Pesticides : « Nous appelons à un véritable soulèvement populaire pacifique »

ENTRETIEN. Le journaliste Fabrice Nicolino, auteur de « Nous voulons des coquelicots », a lancé un appel pour l'interdiction des pesticides de synthèse.

Propos recueillis par

Baptisée « Nous voulons des coquelicots », la pétition lancée, le 12 septembre dernier, par Fabrice Nicolino a déjà recueilli plus de 200 000 signatures. 

Baptisée « Nous voulons des coquelicots », la pétition lancée, le 12 septembre dernier, par Fabrice Nicolino a déjà recueilli plus de 200 000 signatures. 

© DR

Temps de lecture : 8 min

« Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l'eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l'estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. [Ils] sont une tragédie pour la santé. [...] Nous exigeons de nos gouvernants l'interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes. » En lançant cet appel, le 12 septembre dernier, le journaliste Fabrice Nicolino affichait l'ambition folle de rassembler plus de 5 millions de signatures en deux ans. Deux semaines plus tard, ils sont déjà plus de 200 000 personnes à l'avoir rejoint. Fabrice Nicolino, dont le livre-manifeste Nous voulons des coquelicots intègre les palmarès des meilleures ventes en librairie, nous explique pourquoi il s'est engagé dans ce combat.

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Le Point : Cela fait vingt ans que vous alertez, par vos livres et vos articles, sur les dangers des pesticides. Pensez-vous que l'opinion a aujourd'hui pris la mesure de la menace ?

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© Anne Vaudoyer">

Fabrice Nicolino, né en 1955, dénonce depuis plus de vingt ans l'empoisonnement lent de nos assiettes par les pesticides.

© Anne Vaudoyer

Fabrice Nicolino : La prise de conscience est évidente. Il faudrait être sourd pour ne pas entendre tous les sonneurs d'alerte qui nous mettent en garde contre les dangers de ces produits phytosanitaires. Les pesticides sont une tragédie pour la santé publique. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. On ne parle pas de rhume des foins ici, mais de maladies gravissimes qui frappent des milliers d'agriculteurs mais aussi de consommateurs de fruits et légumes empoisonnés.

Pourquoi, selon vous, a-t-il fallu tant de temps pour que l'on ouvre les yeux sur cette réalité ?

Nous n'avons pas voulu la voir. Et pour une raison simple : au départ, lorsque ces produits chimiques sont apparus, ils constituaient une révolution formidable. Nous expliquons dans notre livre que le DDT, aujourd'hui interdit, a d'abord été utilisé pour lutter contre le typhus. Ce produit insecticide puissant a effectivement sauvé des vies en permettant d'éradiquer les puces qui véhiculaient cette pandémie, notamment dans les populations de survivants des camps. Quand il s'est agi d'utiliser les mêmes molécules en agriculture, on ne se doutait pas des dommages qu'elles causeraient. Il a fallu attendre 1962 et le travail de la biologiste américaine Rachel Carson pour prendre la mesure du problème.

Lire aussi Reeves - Les pesticides, cette panacée devenue poison

C'était il y a plus d'un demi-siècle !

Oui. Et pendant cinquante ans, les autorités scientifiques qui alertaient sur ces dangers n'ont pas été entendues. Pendant toute cette période, l'exposition aux pesticides a été sous-estimée. On a choisi la fuite en avant.

Pourquoi ?

Parce qu'un incroyable lobby était en face. Il faut imaginer un groupe constitué de personnes et d'entreprises qui, collectivement, ont tout à gagner à dissimuler cet énorme scandale. Ce lobby a réussi, pendant de longues années, à faire passer les médecins qui pointaient cette menace sanitaire pour des hurluberlus. C'étaient pourtant de grandes sommités scientifiques. Le préfacier de l'édition française en 1963 n'est autre que Roger Heim, membre de l'Académie des sciences !

Ce « lobby » dont vous parlez est-il si puissant que les politiques ne puissent pas le contrer ?

Un homme seul ne peut rien. Et la démission de Nicolas Hulot le montre bien. Ce lobby compte en son sein des géants industriels de la chimie et de l'agroalimentaire qui sont plus puissants que les ministres et les élus.

Lire aussi Nicolas Hulot, les lobbies et le macronisme

Vous n'attendez donc rien de l'actuel ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy ?

J'ai déjà eu l'occasion de dire tout le mal que je pense de ce politicien carriériste qui a sacrifié les valeurs écologistes sur l'autel de ses ambitions.

Lire aussi François de Rugy, promu ou puni ?

Mais comment pouvez-vous affirmer que ce lobby est plus puissant que les politiques ?

Je ne vais prendre qu'un exemple. Lorsqu'Emmanuel Macron affirme que la France va sortir du glyphosate dans les trois ans, ce lobby organise une riposte incroyable : en contredisant publiquement le président. Suivra le calamiteux vote des députés du 29 mai (intervenu à deux heures du matin) où, par 63 voix contre 20, un amendement prévoyant d'inscrire, dans la loi, l'interdiction du glyphosate est rejeté par l'Assemblée nationale. La stratégie est ici la même que pour l'amiante ou le tabac. Les industriels tentent de gagner du temps. Quand le glyphosate sera enfin interdit, dix autres pesticides, développés entre-temps, prendront sa place.

C'est désespérant...

Et c'est pourquoi nous en appelons à un véritable soulèvement populaire pacifique. Face à ces entreprises qui se contrefichent de notre santé, seule a du poids la collectivité. L'appel que j'ai lancé vise à fédérer tous les humains qui se sentent concernés. Je sais que cela fait un peu solennel de s'adresser ainsi à ses « frères humains ». Mais notre initiative transcende les partis politiques ou les croyances religieuses. Le but est d'atteindre, en deux ans, la masse critique de 5 millions de personnes. Alors, nous pourrons enfin nous faire entendre. Et « casser » ce système.

Plus de 200 000 personnes ont déjà signé votre pétition. Vous attendiez-vous à un tel succès ?

Je sentais que les gens étaient mûrs. Les Français sont concernés par le sujet : 91 % d'entre eux consomment, au moins une fois dans l'année, du bio. C'est une véritable révolution qui s'opère dans nos assiettes. J'ai un ami qui a créé à Paris le premier supermarché bio, vers le canal de l'Ourcq. Il y a vingt ans, les banques ne voulaient pas lui prêter d'argent. Il a dû faire appel à ses amis pour réunir les 750 000 francs de l'époque pour lancer son affaire. Aujourd'hui, de tels commerces pullulent dans toutes les villes de France.

Qu'escomptez-vous faire dans les mois qui viennent pour amplifier le mouvement que vous avez lancé ?

Nous allons appeler les gens qui veulent que les choses changent à se réunir tous les premiers vendredis du mois devant les mairies à 18 h 30. Le 5 octobre, nous lancerons le mouvement dans 200 villes. Nous espérons bien faire boule de neige. Avec ces 200 000 signatures, réunies en quinze jours, nous avons réussi le lancement de la fusée, mais nous devons aller plus loin. Nous devons changer le système. Des industriels puissants ne doivent plus pouvoir dicter à nos gouvernants les règles du jeu.

Des politiques vous rejoignent-ils ?

À titre individuel, oui, mais notre mouvement est apolitique et ils le font à titre individuel.

Qui, parmi eux, a déjà signé votre appel ?

Je n'ai pas une liste exhaustive. Mais je sais que plusieurs anciens ministres de l'Environnement nous ont rejoints. Comme Philippe Martin, Delphine Batho ou encore Corinne Lepage. J'ajouterai que Marc Stenger, évêque de Troyes, est également signataire !

Vous avez été gravement blessé lors de l'attentat de Charlie Hebdo, où vous travaillez. Pensez-vous que le fait d'être un survivant vous pousse à vous investir dans ce mouvement dont la finalité est de préserver la vie sur notre planète ?

Je ne sais pas. J'ai beaucoup pesé pour que Charlie s'engage dans ce combat. Il me semblait important que ce journal s'engage. Je le pensais d'autant plus que je ne peux pas supporter l'idée qu'on le réduise à cette attaque terroriste de janvier 2015. Je ne peux admettre que Charlie se réduise à cette image mortifère. Notre appel est effectivement un appel en faveur de la vie. C'est une célébration de la beauté du monde. Si nous ne faisons rien, nos campagnes seront bientôt vidées de leurs oiseaux, abeilles et papillons.

C'est la raison pour laquelle vous avez pris comme emblème le coquelicot ?

Oui. C'est une fleur particulièrement belle : à la fois fragile (ses pétales tombent quand vous la saisissez) et très résistante. On dit que son pouvoir de germination est supérieur à cent ans. Certains disent même cinq cents ans !

C'est aussi le symbole d'une guerre. Les Britanniques l'arborent à leur boutonnière en souvenir des soldats tombés pendant la guerre 14-18. Est-ce parce que vous appelez au combat que cette fleur est devenue votre symbole ?

J'ai beau aller souvent en Angleterre, je n'avais pas cette image en tête quand j'ai choisi cet emblème. Mais de vous à moi, je suis tout à fait conscient que nous menons effectivement une guerre contre les pesticides.

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Fabrice Nicolino cosigne avec François Veillerette, ancien président de Greenpeace France, un livre-manifeste où il détaille les dangers des produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture intensive

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Fabrice Nicolino cosigne avec François Veillerette, ancien président de Greenpeace France, un livre-manifeste où il détaille les dangers des produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture intensive

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(1) Nous voulons des coquelicots, stop pesticides , de Fabrice Nicolino et François Veillerette, éditions Les liens qui libèrent, 126 pages, 8 euros.

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Commentaires (58)

  • eniram

    Pour vos commentaires éclairants... Il manque aux ignorants en matières agricole et écologique, dont je fais partie, beaucoup plus de connaissances...

  • Flo-P

    Tous les détracteurs de ces produits utilisent bien plus la polémique que les réalités scientifiques démontrées. Quand au poids des lobbies je n’y crois pas une seconde. Si ils étaient si puissants on ne voterait pas des nouvelles lois anti tabacs tous les ans. Les politiques avides de pouvoir ne sont pas élus par les lobbies. On n’est pas aux USA où les députés dépendent d’eux pour financer leurs campagnes. Il faut en revanche se soucier des réalités, 2% de la population ne peut pas nourrir les 98% restants en écrasant les limaces à la main. En effet il faudra de nouveaux produits avant d’interdire ceux actuels. Quand au bio, il n’a aucun bénéfice pour la santé, c’est ce qui ressort de la plupart des études sérieuses. S’il y a un aliment nocif c’est le sucre. Les pesticides sont très très très loin derrière. Sortons de ces paranoïas à la mode, contraires à tous les arguments scientifiques.

  • petrus6524

    Compte tenu de ce que semble être votre grande expérience pourriez- vous nous dire combien d'hectares de terre vous cultivez ?