Les nouveaux portiques de contrôle de la gare Saint-Lazare, à Paris, installés à partir de septembre 2018.

Les nouveaux portiques de contrôle de la gare Saint-Lazare, à Paris, installés à partir du 26 septembre.

Hugo Hebrard

S'il existait des Jeux olympiques de la fraude dans les transports en commun, les Français emporteraient sans doute la médaille d'or haut la main. En témoignent les chiffres choc d'une étude comparative menée dans plusieurs grandes agglomérations : alors que la proportion de resquilleurs se situe entre 1% et 2% à Bruxelles, Londres ou New-York, elle avoisine les... 9% sur le réseau francilien (1).

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Ce fléau prive évidemment les opérateurs de recettes précieuses. Il a aussi des conséquences sur la sécurité. 60 % des agressions dans les trains de banlieue sont le fait de fraudeurs. Île-de-France mobilités et SNCF ont donc pris la mesure du danger et placé ce dossier au rang de leurs priorités. En témoigne le gigantesque chantier lancé à partir de ce mercredi 26 septembre à Saint-Lazare.

Jusqu'alors, elle était la dernière grande gare parisienne non contrôlée. 140 portiques vont y être progressivement installés jusqu'en juin 2019. Un moyen d'inciter les voyageurs à payer leur billet et d'enrayer ce mal spécifique des transports publics français. Alain Krakovitch, le patron de la SNCF en Île-de-France, explique à l'Express ce qui va changer.

Alain Krakovitch

Alain Krakovitch, patron de la SNCF en Ile-de-France.

© / (ERIC PIERMONT/AFP)

L'EXPRESS. En quoi les nouvelles portes de validation de la gare Saint-Lazare sont-elles importantes pour la SNCF ?

Alain Krakovitch. Elles vont jouer un rôle décisif car cette gare accueille le plus fort trafic de banlieue de toute la France. A travers elle, ce sont tous les voyageurs de la banlieue ouest qui sont concernés.

Les portiques ne suffisent pas toujours. Beaucoup de fraudeurs les franchissent dans la foulée du client qui les précède...

C'est exact, mais ces nouvelles bornes de validation seront plus rapides, donc plus efficaces, et détecteront instantanément si deux personnes passent avec un seul titre de transport. Elles permettront de mieux faire respecter les règles sans nuire à la fluidité.

La fraude varie-t-elle selon les types de transports ?

Oui. Elle est plus faible dans le métro et le RER, où les barrières sont quasiment systématiques. Elle est plus forte dans les bus et les tramways, où l'on peut entrer facilement. Les trains se trouvent dans une situation intermédiaire puisque la moitié de nos gares, empruntées par 80 % de nos voyageurs, sont équipées de portes de contrôles. Notre objectif consiste à passer à 90 %, sachant que nous ne pourrons jamais équiper les toutes petites gares : cela coûterait trop cher. 250 000 personnes par jour reconnaissent être en infraction dans les trains Transilien, un taux sans doute sous-estimé dans la mesure où il s'agit d'enquêtes déclaratives.

Le coût des portiques de la gare Saint-Lazare s'élève à 14 millions d'euros. Ne serait-il pas plus simple d'instaurer la gratuité des transports et d'investir cet argent ailleurs ?

Non, car nous évaluons le coût de la fraude à 63 millions chaque année, soit l'équivalent de six rames neuves ! Cet investissement sera donc très rapidement rentabilisé. Par ailleurs, les recettes de billetterie représentent environ trois milliards d'euros en Île-de-France, soit environ 30 % du coût réel du réseau. Il ne m'appartient pas de dire si ces trois milliards doivent être acquittés par les clients, comme aujourd'hui, ou par les contribuables. Ce que je sais, c'est que les réseaux les plus performants du monde, qu'il s'agisse de Singapour, de Tokyo ou de Los Angeles, sont payés à 100 % par les usagers.

Comment l'explique-t-on ?

C'est un cercle vertueux : plus il y a de recettes, plus il y a d'investissement, plus la qualité du service s'améliore, plus les clients sont nombreux, plus il y a de recettes, etc.

Les taux élevés de fraude en France s'expliquent-ils par notre caractère latin ?

Non, car la fraude est beaucoup plus faible en Espagne et en Italie. Dans ce domaine, on ne peut qu'émettre des hypothèses. Notre défiance généralisée à l'égard des institutions publiques entre sans doute en jeu. Tout comme, si l'on veut être 'positif', une forme dévoyée de notre talent pour le système D, qui permet aux ingénieurs français d'être courtisés dans le monde entier. Mais il faut savoir qu'il existe différents types de fraudeurs. Les personnes démunies cherchent simplement à réaliser des économies. Les "calculateurs" se disent qu'une amende de temps en temps leur coûtera moins cher qu'un abonnement mensuel. Les "joueurs", eux, s'amusent à passer à travers les mailles du filet.

Comment la SNCF s'organise-t-elle pour lutter contre la fraude ?

D'abord, nous investissons avec Île-de-France Mobilités dans les équipements, comme le montre l'exemple de la gare Saint-Lazare. Notre seconde réponse, ce sont les hommes et les femmes. En Île-de-France, la SNCF peut s'appuyer sur des brigades spécifiques, composées de 700 personnes entièrement dédiées à cette tâche.

Leurs effectifs vont-ils augmenter ?

Non, car, en la matière, nous sommes persuadés que nous pouvons progresser en efficacité. Par exemple, nous multiplions depuis un an les brigades en civil. Cela a suffi à doubler les recettes, tout simplement parce que les fraudeurs ne les voient pas arriver ! Et contrairement à certaines craintes, ces équipes ne font pas face à des réactions violentes. C'est plutôt l'uniforme qui suscite les oppositions les plus farouches.

Nous faisons par ailleurs évoluer le rôle des agents en gare. Longtemps, leur rôle est resté limité à la vente et à l'information. Désormais, ils ont le droit d'effectuer des contrôles. 2000 d'entre eux ont déjà été formés et assermentés dans ce but.

Photo datée du 05 décembre 1980 du maire de Paris Jacques Chirac sautant un portillon du métro parisien lors de l'inauguration d'une exposition d'art moderne dans la station de RER Auber.

Photo datée du 05 décembre 1980 du maire de Paris Jacques Chirac sautant un portillon du métro parisien lors de l'inauguration d'une exposition d'art moderne dans la station de RER Auber.

© / AFP PHOTO / JEAN-CLAUDE DELMAS

N'ont-ils pas émis des réserves devant cette évolution ?

Oui pour certains, mais nombre d'entre eux ne supportaient plus de voir des fraudeurs sauter par-dessus les barrières en leur adressant au passage un petit sourire narquois. Et c'est aussi pour nous une manière de changer le regard des clients qui paient leurs billets et qui ne comprenaient pas l'inaction de nos agents devant ces incivilités.

Vous procédez parfois à des "opérations bouclage total de gare." En quoi consistent-elles ?

Certaines gares disposent de très nombreuses entrées. Résultat : même si nous intervenons avec une quinzaine d'agents, certains petits malins trouvent toujours une issue pour s'échapper. Avec ces opérations, nous mobilisons de nombreux effectifs et disposons de renforts de police pour bloquer tous les accès. C'est très efficace, très spectaculaire et très dissuasif, ce qui est aussi notre objectif.

Une chose est d'attraper les resquilleurs, une autre est de faire acquitter les amendes...

En effet. Certains fraudeurs se contentent de nous donner de faux numéros et de fausses adresses, si bien que le taux de recouvrement atteint à peine 13 %. C'est pourquoi notre troisième réponse consiste à faire évoluer la réglementation. C'est ce qui a été fait récemment avec la loi Savary, qui nous permet par exemple d'exiger que les voyageurs disposent d'une pièce d'identité. A défaut, nos agents peuvent les retenir pendant quatre heures.

Cherchez-vous aussi à modifier les comportements, à rendre les Français plus civiques ?

Oui. En tant que service public, nous ne voulons pas nous contenter d'une attitude de contrôle et de répression. Nous avons testé à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) une démarche pédagogique, en expliquant par exemple à quoi servait l'argent récupéré sur la fraude, comme l'achat de nouvelles rames. Cela donne du sens à la validation et a donné de bons résultats.

Le recours aux nouvelles technologies peuvent-elles jouer un rôle dans ce domaine ?

Bien sûr. Certains voyageurs nous expliquent qu'ils ont fraudé parce qu'au moment où ils ont voulu prendre le train, il n'y avait aucun agent dans leur gare pour vendre un ticket et que le distributeur était en panne. Ce n'est pas toujours faux. C'est pourquoi, très prochainement, il sera possible d'acheter son titre de transport avec son téléphone portable. Plus personne n'aura d'excuse.

(1) Rapport de la cour des comptes, 2016.

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