Analyse. Deux jours ont suffi pour que le Spiegel fasse le parallèle. « Bien sûr, l’histoire ne repasse pas les plats, mais quand des foules excitées d’extrême droite créent de l’agitation au cœur de l’Allemagne et que l’Etat de droit est dépassé par les événements, cela rappelle un peu la situation de la République de Weimar », écrivait l’hebdomadaire allemand dans son « briefing matinal », le 28 août, quarante-huit heures après les premières manifestations provoquées par la mort d’un Allemand poignardé à Chemnitz (Saxe), après une altercation avec des demandeurs d’asile.
Dix jours plus tard, le président de la République fit à son tour le rapprochement. Dans un discours prononcé à Berlin, le 7 septembre, Frank-Walter Steinmeier ne cita certes pas le mot « Weimar », cette petite ville de Thuringe où fut rédigée, en 1919, la Constitution de la première République allemande. Mais l’allusion au régime balayé quatorze ans plus tard par les nazis était transparente. « Ceux qui crient haut et fort qu’il faut “renverser le système” doivent se souvenir de ce à quoi conduisit le mépris pour la première démocratie qui a existé sur le sol allemand. Un pays avec une histoire comme la nôtre ne doit jamais l’oublier », déclara-t-il ce jour-là.
L’avertissement visait Alexander Gauland, coprésident du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Trois jours plus tôt, celui-ci avait appelé à une « révolution pacifique » contre « le système politique ».
Repris par plusieurs éditorialistes ainsi que par quelques autres responsables politiques, le parallèle avec Weimar n’a pas tardé à faire réagir les historiens. Ceux-ci, dans différentes tribunes ou émissions, n’ont pas manqué de pointer ce qui distingue l’Allemagne de 2018 de celle du début des années 1930.
Bien des éléments essentiels qui expliquent la chute de la République de Weimar sont absents aujourd’hui : l’illégitimité du régime, associé par des pans de la population de l’époque, à l’humiliant « diktat » du traité de Versailles (1919) ; l’hyperinflation de 1923, puis le krach de 1929, qui plongèrent le pays dans une crise économique et sociale sans précédent ; l’instabilité chronique d’une vie politique marquée par une violence endémique, cette fameuse « brutalisation » des comportements issue de la première guerre mondiale et dont l’historien George Mosse (1918-1999) montra à quel point elle fut l’une des conditions essentielles de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en 1933.
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