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Riad Sattouf : «Avec L'Arabe du futur 4, je me suis libéré de mon secret de famille»

Dans le quatrième tome de «L'Arabe du futur», Riad Sattouf se déleste d'une sombre histoire familiale. JOEL SAGET/AFP

INTERVIEW - Dans le quatrième tome de sa série autobiographique, qui sort ce jeudi en librairie, l'auteur des Cahiers d'Esther s'affranchit d'un lourd secret de famille. Toujours avec le sourire, il revient pour Le Figaro sur les arcanes de cette partie la plus sombre de son histoire. Et la plus émouvante.

Le talent de Riad Sattouf n'a d'égal que sa gentillesse. C'est un dessinateur disponible et affable, que Le Figaro a rencontré dans les locaux parisiens des éditions Allary, pour parler du quatrième volet de son excellente saga autobiographique L'Arabe du futur.

Plus dense que les précédents, du haut de ses 288 pages, l'album recèle une dimension plus dramatique. Après les années syriennes, le jeune Riad revient en France. Son père travaille seul en Arabie saoudite et se tourne de plus en plus vers la religion. Le jeune héros se sent de plus en plus tiraillé entre ses deux cultures, d'autant plus que rien ne va plus entre ses parents. Et surtout sa fascination du père, qui s'émoussait déjà dans les précédents albums, vire à une véritable désillusion.

Son quotidien d'élève, en Bretagne où sa mère a posé ses valises, n'est pas toujours une sinécure. Entre moqueries et insultes, difficultés à s'imposer en sport, notamment au foot, ou les trop longues récréations où il est isolé, le préadolescent a fort à faire pour trouver ses marques.

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La couverture de «L'Arabe du futur 4». Riad Sattouf/ Allary éditions

Puis comble du désespoir, le joli petit garçon blond comme les blés est confronté aux troubles ingrats de l'adolescence qui lui valent le titre de garçon le plus laid de la classe. Mais le pire reste à venir...

Jonglant toujours aussi ingénieusement avec des moments tour à tour joyeux et âpres, Riad Sattouf aborde dans ce quatrième volume, la partie la plus sombre de son histoire.

LE FIGARO. - Ce quatrième tome, particulièrement dense, marque un tournant dans la saga L'Arabe du futur

Riad SATTOUF. - Le secret familial qu'il y a dans ce volume est en quelque sorte l'étoile sombre cachée autour de laquelle gravite la série de l'Arabe du futur depuis le début. Il fallait que je trouve le moyen de pouvoir le raconter et j'ai tourné autour de la manière de le faire pendant de très longues années. C'est comme si j'avais pris mon élan sur les trois premiers tomes pour réussir à raconter ce qui se passe dans celui-là. Le secret que je dévoile, je n'ai jamais vraiment réussi à le partager avec quiconque!

En faire une bande dessinée était une façon d'avoir l'écoute recherchée?

« J'ai raconté mes histoires de Syrie et de Libye à mes potes pendant des années, et pourtant c'est seulement quand ils les ont lues en livre qu'ils ont réalisé! »

Peut être? Je n'intellectualise pas trop les choses...J'ai raconté mes histoires de Syrie et de Libye à mes potes pendant des années, et pourtant c'est seulement quand ils les ont lues en livre qu'ils ont réalisé! Cela semblait soudain plus concret. Ils comprenaient mieux? Ils visualisaient les choses? C'est comme s'ils redécouvraient l'histoire...

Lorsque le premier volume est sorti, c'est comme si je m'étais libéré d'un poids bizarre que je portais sur les épaules. J'ai grandi et j'ai construit ma carrière de dessinateur autour de cette histoire. J'ai retrouvé des dessins qui datent de mon année après le bac . Ce secret m'a suivi pendant longtemps. Quand le premier tome est sorti et qu'il a d'emblée trouvé son public, j'ai vraiment eu le sentiment d'une libération. J'étais soulagé de voir que les gens comprenaient, s'intéressaient, étaient émus par cette histoire.

Du fait de sa révélation, ce volume est particulièrement dramatique. Comment parvenez-vous à garder votre humour?

Il est vrai que la charge émotionnelle de ce volet est peut-être importante... Mais beaucoup de lecteurs ont trouvé les autres volumes dramatiques aussi! Malgré tout, j'ai essayé de garder un équilibre entre le rire et le pathos. Régler le ton sur ces deux fréquences, tout en restant fidèle aux événements, constitue le pari de cette bande dessinée.

« L'enfant n'est peut-être plus dans l'innocence des premiers volumes »

Racisme, antisémitisme, paroles désobligeantes sur les femmes ou fondamentalisme. Votre père, homme pourtant éclairé, semble sombrer de plus en plus dans des extrêmes.

Les propos de mon père sont toujours les mêmes, ils n'ont pas vraiment changé... Il a toujours été profondément antisémite et ce dès le premier volume. La chose qui change est le regard de sa famille sur lui. Dans les premiers volumes, le père proférait ces horreurs, mais l'enfant trouvait que c'était fantastique. En grandissant, il commence à se rendre compte de la réalité des choses, à comparer son père avec les autres. Et découvre qu'il est moins fort de ce qu'il pensait, d'autres sentiments arrivent, comme la honte... L'enfant n'est peut-être plus dans l'innocence des premiers volumes.

Votre père semble néanmoins rempli de paradoxes.

Le père que j'évoque est peut-être éclairé, éduqué, c'est un universitaire, mais il n'est pas du tout pour la démocratie. Il est pour la peine de mort et rêve de faire un coup d'État. C'est un intellectuel d'extrême droite façonné par une forte pensée nationaliste! Pour lui, l'Arabe devait devenir puissant et dominer. Mon père était pour le panarabisme dans sa jeunesse.

Où vous situez-vous dans tout ça?

Pour moi être Arabe ou Français de souche ne veut rien dire. Dans mon village, en Syrie, j'avais du mal à être considéré comme un vrai Syrien car j'avais des origines françaises. En France, j'avais du mal à être considéré comme un Français, à cause de mon nom à consonance humoristique... Je me suis choisi donc l'identité d'auteur de bandes dessinées!

« Je raconte les choses telles que je les aie vécues. Ce sont des faits »

Racisme, moqueries, ostracisation... Si les années syriennes sont dures pour Riad, celles qui se déroulent en France ne le sont pas moins…

Je raconte les choses telles que je les aie vécues. Ce sont des faits. Je ne généralise pas et m'éloigne de toute volonté métaphorique. Mon histoire n'a pas vocation à représenter le monde arabe ou la France des années 80. Je n'ai pas envie de faire entrer ma vie dans une idéologie, elle n'est ni de gauche ni de droite. J'ai horreur des histoires idéologiques qui m'expliquent quoi penser et de quelle façon... L'Arabe du futur relève davantage du témoignage que de l'analyse.

« Adolescent, j'essayais d'oublier le quotidien en dessinant, c'était pour moi une échappatoire. Tout en cherchant à séduire les filles... »

La place du dessin est particulièrement importante dans ce volume. Une façon de lui rendre hommage?

Ma vie est liée au dessin. Je me rappelle des premiers dessins que je faisais avec mon père et de ceux de Pompidou qui ont suscité l'admiration de ma famille. Des dessins que je réalisais enfant pour que les autres s'intéressent à moi et me trouvent exceptionnel.

Adolescent, j'essayais d'oublier le quotidien en dessinant, c'était pour moi une échappatoire. Tout en cherchant à intéresser les filles... Adulte, dessiner m'a permis de gagner ma vie. Aujourd'hui, mes livres ont du succès et me permettent de partager mon histoire. Il y a une vraie progression dans la place qu'a pris le dessin dans ma vie. Au point que je me suis davantage construit autour de lui que d'une identité.

C'est-à-dire?

Quand on me demande si je me sens plutôt Syrien ou Français, je réponds que je me sens avant tout appartenir au peuple des auteurs: c'est celui que j'ai choisi. C'est plus simple pour moi, ça m'a permis d'échapper à un conflit de loyauté. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir cette passion du dessin! Le dessin m'a tout donné!

Exposition Riad Sattouf, l'écriture dessinée à la BPI, Centre Pompidou, du 14 novembre au 11 mars 2019.

L'Arabe du Futur, tome 4, Riad Sattouf, Allary éditions, 25,90 euros.

La première planche de «L'Arabe du futur 4». Riad Sattouf/Allary éditions

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Riad Sattouf : «Avec L'Arabe du futur 4, je me suis libéré de mon secret de famille»

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9 commentaires
  • _www_

    le

    "Je raconte les choses telles que je les aie vécues. "
    Wahoo. Dans le Figaro Culture on cultive les fautes. Bravo.

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