PRIS POUR CIBLE«Des contacts publiaient des photos de poitrine en disant que c’était moi»

Cyber-harcelé(e)s: «Des contacts Facebook publiaient des photos de poitrine en disant que c’était moi»

PRIS POUR CIBLEQuelques semaines avant de passer le brevet, Caroline* a été victime de rumeurs qui se sont propagées sur Facebook...
Illustration cyber-harc-lement
Illustration cyber-harc-lement - PIXABAY
Laure Beaudonnet

Propos recueillis par Laure Beaudonnet

Voici l’histoire de Caroline*. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles,
20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies. Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de la cyber-violence. Si vous avez été victime de cyber-harcèlement, écrivez-nous à lbeaudonnet@20minutes.fr, hsergent@20minutes.fr ou hbounemoura@20minutes.fr.

« Ça s’est passé en 2015, quelques semaines avant le brevet. Des rumeurs ont commencé à se propager dans mon établissement. Au début, j’en entendais parler mais ne faisais pas attention, j’étais timide et très réservée. C’était la fin de l’année scolaire, j’étais en troisième et Georges*, un nouveau, venait d’arriver au collège. Il n’était pas dans ma classe, mais avec une amie, j’avais fait connaissance avec lui. J’ai fini par comprendre qu’il serait à l’origine des rumeurs qui ont circulé sur moi. Il a raconté que je lui avais envoyé des photos de moi dénudée, que je l’avais sucé, alors que ce n’était pas le cas. Je pense qu’il a raconté cette histoire pour se faire une place au collège, mais je n’ai jamais eu d’explications avec lui.

Quelques mois avant, j’avais créé un compte Facebook et, bêtement, j’avais accepté en ami des personnes à qui je ne parlais quasiment pas, qui jouaient parfois un rôle dans ce qui se passait au collège. J’ai commencé à recevoir des messages privés qui m’insultaient de tous les noms. "Tu es une pute" ; "C’est vrai que tu as envoyé tes seins en photo à Georges ?" ; "Apparemment, tu l’aurais sucé". Je reçois une bonne dizaine de messages et rapidement ça se propage sur mon mur. Certains contacts publient des photos de la poitrine d’une femme noire sans visage et les gens affirment que c’est moi.

Un jour, alors qu’on sortait de cours de technologie, une bonne partie du collège m’attendait pour que je m’explique sur cette histoire. Je n’avais rien à dire, je suis partie me réfugier dans les toilettes qui étaient juste à côté de la salle. Quand les rumeurs ont commencé à se répandre, j’entendais les autres élèves parler de moi, en cours, en sport. Je me suis isolée, mais on m’a aussi beaucoup mise de côté, même celles qui étaient censées être mes amies. J’ai beaucoup pleuré pendant cette période. J’ai fugué deux fois du collège, je n’en pouvais plus de les entendre : « Est-ce que tu es au courant de ce qu’a fait Caroline ? » J’ai fini par faire une tentative de suicide avec des médicaments. J’étais déjà suivie psychologiquement, j’allais régulièrement au CMP [Centre médico-psychologique] à cause de mes problèmes personnels. Et là, je me suis retrouvée hospitalisée pendant trois jours.

Ça s’est calmé quand j’ai supprimé mon compte Facebook, même si j’ai continué à recevoir des messages sur mon téléphone. Certaines de mes « amies » m’interrogeaient, elles voulaient savoir ce que j’avais fait. Elles ne voulaient pas croire ma version, et j’ai arrêté de répondre pour qu’elles me laissent tranquille. Ça aurait pu durer un bon moment si je n’avais pas fermé mon compte. Et comme c’était le mois de juin, il y avait les vacances scolaires. L’année suivante, je passais au lycée, donc j’ai changé d’établissement. J’ai voulu faire un baccalauréat professionnel pour m’éloigner de Versailles. Mes parents n’ont jamais rien su de ce qui se passait à l’école. Seule la CPE du collège était au courant et m’a soutenue.

J’ai créé un nouveau compte Facebook, deux ans plus tard, fin 2017. Aujourd’hui, quand il m’arrive de recroiser des anciens "amis" de troisième, je me sens encore très mal. »

*Les noms ont été changés.

Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.

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