Alexandre Matic, représentant de la Confédération des jeunes chercheurs, qui regroupe quarante associations françaises de doctorants et de docteurs, témoigne des difficultés et améliorations quant à leur situation.
En quoi l’événement « Ma thèse en 180 secondes » est-il le signe d’une évolution du rapport des doctorants avec le grand public ?
Alexandre Matic : Il participe de l’enjeu de vulgarisation de la recherche, comme la Nuit européenne des chercheurs du 28 septembre, permettant à l’ensemble de la société, très curieuse et demandeuse, de se tenir au courant des avancées de la recherche. C’est une évolution positive que l’on observe depuis quelques années et que les jeunes chercheurs ont bien intégrée. Ils ne veulent plus être assimilés à des rats de laboratoire et sont aujourd’hui habitués à devoir partager leurs recherches, ne serait-ce qu’avec leurs pairs. C’est ce que démontre l’ampleur du mouvement Open Science (partage et diffusion des données de recherche).
Quelle est la situation des doctorants français en 2018 ?
La précarité des jeunes chercheurs est alarmante. Sur les près de 12 000 doctorants inscrits en première année pour la rentrée 2016, 30 % se trouvaient sans financement pour leur thèse. Ils sont donc contraints de travailler à côté, souvent en tant que vacataires dans les universités. Ces prestations sont mal payées au vu de leurs compétences : si l’on prend en compte les heures de préparation des cours, le salaire est proche du smic. Sans compter que les vacataires sont sans contrat de travail : cela en fait des « ubérisés » du secteur de l’enseignement et de la recherche.
Une situation de pauvreté qui entraîne un très fort taux d’échec
Quant à ceux qui ne trouvent aucun emploi pour payer leurs études, ils se trouvent dans une situation de pauvreté qui entraîne un très fort taux d’échec. Il est intolérable qu’en 2018 la recherche ne soit pas payée à sa juste valeur. Forcément, cela entraîne une diminution du nombre de thésards français, surtout dans les filières de sciences humaines et sociales, plus sujettes au manque de financement : ils sont au total environ 70 000, contre 80 000 il y a dix ans. Nous sommes sur une pente descendante quand nos voisins, l’Allemagne par exemple, voient leur nombre de doctorants augmenter.
A l’étranger, le diplôme du doctorat est extrêmement valorisé. En France, les docteurs sont toujours en concurrence avec les diplômés de grandes écoles…
Effectivement, il existe une chasse gardée très franco-française qui consiste à réserver les postes dans le secteur privé, notamment en recherche et développement (R&D), aux diplômés de grandes écoles de commerce ou d’ingénieur. En Allemagne ou aux Etats-Unis, le doctorat est valorisé en tant que tel – d’ailleurs, le docteur français est très courtisé à l’étranger. Une mentalité différente perdure en France, qui entend plutôt confiner les doctorants au secteur public : c’est se priver de talents incroyables. Le chômage des jeunes docteurs atteint, cinq ans après le diplôme, 14 %, presque le double de celui des ingénieurs et autres grandes écoles. Le salaire médian des chercheurs dans le privé est aussi inférieur à celui des diplômés des grandes écoles.
Observe-t-on, malgré tout, une évolution dans la perception des docteurs par la société ?
Oui et il faut accompagner la valorisation naissante du diplôme de docteur. L’expérimentation, dès la session d’août 2019, d’un concours d’entrée à l’ENA [Ecole nationale d’administration] réservé aux docteurs est un bon signal : cela rappelle qu’ils sont en mesure de répondre aux profils attendus dans la fonction publique. Autre avancée : depuis mars, le doctorat figure dans le Registre national des certifications professionnelles (RNCP), par le biais de 22 fiches qui mettent en avant les compétences acquises lors du cursus. Par exemple, un docteur sait gérer des projets dans la R&D, a une capacité de veille qui permet de jouer des coups stratégiques en avance et a tissé un réseau partout dans le monde, ce qui est un atout pour le secteur privé.
Quel est l’enjeu du doctorat aujourd’hui ?
Nous souhaitons la reconnaissance du statut particulier de doctorant, à l’instar des apprentis, au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, et une véritable contractualisation. Ils seraient ainsi moins liés au seul bon vouloir des directeurs de thèse et seraient plus accompagnés au sein de l’université.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu