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Des seins sur le t-shirt, la fausse bonne idée

OPINION. Le message des t-shirts à seins se voulait subversif, mais il a été totalement récupéré par la mode: de quoi agacer notre chroniqueuse

Sur le site de la maison mère des Boob T. — © Capture d'écran.
Sur le site de la maison mère des Boob T. — © Capture d'écran.

Le prêt-à-porter, c’est comme le répertoire de Johnny: il y a beaucoup de belles choses… et quelques succès qui me laissent coite. Au rayon des tendances surprenantes, souvenez-vous des tops-nuisettes à porter en journée ou de l’avalanche d’imprimés ananas de l’an dernier. Franchement, qui a décidé que l’ananas était plus esthétique qu’une poire ou un litchi? Et ne me lancez pas sur les logos de la NASA, que les ados arborent fièrement sur leurs pulls depuis quelques mois (ou donnez m'en un seul qui puisse décomposer l’acronyme).

Mais la mode qui m’interpelle vraiment en ce moment s’appelle le Boob T. Traduit maladroitement, ça donne le «t-shirt à seins». Si, si. J’en ai encore vu un se promener l’autre jour à Lausanne, un thermos super design à la main. De quoi parle-t-on? De ce haut blanc en coton tout simple avec, pour tout ornement, deux lignes arrondies comme des sourires réjouis et deux points plantés au milieu. Imaginez une poitrine esquissée par un fusain paresseux et placée à l’endroit stratégique du vêtement. Dénudé minimaliste.

En soi, je n’ai rien contre ce design épuré, d’autant qu’il est né d’une jolie initiative: il y a six ans, la marque britannique Never Fully Dressed crée le Boob T dans le but de récolter des fonds pour une association dédiée à la santé mentale (dessiner un cerveau sur un t-shirt, ça aurait été moins vendeur).

Assumer comme Madonna

Rapidement, le t-shirt prend une dimension nouvelle et se mue en étendard féministe. Déambuler toute poitrine dehors, graphiquement parlant du moins, c’est faire un clin d’œil à la censure, un pied de nez à la sexualisation du corps féminin. Une manière de se réapproprier ses courbes et, comme Madonna dans son soutien-gorge cône, de le faire sans sourciller. Pourquoi pas. Dans le même genre, j’ai aperçu un sac en toile recouvert de croquis de poitrines, de mille tailles et formes différentes. Parfait pour dédramatiser son deuil du décolleté rêvé.

Tout ça, c’était avant l’an dernier. Avant que la it girl Kendall Jenner ne s’empare du Boob T et n’en fasse un banal phénomène Instagram. Depuis, le t-shirt s’arrache, s’est vu copié par de grandes chaînes de prêt-à-porter et, pire, détourné. A la place de la maligne parenthèse inversée, on trouve désormais deux marguerites, deux œufs au plat, deux cornets de glace ou, vous l’aurez deviné… deux ananas.

Réduire sa poitrine à des émojis de petites filles, faire d’un message choc un accessoire de mode, il y a quelque chose d’assez peu féministe là-dedans, finalement. Je suis d’avis que les convictions les plus sérieuses se disent encore mieux droit dans les yeux. Et qu’on n’a pas besoin d’un t-shirt, même branché, pour assumer ce qu’il y a en dessous.

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