique du secteur en Inde, c'est donc en raison des liens de proximité entre Modi et Anil Ambani, accuse Rahul Gandhi. La sortie de François Hollande est tombée à pic pour Gandhi, qui en a profité pour réclamer à nouveau la démission de Narendra Modi.

Le camp français, de son côté, s'est immédiatement désolidarisé des propos de l'ex-président. Le Quai d'Orsay s'est fendu d'un communiqué dès vendredi soir pour indiquer que "conformément à la procédure d’acquisition indienne, les industriels français ont toute liberté de choisir les partenaires industriels indiens qu’ils estiment les plus pertinents" pour les projets d'offsets. En clair, c'est bien Dassault, et personne d'autre, qui a fait le choix de Reliance. L'avionneur français est sur la même ligne : Dassault assurait dans un communiqué publié le 21 septembre que ce choix était bien "le choix de Dassault Aviation, comme l’avait déjà expliqué Eric Trappier (PDG de Dassault Aviation) dans une interview publiée par le journal MINT le 17 avril 2018".

Différend avec HAL

Eric Trappier avait détaillé les raisons du choix de Reliance – et de la non-sélection des autres grands acteurs indiens - lors d'un entretien avec Challenges en mars 2017, dont une partie n'avait pas été publiée. HAL? Le groupe public lui paraissait déjà fonctionner à pleine charge, entre le développement du chasseur local Tejas et la production sous licences d'appareils russes Sukhoi. Les relations entre les deux groupes étaient par ailleurs difficiles: Dassault n'était pas parvenu à se mettre d'accord avec le groupe public lors des négociations contrat dit MMRCA pour 126 appareils, HAL ne voulant pas prendre la responsabilité des Rafale qu'il aurait assemblés en Inde. Tata, autre géant indien? "Trop proche des concurrents américains, notamment de Boeing", assurait Eric Trappier. Les deux groupes ont, de fait, créé une coentreprise dans la défense. Restait donc le fameux Reliance, novice en aéronautique, mais désireux de s’y diversifier depuis plusieurs années. Le candidat idéal, assurait Eric Trappier : "Nous apportons notre expérience aéronautique, Reliance nous amène sa connaissance de l'Inde, expliquait Eric Trappier. Ils nous ont notamment orientés vers la ville de Nagpur pour notre future usine commune." Celle-ci, en cours de construction, doit assembler des pièces de Falcon 2000 dans un premier temps, puis éventuellement des pièces de Rafale.

Quel crédit apporter aux accusations de Rahul Gandhi? A bien y regarder, la relation de Dassault avec Reliance avait commencé bien avant le contrat Rafale de 2016. Les premières discussions avec Mukesh Ambani, grand frère d’Anil Ambani et patron d’une des deux branches du groupe, avaient eu lieu dès 2007, soit huit ans avant le fameux contrat. Narendra Modi n'était alors pas au pouvoir: c'est bien le parti du Congrès de la famille Gandhi qui dirigeait alors le pays. Un MoU (Memorandum of Understanding) avait même été signé en 2012 entre Dassault et la branche défense du conglomérat. Cet accord avait fait long feu du fait de la décision de Mukesh Ambani de sortir du secteur militaire. La division défense avait été reprise par son frère cadet Anil, à la tête de l'autre branche du groupe familial indien. Cette ancienneté des rapports entre Dassault et Reliance, s'il elle ne prouve pas l'absence d'intervention de Modi, affaiblit les accusations de Rahul Gandhi.

L'ombre de Julie Gayet

Les montants évoqués par le chef de l'opposition indienne, qui parle d'un "contrat de plusieurs milliards de dollars" accordé à Reliance, apparaissent aussi contestables. Le contrat Rafale était d'un peu moins de 8 milliards d'euros (7,87 milliards exactement), dont 50%, soit environ 4 milliards, doivent être réinvestis par Dassault en Inde à travers les fameux offsets. Or l'usine commune de Dassault et Reliance à Nagpur, fer de lance de l'alliance des deux groupes, n'a fait l'objet que d'un investissement de 100 millions d'euros de la part de Dassault, preuve que Reliance est loin d'être le seul bénéficiaire des fameux offsets. "Des partenariats ont également été signés avec d’autres entreprises indiennes telles que BTSL, DEFSYS, Kinetic, Mahindra, Maini, SAMTEL, soulignait Dassault Aviation dans son communiqué du 21 septembre, ajoutant que "des négociations sont en cours avec une centaine d’autres partenaires potentiels".

Pourquoi, alors, François Hollande s'est-il montré si affirmatif ? S'est-il bien rendu compte de la portée de sa sortie, alors que Dassault vise deux nouveaux contrats en Inde (114 chasseurs pour l'armée de l'air, 57 pour la Marine) ? L'ancien président semble avant tout avoir voulu se défendre d’une possible accusation de conflit d'intérêt. Une partie de la presse indienne avait en effet rapproché la vente de Rafale en Inde, le choix de Reliance comme partenaire, et le fait que le groupe indien avait partiellement financé en 2016 un film de Julie Gayet, compagne de l'ex-président. En affirmant que Reliance avait été imposé par le gouvernement indien, François Hollande a probablement voulu tuer dans l'œuf ce début de polémique. Il en a, malheureusement, relancé une autre, cent fois plus grosse. "Un ex-président ne devrait pas dire ça", ironise un industriel.

L'ex-chef de l'Etat lui-même a rapidement opéré un rétropédalage assez piteux. Interrogé par l’AFP sur les pressions supposées du gouvernement indien pour que Reliance soit le partenaire de Dassault, François Hollande a botté en touche, assurant qu'il n'était "pas au courant" et que "Dassault est seul capable de le dire". Un discours sensiblement différent de celui livré à Mediapart, mais qui n'a eu guère d'écho dans le brouhaha général.

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