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Réforme du lycée professionnel : "La destinée de nos élèves ? Devenir des ouvriers dociles et mal formés"
La réforme du lycée professionnel annoncée par le ministre de l'Education nationale entrera en vigueur à la rentrée 2019.

Réforme du lycée professionnel : "La destinée de nos élèves ? Devenir des ouvriers dociles et mal formés"

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Mobilisés ce jeudi 27 septembre, les acteurs du lycée professionnel protestent contre la baisse drastique des heures d'enseignement des matières générales sans aucune compensation. Une décision qui pourrait condamner les élèves de ces établissements à rejoindre prématurément le monde du travail.

Lorsque Jean-Michel Blanquer évoque le futur des lycées professionnels, il n'a qu'un mot à la bouche : "excellence". À en croire le personnel de ces établissements, mobilisé ce jeudi 27 septembre dans toute la France, il ne faut pas y voir l'expression d'une ambition... mais plutôt une contrevérité. En cause, le contenu de la réforme du lycée professionnel. Annoncée dans les grandes lignes au mois de mai dernier, et déjà accueillie plutôt fraîchement par les syndicats du second degré, elle fait de nouveau frémir les professeurs, inquiets pour leur sort et celui de leurs élèves. En cause : la récente réception des nouvelles grilles horaires, mises à jour selon les modalités prévues par la réforme, qui entreront en vigueur à la rentrée 2019. Concrètement, et au global, les élèves de bacs professionnels perdront ainsi 4 heures de cours par semaine. "Pour les élèves, c'est un temps de formation important qui est définitivement perdu. Et pour les enseignants, cela annonce des suppressions de postes", se désole Bérénice Courtin, co-secrétaire générale du Snuep-FSU, syndicat du lycée professionnel.

Une vision "utilitariste" des matières générales

Ces heures, effacées de l'emploi du temps de ces lycéens, concernent uniquement des matières dites "générales" : français, mathématiques, langues vivantes. Sur toute la durée de la formation, les heures consacrées aux maths diminueront de 16% et de 13% pour le français. Jusqu'à atteindre 50% pour la deuxième langue vivante. Sur certains de ces créneaux, quelques heures de "co-intervention" prendront place. En clair : des cours mêlant enseignants professionnels et généraux. "Ces jeunes méritent mieux que des cours de français axés sur l'élaboration d'une lettre de motivation, tempête Maxime Besselièvre, secrétaire national de la CGT Educ'action. Le gouvernement a une vision utilitariste des enseignements généraux, cela peut s'avérer désastreux pour ces élèves. Si l'école ne leur apporte pas un certain bagage culturel pour être des citoyens à part entière, qui le fera ?" D'autant qu'une grande partie de ces lycéens a déjà "un très faible niveau dans ces matières à leur arrivée en seconde", fait remarquer la militante du Snuep-FSU. De plus, selon les statistiques publiées par le ministère de l'Éducation nationale pour la rentrée 2017, les effectifs des lycées professionnels accueillent une large part d'élèves à l'origine sociale identifiée comme "moyenne" ou "défavorisée" (82,5%), contre 50,7% pour les lycées généraux...

Cette réforme pourrait aussi définitivement barrer la route des lycéens professionnels vers l'enseignement supérieur. Avec la mise en place de la nouvelle plateforme Parcoursup, sont nés les "attendus". Désormais, pour pouvoir s'inscrire dans une formation, un élève doit répondre à un certain nombre de connaissances et de compétences fixées par l'établissement qu'il veut rejoindre. Mais avec l'affaiblissement des matières générales dans les filières professionnelles, il sera de plus en plus difficile pour les élèves titulaires d'un bac professionnel de poursuivre leurs études, généralistes ou professionnalisantes. Tâche déjà ardue aujourd'hui, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, ayant elle-même reconnu au début du mois de septembre que l'immense majorité des étudiants sans affectation à l'issue de la phase principale du successeur d'Admission post-bac (APB) provenait de cette même voie. "Pour eux, ce sera de plus en plus un problème de se réorienter en licence juge Bérénice Courtin. Leur seule destinée, c'est celle de devenir des ouvriers dociles et mal formés."Et même si le ministre de l’Éducation nationale a annoncé au mois de mai dernier que 2.000 classes "passerelles" allaient être créées (sorte de classes préparatoires) pour permettre aux bacheliers professionnels de rejoindre des BTS, diplôme professionnalisant censé leur être destiné, Maxime Besselièvre redoute qu'ils ne puissent y accéder dans les prochaines années. "Dans certains BTS, il est obligatoire de maîtriser une LV2 (deuxième langue vivante, ndlr), explique-t-il.

Si l'enseignement de l'espagnol ou de l'allemand est réduit à 1 heure par semaine, je doute qu'au bout de trois ans ils aient le niveau pour pouvoir intégrer ce genre de formations..."

900 postes supprimés dans les lycées professionnels à la rentrée prochaine

Auront-ils seulement la possibilité de toquer à la porte de la sphère professionnelle, un simple bac en poche ? Même dans ce cas, il n'est pas certain qu'ils soient suffisamment armés pour affronter le monde du travail. En effet, la réforme portée par Jean-Michel Blanquer prévoit une réorganisation du cursus. Désormais, la classe de seconde proposera de découvrir une large "famille de métiers". La spécialisation n'interviendra qu'à partir de la première. En clair, ces élèves seront formés spécifiquement à leur futur métier une année de moins. Il n'en faut pas plus aux syndicats pour y voir une "déspécialisation" de la formation. "Jean-Michel Blanquer vient terminer le travail qu'il avait commencé en 2009 sous Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était directeur général de l'enseignement scolaire (Degesco), abonde Bérénice Courtin. Avant cette date, la formation professionnelle se faisait en quatre ans : deux années de BEP et deux années de Bac pro. Aujourd'hui, elle se fait en trois ans. Et on peut considérer qu'à partir de 2019, elle se fera en deux ans... Comment peut-on imaginer former un professionnel dans ces conditions ?"

Moins d'heures de cours, des formations regroupées en "familles de métiers" en classe de seconde... Mais pour quel but ? "C'est tout bêtement économique. Malgré les beaux discours, le gouvernement n'a aucune estime pour le lycée professionnel. Il taille dans les secteurs qu'il juge inutiles. Les suppressions de postes annoncées dans le second degré l'attestent", regrette Maxime Besselièvre. Au collège et au lycée, 2.600 postes de professeurs seront supprimés à la prochaine rentrée. D'après les calculs du Snuep-FSU, le lycée professionnel devra en supporter une large part : 900. Le chemin de l'excellence...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne