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Un prof de droit complotiste et anti-laïque pour former les imams à l'Université de Lorraine
Image d'illustration. L'enseignant du diplôme d'université (DU) "Religions, laïcité et inclusion sociale" a été recemment écarté.
IP3 PRESS/MAXPPP

Un prof de droit complotiste et anti-laïque pour former les imams à l'Université de Lorraine

Document Marianne

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"Marianne" s'est procuré le plan de cours d'un professeur de droit de la laïcité à l'Université de Lorraine: il fustigeait le droit français... auprès de futurs aumôniers officiant dans les prisons, les hôpitaux ou dans l'armée ! Un diplôme subventionné par le ministère de l'Intérieur. Il a récemment été écarté. Le détail de son cours est édifiant.

C'est une affaire pour le moins gênante qui ébranle actuellement l'Université de Lorraine. Pendant toute l'année universitaire 2017-2018, un enseignant du diplôme d'université (DU) "Religions, laïcité et inclusion sociale" a donné un cours de droit de la laïcité... ouvertement anti-laïque. Dérangeant quand on sait que cette formation fait partie des 20 cursus agréés par l'Etat à délivrer un diplôme obligatoire pour les aumôniers religieux rémunérés dans les hôpitaux ou les prisons. Le juriste y a notamment exposé auprès de ses 24 étudiants, dont 9 sont – d'après les chiffres communiqués par l'Université - des imams ou de futurs imams, son aversion pour la loi d'interdiction des signes religieux à l'école publique. Loin d'avoir dérapé, ce professeur de droit public est un habitué des propos ou écrits hostiles à la laïcité française et le défenseur de théories du complot, particulièrement sur le 11 septembre 2001. Il a été récemment mis à l'écart du diplôme d'université, qui devrait reprendre en novembre prochain, comme l'a révélé Le Figaro le 21 septembre dernier.

Le cours de Christopher Pollmann*, professeur agrégé de droit public à l'Université de Lorraine depuis 2005, portait sur le "droit de la laïcité", sur 30 heures. L'enseignant a choisi d'en faire un réquisitoire contre l'application de ce principe en France. Le plan du cours de douze pages, que Marianne rend ici public, ressemble à certains passages davantage à un essai militant qu'à un exposé de l'état du droit français. L'évolution du cadre juridique de 1905, avec par exemple la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux à l'école ? "De par leur charge humiliante, ces exigences sont équivalentes à l'obligation d'abandonner sa nationalité d'origine lors de la naturalisation dans les pays n'acceptant pas la double nationalité", estime l'universitaire.

Aversion pour l'interdiction des signes religieux

Le juriste s'y reprend à de multiples reprises pour évoquer tout le mal qu'il pense de cette loi de 2004 : "C'est une 'entreprise politique' (cf François Lorcerie) destinée à revenir sur le rôle pacificateur de la laïcité esquissée par Jean Jaurès pour en faire l'équivalent de la soi-disant race aux Etats-Unis et pour reléguer les questions sociales et écologiques en arrière". Il y voit encore un "opprobre officiel jeté sur les filles portant un voile", qui serait "une incitation à des discriminations afférentes". L'expression "Munich de l'école républicaine", employée par Elisabeth Badinter, Régis Debray et Catherine Kintzler en 1989, au sujet du voile porté par trois élèves d'un collège de Creil ? Une "outrance infâme de l'assimilation de 3 filles de Creil aux Nazis", affirme le professeur de droit, au prix d'une énorme extrapolation du propos des intellectuels cités. Quant aux causes du port du foulard, Christopher Pollmann pointe notamment "les discriminations et la dévalorisation des immigrés et de leurs descendants", sans développer davantage.

L'enseignant voit encore dans "l'affirmation religieuse et notamment musulmane" rien de moins que "l'équivalent tantôt de la lutte syndicale et communiste, tantôt de l'entre-soi communautaire des immigrés en France entre 1870 et 1970". Drôle de comparaison entre un engagement religieux, par essence communautaire, et le militantisme politique ou syndical, ouvert à tous et pratiqué sans distinction de croyance ou appartenance communautaire. Concernant le terrorisme, l'universitaire réfute tout fondement religieux mais incite ses étudiants à s'interroger sur "le rôle des sentiments d'humiliation collective à l'échelle internationale, résultat de siècles de domination occidentale en Afrique et en Asie". Dans ce plaidoyer implacable contre l'état du droit républicain, Christopher Pollmann ne prend aucune précaution rhétorique mais précise tout de même en préambule que le cours et le plan n'ayant "pas forcément pour objet de présenter l'état actuel du droit", ils "ne remplacent pas un manuel juridique". Encore heureux...

"Accroche volontairement provocatrice"

Contacté, Christopher Pollmann explique que "ce plan de cours était une accroche volontairement provocatrice" et qu"aucun étudiant ne s'en est plaint". Le juriste réfute par ailleurs avoir asséné son opinion à ses étudiants : "Mon rôle n’était pas de dicter ma pensée, mais de parler aussi peu que possible pour laisser le maximum de place aux étudiants". Il revendique même un attachement à la laïcité française qu'il égratigne dans son plan de cours : " Ma démarche, je la vois comme raisonnable, conciliatrice, pacificatrice. Je suis dans une perspective de promotion de la laicité, principe fondamental du vivre-ensemble." C'est que le juriste considère l'interdiction des signes religieux à l'école comme... extérieure au principe de laïcité : "Du strict point de vue juridique, la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école n'est pas conforme au principe de laïcité", argue le professeur, en se référant à plusieurs intellectuels, dont l'historien Jean Baubérot. Rappelons que cette position, contestable, n'est pas partagée par le Conseil d'Etat qui a estimé, dans un avis du 22 janvier 2004, qu'un tel projet de loi était conforme à la Constitution, qui consacre le principe de laïcité.

Il y a plus gênant encore : si un professeur d'université a parfaitement le droit de défendre de telles opinions, y compris pendant son cours, ce point de vue paraît entrer violemment en contradiction avec les objectifs du DU dans lequel il a été développé. Comme tous les diplômes obligatoires pour devenir aumônier, le cursus de l'Université de Lorraine est censé sanctionner "une formation civique et civile (...) comprenant un enseignement sur les grandes valeurs de la République", selon un décret du 3 mai 2017. Entre autres objectifs, il s'agit de faire des aumôniers, notamment pénitentiaires, des acteurs de la lutte contre la radicalisation religieuse, comme l'expliquait un responsable du ministère de l'Intérieur à La Croix, en mai 2017 : " Tous les acteurs de la prévention de la radicalisation doivent être associés, et l’aumônier pénitentiaire n’est pas un acteur anodin". Pas facile de faire aimer la République quand le professeur, figure d'autorité à l'université, fustige le droit en vigueur... La sénatrice radicale Françoise Laborde, qui a alerté le ministère de l'Intérieur sur le cas de Christopher Pollmann, s'inquiète de l'inadéquation entre certains enseignements et l'objectif poursuivi par Beauvau : "Pour moi, les enseignants doivent être les garants des valeurs de la République. Ou alors ils sont complices des éventuels abus autour de ces DU". La parlementaire précise s'"intéresser" à quelques-uns des autres DU agréés qui, selon elle, ne respectent pas forcément le cahier des charges fixé par le gouvernement.

15.000 euros

C'est que pour mettre en œuvre cette politique, le ministère a annoncé dès 2015 subventionner chaque formation à hauteur de 15.000 euros. Une véritable invitation à créer son diplôme, ce qu'ont fait le sociologue Piero Galloro et le théologien Anthony Feneuil, enseignants à l'Université de Lorraine, à la rentrée 2017. Dans sa plaquette, le DU précise, dans le même esprit que le ministère, que son objectif est de "transmettre un socle commun relatif au contexte socio-historique, au droit et aux institutions françaises notamment au principe de laïcité́ et à ses mises en œuvre et applications". Force est de constater qu'en pratique, l'enseignement et la transmission des valeurs républicaines se sont transformés pendant une trentaine d'heures en un réquisitoire véhément contre la loi française de la part du professeur.

Certaines contributions passées de Christopher Pollmann auraient pu alerter les responsables de ce diplôme sur les positions du juriste. En février 2011, il écrit pour la revue Sciences Humaines une critique – dithyrambique – d'un ouvrage de l'ethnologue italienne Annamaria Rivera, Les dérives de l’universalisme. Ethnocentrisme et islamophobie en France et en Italie. Dans ce texte, le juriste assimile le rejet du communautarisme... à du racisme larvé : " Le rejet du 'communautarisme' vise les expressions identitaires et les revendications des minorités discriminées, ainsi que toute politique visant à améliorer leur représentation". En 2013, il publie un long article intitulé Globalisation et atomisation, dans lequel il s'interroge sur le retour des frontières et du thème de l'identité. Il développe l'idée que l'affirmation de l'identité va de pair avec l'opposition à certains groupes... et cite l'exemple des Français, qui se définiraient en s'opposant à l'islam : "Dans le passé par exemple,l’ennemi permettant aux Français d’affirmer leur identité, c’étaient « les boches » ou « les rosbifs » ; aujourd’hui ce sont davantage, entre autres, le foulard islamique, la burqa et plus généralement l’islam".

Complotisme sur le 11-Septembre

Christopher Pollmann est par ailleurs l'auteur d'un long article aux accents complotistes sur le 11-Septembre, publié sur le site mondialisation.ca en 2007. Dans ce texte fleuve, l'universitaire paraît se rallier à la théorie de Thierry Meyssan, qui estimait dans l'Effroyable Imposture (2002) que le 11-septembre était un complot du complexe militaro-politique américain et non un acte de terrorisme islamiste : "Les propos de Th. Meyssan sont confirmés et corroborés par de nombreuses publications et personnalités, notamment aux Etats-Unis". Pour rappel, Thierry Meyssan prétendait, entre autres théories, que le Pentagone avait été pulvérisé, non par un avion, mais par un missile. Une centaine de témoins ont pourtant bien vu un avion percuter le bâtiment de l'armée américaine. Cela n'empêche pas le juriste de l'Université de Lorraine de douter de la version officielle... et d'explorer la piste du racisme occidental, une fois encore : "Si l’hypothèse d’une implication américaine apparaît monstrueuse à nos yeux, les autres – arriérés hier et islamistes aujourd’hui – sont censés pouvoir commettre des actes toujours aussi monstrueux. En définitive, ce parti-pris révèle le sentiment de supériorité morale occidentale comme peut-être dernier ressort de l’acceptation de la version officielle".

Auprès de Marianne, Christopher Pollmann précise que sa démarche scientifique "vise à explorer et à expliquer différentes facettes des pathologies collectives, parfois particulièrement prononcées chez les institutions et autorités publiques en France". Il cite "l'autoritarisme éducatif", "l'engouement presque religieux pour le nucléaire", "la frénésie informatique et l'addiction au portable" et... "le refus d'un débat ouvert et dépassionné sur le 11-septembre".

Interrogés par Marianne, les responsables du DU "Religions, laïcité et inclusion sociale" assurent n'avoir rien su du profil de Christopher Pollmann, par ailleurs décrit comme "remarquablement gentil" par un autre enseignant de l'Université de Lorraine. Ils évoquent l'"injustice" qu'il y aurait à rapprocher ces engagements de l'intégralité du diplôme, riche de 160 heures d'enseignement. Concernant son remplacement, Anthony Feneuil et Piero Galloro font sobrement savoir, dans un communiqué officiel, que son cours a été jugé trop théorique : "Certains retours nous ont été faits sur des cours trop théoriques par rapport aux besoins des étudiants, et notamment l’un des enseignements qui était plutôt d’histoire sociale/politique de la laïcité sera effectué par un nouvel intervenant, davantage spécialiste de questions juridiques techniques liées au droit des religions (local, national et international)".

"Catéchisme républicain"

Au-delà de ce cas embarrassant, le problème de l'articulation entre la demande ministérielle et sa mise en application universitaire reste entier. La liberté d'enseignement chère aux professeurs d'université est-elle bien compatible avec les objectifs de ce diplôme d'université ? Anthony Feneuil et Piero Galloro estiment qu'ils n'ont pas �� réciter un quelconque "catéchisme républicain", et que ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on leur a demandé. A l'inverse, la sénatrice radicale Françoise Laborde, qui a alerté le ministère de l'Intérieur sur le cas de Christopher Pollmann, considère que la promotion des valeurs républicaines fait partie du deal avec Beauvau : "Si les enseignants ne veulent pas faire de catéchisme républicain, ok, c'est leur droit. Mais alors, il ne faut pas leur donner ce DU". Le sujet pourrait devenir rapidement encore plus brûlant. Emmanuel Macron et Gérard Collomb souhaitent généraliser la formation des ministres du culte. Au Sénat, les groupes LR et Union Centriste veulent plus précisément rendre obligatoire la formation civique des ministres du culte. Une formation qui pourrait passer par la validation d'un DU. Mieux vaudrait alors que les cours de droit de la laïcité ne soient pas tous confiés à des anti-laïques virulents.

*Droit de réponse de Christopher Pollmann

Mise à jour de l'article

Dans l’article d’Etienne Girard sur mon cours de droit de la laïcité à l’Université de Lorraine, les citations et affirmations de détails sont véridiques, mais elles sont chapeautées et encadrées par des titres, qualificatifs et appréciations qui sont, en revanche, erronés et calomnieux. 1/ Je ne suis nullement « anti-laïque » ni « hostile à la laïcité française » comme le prétend cet article. Bien au contraire, la laïcité me semble une condition centrale du vivre-ensemble paisible et fructueux. Plus précisément, ce n’est pas parce que je conteste la constitutionnalité de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école que je serais anti-laïque. En vérité et comme l’indique Etienne Girard sans fournir d’arguments, c’est cette loi elle-même qui n’est pas conforme au principe de laïcité. Car la laïcité selon la loi du 9 décembre 1905, c’est avant tout la liberté de conscience et de culte (article 1er), puis l’obligation de neutralité religieuse de la puissance publique (art. 2). Cette dernière injonction ne vise nullement le citoyen (et donc pas non plus l’élève). Dans la hiérarchie des normes, la laïcité est de rang constitutionnel, c’est-à-dire supérieur à la loi de 2004. L’article manque en fait de préciser qu’en matière de laïcité, deux conceptions s’affrontent. A la laïcité originelle de la loi de 1905 (qui n’en évoque d’ailleurs pas le terme) s’oppose la « laïcité falsifiée » (Jean BAUBÉROT) de la loi de 2004. Cette dernière vise à susciter des réactions identitaires et vestimentaires des musulman(e)s par le biais de leur discrimination. On peut y déceler un projet des élites dirigeantes de diviser les classes populaires par une ségrégation, à l’instar de la ségrégation raciale aux Etats-Unis... Il est surprenant que Marianne soutienne cette stratégie alors qu’elle entrave la mise en œuvre d’une politique de gauche en matière socio-économique que le périodique semble appeler de ses vœux ! (C’est d’ailleurs le regard critique que Marianne porte sur la mondialisation néolibérale qui m’a amené à m’y abonner...) Je suis d’ailleurs d’autant moins anti-laïque que je ne mets nullement en cause mais explique et valorise les nombreux autres volets de la laïcité : ainsi la réglementation des manifestations extérieures d’un culte, l’expression religieuse dans les médias, les aumôneries, etc. 2/ De ce qui précède découle le constat que je ne tiens aucun « plaidoyer implacable contre l’Etat du droit républicain » ni « un réquisitoire véhément contre la loi française », comme le prétend l’article. Dans la recherche et l’enseignement sur le droit, il est en effet classique d’observer et d’étudier les innombrables conflits entre dispositions juridiques, qu’elles soient de rang équivalent ou différent. Le fait de donner la priorité, dans l’opposition entre la Constitution et la loi de 1905, d’un côté, et celle de 2004, de l’autre, aux premières plutôt qu’à la seconde ne fait nullement de moi un adversaire de l’Etat du droit, bien au contraire. Contrairement à ce qu’avance Etienne Girard, l’auteur de ces lignes ne « fustigeait » pas le droit français mais en défendait la cohérence en rappelant la supériorité du principe de laïcité consacré en 1905. 3/ Concernant enfin les attentats du 11 septembre 2001 (qui n’ont pas de lien avec le cours sur la laïcité et ne sont invoqués par Etienne Girard que pour me discréditer), je ne suis pas un « défenseur de théories du complot ». Je constate simplement que l’on ne sait toujours pas précisément ce qui s’est passé ce jour-là et qu’il n’y a jamais eu d’enquête indépendante, voire de procès pénal contre les auteurs des tueries. Mais dans le cadre du « complot des anti-complotistes » (Frédéric LORDON), il suffit d’émettre des doutes fondés sur les sciences naturelles et le bon sens pour être peint en « complotiste »... En réalité, c’est l’attribution des attentats à Al-Qaïda qui relève elle-même d’une théorie du complot puisqu’ils n’ont pu être commis que grâce à des « menées secrètes et concertées » (Larousse). Dans le passé et pour contester ce récit conspirationniste, j’ai pu suggérer une complicité occidentale dans le 11 septembre, mais sans vouloir ni pouvoir proposer une autre théorie explicative à ce sujet. Comme le débat en la matière semble pour l’instant cadenassé, j’estime aujourd’hui prioritaire de résister aux obsessions, qu’elles soient complotistes ou (anti-)religieuses...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne