Patreon, la plateforme préférée des créateurs fauchés

Le site Patreon permet depuis 2013 aux internautes de faire des dons réguliers à leurs youtubeurs, podcasteurs ou musiciens préférés. Un gage d’indépendance pour ces artistes et créateurs. 

Par Annabelle Chauvet

Publié le 25 septembre 2018 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h18

Depuis trois mois, Solange te parle revit. La jeune comédienne et artiste française, connue pour filmer sur YouTube son quotidien avec son chien Truite, était inquiète pour son avenir artistique et professionnel. Elle s’est donc inscrite sur Patreon, une plateforme américaine qui propose aux internautes de faire des dons aux youtubeurs, podcasteurs ou musiciens. 

L’originalité, par rapport à d’autres sites de financement participatif comme Kickstarter, c’est que Patreon incite à donner des sommes régulières aux créateurs. Une personne peut par exemple choisir de soutenir un musicien, sans engagement, à hauteur de 5 dollars par mois. Avec plus de 600 fidèles bienfaiteurs, Solange te parle comptabilise désormais un peu plus de 3 000 dollars mensuels de revenus. De quoi s’assurer un smic et couvrir en plus les frais techniques et administratifs de son activité…

Patreon a été créé en 2013 par Jack Conte, musicien alors désespéré de ne pouvoir vivre de son art, malgré les milliers de vues de ses vidéos sur YouTube. Avec son ancien colocataire d’université, Sam Yam, il décide de créer une plateforme qui permettra de trouver une réponse à son problème économique.

Le principe est simple : afin de payer ses employés (ils sont aujourd’hui 170) et assurer des services comme la récolte et la redistribution par pays de la TVA, Patreon prélève 5 % des revenus suscités. Aujourd’hui, le site compte 100 000 créateurs inscrits, et 2 millions de mécènes. Avec quelques succès notables, comme Insecure, une websérie de l’humoriste Issa Rae, qui deviendra une série tout court nommée aux Emmy Awards ; ou ce trio de podcasteurs américains, Chapo Trap House, qui gagne plus de 100 000 dollars par mois.

Le cas de Patrick Beja est aussi remarquable : en 2014, il prend le risque de quitter son « CDI de rêve » pour se consacrer à sa passion, les podcasts, et notamment à son émission hebdomadaire, Le rendez-vous tech. Il demande donc à sa communauté d’auditeurs de l’aider à se financer.

Quatre ans plus tard, tout va bien : alors que Le rendez-vous tech est écouté en moyenne par 50 000 personnes par épisode, il engendre 5 000 dollars par mois, en majeure partie grâce à Patreon. Et à chaque émission, Patrick Beja n’oublie pas de remercier nommément quelques-uns de ses généneux auditeurs. « Patreon, c’est un business super sain, explique-t-il. Une personne fixe des paliers de financement pour mener à bien son projet et des contreparties correspondantes, ensuite, les internautes participent comme ils veulent sans engagement. Il s’agit simplement de la monétisation d’une communauté qui existait déjà ! »

Les cadeaux proposés en échange vont des simples remerciements chaleureux à des rencontres sur Google Hangouts, sortes d’apéros virtuels, en passant par l’accès à des exclusivités. Ty Carter, ancien dessinateur d’animation américain pour des films comme L’Age de glace : La dérive des continents, ou Snoopy et les Peanuts, fait partie de ceux qui ne ménagent pas leurs efforts : il offre à ses contributeurs des tutoriels pour apprendre les rudiments de l’animation, ou un accompagnement personnalisé pour percer dans ce rude milieu artistique.

« Ce que j’aime avec ce modèle économique, c’est qu’il me permet d’être en parfaite symbiose avec mes mécènes, avec lesquels je communique très facilement grâce au système de messagerie du site, nous dit-il. Je les aide à devenir des artistes expérimentés et ils m’aident en retour à vivre de mon art. C’est une relation d’égal à égal. » Avec 221 contributeurs par mois, il cumule ainsi un peu plus de 4 000 dollars de revenus.

Pour ceux qui parviennent à obtenir des revenus importants, Patreon est aussi un gage d’indépendance artistique. Une charte stricte mais classique (interdiction de promouvoir des activités illégales, de tenir des propos racistes...) existe bien, mais ni les membres ni le site lui-même n’exercent aucun droit de regard sur les productions réalisées. Ty Carter ne tarit ainsi pas d’éloges sur cet « esprit indé cultivé par Patreon ». Pour Patrick Beja, c’est la possibilité d’être « authentique » et « de créer sans la contrainte de l’obsession du nombre de vues et des titres aguicheurs, contrairement aux youtubeurs les plus populaires ».

Plus libérée que jamais, Solange te parle affirme même avoir retrouvé « une légitimité énorme en tant qu’artiste, et de l’estime de soi. Avant, personne ne reconnaissait mon travail, même moi je ne l’aimais plus. Grâce aux contributeurs, j’ai retrouvé du sens : le temps, l’énergie et l’argent que j’investis dans mon projet sont enfin reconnus ». François Theurel, créateur de la chaîne YouTube Fossoyeur de films – 700 000 internautes suivent ses vidéos mensuelles ou bimestrielles sur le cinéma, dans lesquelles il allie « pédagogie et divertissement » –, y voit aussi une forme de responsabilisation à la fois du public et des créateurs.

Pour lui, qui a préféré se lancer sur Tipeee, l’équivalent français de Patreon lancé fin 2013 par Michael Goldman (à qui l’on devait déjà le label communautaire My Major Company), le financement participatif réagit surtout aux « fausses promesses de YouTube. Les jeunes générations pensent faire fortune avec quelques vidéos sans se poser de question, alors que ce n’est pas possible ». Suivi par 564 « tippers », François Theurel gagne 2 400 euros par épisode. Alors que sur YouTube la pub lui rapporte environ un euro toutes les 1 000 vues…

Sentant peut-être que des créateurs pourraient lui échapper, la plateforme vidéo de Google vient d’ailleurs de lancer Memberships, un programme permettant aux youtubeurs de demander une contribution de 5 dollars par mois pour accéder à des contenus exclusifs. La proposition est pour l’instant réservée à ceux qui sont suivis par plus de 50 000 abonnés. 

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