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Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile

Tuberculose, jusqu’à quand ? (1). Le Kenya, durement touché par la maladie, a été le premier à introduire un traitement spécialement conçu pour les enfants.

Par  (Nairobi, correspondance)

Publié le 27 septembre 2018 à 18h30, modifié le 28 septembre 2018 à 19h37

Temps de Lecture 5 min.

John, 3 ans, souffrant de tuberculose, dans une clinique de Médecins sans frontières (MSF) à Nairobi, en mars 2015.

Peu après leur premier anniversaire, début 2018, les jumelles de Catherine Karutha Nguli ont brusquement perdu du poids. « Elles sont tombées à 6 kg. Elles étaient maigres, maigres, maigres ! », angoisse encore la mère de quatre enfants. Sa silhouette longiligne disparaît dans la chambre, séparée du reste de la maison de terre par un drap bleu, et réapparaît en brandissant deux carnets de santé froissés. Par un point de stylo, les médecins ont marqué le poids des jumelles, Faith Kiko et Ann Mwenda, bien en dessous de la courbe recommandée.

Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Mais, pendant deux mois, ils n’ont pas su lui en dire plus. « J’y suis allée beaucoup de fois. Comme elles avaient aussi de la fièvre et de la toux, ils ont prescrit des antidouleurs, des antibiotiques, des sirops, mais rien ne fonctionnait », poursuit cette habitante d’un village du comté d’Embu, au centre du pays. Finalement, un énième praticien propose d’essayer un traitement contre la tuberculose. « Je n’y aurais jamais pensé, j’y ai cru quand j’ai vu que ça marchait », lâche-t-elle.

Le diagnostic, un enjeu majeur

Au Kenya, comme dans tous les pays durement touchés par la tuberculose – au nombre de trente selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) –, le diagnostic est un enjeu majeur. Ainsi, la moitié des personnes infectées ignorent qu’elles le sont. Un phénomène lié au déficit de prévention et d’accès aux soins des familles touchées, souvent très pauvres.

De plus, le dépistage chez les enfants présente des difficultés particulières. « Pour détecter le bacille de la tuberculose, on prélève et on analyse les expectorations, explique Evelyne Kibuchi, responsable au Kenya de l’ONG Stop TB, installée à Nairobi. Or vous ne pouvez pas demander à un enfant, notamment un bébé, d’expectorer. En outre, les enfants sont souvent malades. Chez un bébé qui aurait de la fièvre, il est par exemple difficile de distinguer une tuberculose d’une grippe. »

Le parcours du combattant ne s’arrête pas là. Longtemps, on a prescrit aux enfants le même traitement qu’aux adultes, soit, pour une tuberculose classique, plusieurs pilules différentes à avaler chaque jour. Pour pouvoir les administrer aux petits, « les parents devaient les couper, les écraser, prélever eux-mêmes la bonne dose puis la dissoudre dans de l’eau. C’était difficile à faire, et le goût était très amer, donc les enfants détestaient cela », rappelle Enos Masini, conseiller du bureau de l’OMS au Kenya pour cette maladie.

Cet ancien directeur du programme national de lutte contre la tuberculose (NLTP) a été l’artisan d’une petite révolution dans son pays. Sous sa houlette, Nairobi a focalisé sa stratégie sur les enfants, afin de contenir la maladie et sa propagation dès le plus jeune âge. C’est fin 2015, lors d’une conférence internationale au Cap, en Afrique du Sud, qu’Enos Masini assiste à l’annonce d’un nouveau traitement spécialement pensé pour les petits. Conçu par l’ONG TB Alliance et l’OMS, financé par Unitaid et l’Agence américaine de développement (USAID), le médicament se compose désormais d’une dose soluble unique, au goût de fraise.

Gratuité du traitement

Neuf mois plus tard, le pays d’Afrique de l’Est est le premier au monde à déployer ce traitement. « Au Kenya, nous sommes disposés à essayer de nouvelles choses rapidement et nous avions les compétences techniques nécessaires. Nous ne l’avons pas fait pour être les premiers, mais pour que les enfants kényans soient soignés », raconte par téléphone l’ex-directeur du NLTP, diplômé en chirurgie et en santé publique. Si le diagnostic reste difficile, le nouveau traitement a connu « un grand succès, dit-il, bien qu’aucun chiffre ne soit encore disponible. « Nous avons traité près de 20 000 enfants depuis 2016, mais pour avoir des mesures précises de ce succès, il faut attendre cinq ans », explique Enos Masini. Un chiffre peut toutefois donner l’ampleur de la tâche : rien qu’en 2016, sur 169 000 nouveaux cas déclarés, 22 000 étaient des enfants de moins de 14 ans.

Dans son village, Catherine Karutha Nguli, la mère des jumelles, se dit satisfaite du produit, « même s’il n’était pas toujours facile de le donner aux bébés, qui parfois le vomissaient ». « Mais elles vont bien maintenant, elles ont repris du poids », dit-elle en jetant un œil aux deux fillettes. L’une joue avec un antique téléphone. L’autre, emmitouflée dans une polaire violette, semble encore fiévreuse. « Une allergie », selon leur médecin qui, après six mois de traitement, vient de les déclarer guéries.

Sans emploi, Catherine Karutha Nguli et son mari n’auraient pas eu les moyens de payer les 5 000 shillings (environ 42 euros) nécessaires au traitement. Sa gratuité dans les hôpitaux publics kényans a été décisive pour la survie des jumelles. C’est l’un des aspects phares du programme national de lutte contre la tuberculose, financé à environ 40 % par l’Etat et à 60 % par des dons extérieurs.

Accompagner les familles

Selon Enos Masini, de l’OMS, le combat porte ses fruits chez les enfants comme chez les adultes : « Il y a eu beaucoup de progrès ces dix dernières années. Plus d’un million de personnes ont été traitées. Mais il reste encore beaucoup à faire. » En 2016, 29 000 personnes sont mortes de la tuberculose, qui représente la quatrième cause de décès dans le pays.

De plus, le nombre annuel de nouveaux cas qui diminue, certes, mais trop lentement. « C’est une maladie de la pauvreté, il faut donc aller plus loin [que les traitements], poursuit Enos Masini. En ce sens, le Big Four Agenda [les quatre priorités définies par le gouvernement jusqu’en 2022 : accès au logement, santé universelle, sécurité alimentaire et industrie] est une bonne chose, car il permettra d’améliorer les conditions de vie des habitants. C’est comme cela que l’Europe a contrôlé la tuberculose dans les années 1950 et 1960. »

Un autre levier, note Stop TB, est de consacrer plus d’argent à la prévention et à la sensibilisation afin de réduire les risques de contagion, d’élargir le dépistage, mais aussi d’accompagner les familles face à la forte stigmatisation des malades, suspectés d’avoir le sida. Catherine Karutha Nguli l’avoue d’ailleurs avec sincérité : elle n’a jamais dit à ses voisins, sur qui elle compte beaucoup, pourquoi ses jumelles avaient perdu autant de poids.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

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