La chose est sortie en début de semaine. D'après l'ONG Amnesty International, plus d'une dizaine d'ouvriers employés sur les chantiers de la future Coupe du Monde de football, au Qatar, ne seraient plus payés depuis dix mois.
La liste des critiques commence à s'allonger et on a peine à croire que le pays du Golfe parviendra, sans faille, à organiser le mondial dans 4 ans.
Cette nouvelle polémique se rajoute aux nombreux autres déboires qataris. Depuis 8 ans, la monarchie a fait parler d'elle par ses conditions de travail exécrables, les milliers de morts sur les chantiers ou encore le non-respect des accords internationaux et des recommandations du bureau international du travail.
Mais ce n'est pas tout, on peut aussi noter le manque de visibilité pour les syndicats et les associations de défense des travailleurs, un système juridique, la kafala, profondément coercitif et abscons, et des infrastructures gargantuesques ne respectant absolument pas les principales normes environnementales et présentant un bilan carbone catastrophique.
Sans compter l'absence de la moindre réflexion sur la défense des droits de l'Homme et du citoyen ou l'abandon total des droits en faveur des personnes LGBT. C'est simple, en 2022, la FIFA va organiser une compétition suivie par plus de 2 milliards de personnes sur Terre dans un pays où l'homosexualité est toujours passible de la peine de mort.
Nous pourrions aussi rajouter que la décision unilatérale des instances sportives de décaler la Coupe en hiver, afin de profiter de températures clémentes, va bouleverser le calendrier des championnats européens et fatiguer les organismes. Risque pour le spectacle et le jeu mais aussi pour la santé physique et psychique des joueurs.
Et quid de la corruption? Dans leur livre-enquête, L'homme qui acheta une coupe du monde (Hugo Sport, 2016) les journalistes au Sunday Times Heidi Blake et Jonathan Calvert expliquaient, avec moults détails, le long travail et les efforts continus du comité sportif qatari pour obtenir l'organisation du Mondial, quitte à débourser quelques coins de table et à faire preuve d'une magnanimité particulière.
Nous ne parlerons pas non plus de la soutenabilité des infrastructures, construites à partir de rien, et qui resteront très certainement à l'abandon sitôt les matchs terminés. Le Qatar, pays de 2,7 millions d'habitants, d'une superficie de 11 586 km², soit plus petit que le seule la région Ile-de-France, ne peut pas se permettre d'accueillir et d'organiser un événement grand comme une coupe du Monde de football.
Le seul argument, présenté, à l'époque, par Michel Platini, alors président de l'UEFA, de favoriser le développement du football dans un région encore vierge, ne suffit plus. Trop c'est trop, la note grossit et le pays réussit à faire pire que la Russie, pas exempt de tout reproche, en juin dernier.
La question du modèle d'attribution se pose aussi. Le Qatar n'est pas le seul responsable et ne peut pas être le bouc-émissaire de tout un système. Les grandes organisations sportives, au premier chef, la FIFA, ne doivent-elles pas revoir leur modèle de gouvernance, imposer des normes sociales et environnementales et faire respecter les traités internationaux?
Il faut agir, et rapidement. Nous savons pertinemment que rien ne va, mais personne ne fait rien. Nous demandons des comptes, nous demandons un véritable devoir d'inventaire et une enquête officielle, objective et sérieuse afin d'annihiler définitivement tous les risques et les soupçons qui pèsent sur la Coupe du Monde 2022.
Jusqu'où devons-nous aller? Les morts n'ont pas suffi ? Les scandales et les révélations de corruption n'ont rien apporté? Qu'a-t-on amélioré depuis 8 ans ? Le Qatar a-t-il fait le moindre effort pour restaurer son image et sa réputation? Que ferions-nous dans 4 ans, lorsqu'il s'agira d'applaudir son équipe favorite? Comment la France pourra venir, sans honte ni remord, défendre son titre, après la magnifique victoire de 2018?
Tout reste à faire et rien n'a changé. Si le Qatar et ses représentants politiques ne prennent pas de grandes décisions et ne décident pas de réformer en profondeur leur monarchie, le boycott deviendra la seule stratégie possible, la seule démarche crédible. Car trop, c'est trop.
Pour l'amour de l'humanité, pour l'amour du football, espérons que nous n'allions pas jusque-là.
Richard Bouigue et Pierre Rondeau, auteurs du livre Le football va-t-il exploser (Editions de l'Aube, 2018)
À voir également sur Le HuffPost: