Pascale Casanova, citoyenne mondiale des lettres, est morte à 59 ans

Pascale Casanova, citoyenne mondiale des lettres, est morte à 59 ans
Pascale Casanova (1959-2018). (HERMANCE TRIAY/OPALE/LEEMAGE)

Cette sociologue, proche de Bourdieu, laisse deux contributions majeures à la littérature. Hommage.

Par Xavier de La Porte
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On a appris hier, 30 septembre, avec une grande tristesse, le décès de Pascale Casanova, à l’âge de 59 ans. Elle laisse deux contributions majeures à la littérature.

D’abord les émissions qu’elle a animées pendant quinze ans sur France Culture («L’atelier littéraire» puis les «Mardis littéraires»), qui accueillirent à peu près tous les auteurs les plus intéressants de l’époque. Pascale Casanova n’était pas une journaliste, mais une chercheuse, et c’est en tant que telle qu’elle les interrogeait. Elle leur posait les questions qu’elle se posait. C’était pointu, exigeant, parfois touffu, mais toujours passionnant.

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« Passer chez Casanova», fut pendant toutes ces années une forme d’intronisation pour les écrivains et ceux qui, ayant déjà été invités, ne l’étaient soudain plus, savaient qu’ils avaient raté leur livre. Pascale Casanova ne copinait pas, ignorait les logiques éditoriales et promotionnelles. Ses choix relevaient du strict intérêt qu’elle trouvait à une oeuvre, y compris à la poésie et aux écritures les plus formalistes. On ne compte pas les découvertes qu’on lui doit, autant en littérature française qu’en littérature étrangère, qu’elle faisait lire et commenter à un pôle de chroniqueurs qui lui vouaient la plus amicale des admirations.

Ensuite, Pascale Casanova laisse une oeuvre qui lui a valu, à partir du début des années 2000, d’être invitée dans les plus prestigieuses universités. «La République mondiale des lettres» (Le Seuil, 1999) est un ouvrage majeur. Elle y montrait, en balayant à la fois les siècles et les continents, que le choix d’une langue par un auteur et les passages d’une idiome à l’autre, obéissent à des logiques par lesquels il se positionne dans ce vaste champ de luttes qu’est la littérature mondiale.

Ce qui valait pour les auteurs de la Renaissance française (choisissant le français au détriment du latin), vaut aussi pour les auteurs africains d’aujourd’hui qui décidant d’écrire dans leur langue maternelle - plutôt qu’en anglais. Pascale Casanova réinvestissait là dans la littérature certaines des théories de Pierre Bourdieu, dont elle fut très proche. Traduit en plusieurs langues «la République mondiale» - son ambition et son originalité - est une des raisons pour lesquelles l’Université de Duke, aux Etats-Unis lui offrit un poste de «visiting professor».

Elle a publié aussi un «Kafka en colère» (Le Seuil, 2011), sorte de biographie littéraro-sociologique du grand auteur des «Métamorphoses» et du «Procès», dont le titre fit sourire ceux qui la connaissaient, tant la colère - avec ses excès et ses beautés - semblaient aussi un moteur pour elle. Son dernier livre, «la Langue Mondiale» (Le Seuil 2015), interroge ce qui fut un fil rouge de tout son travail : la traduction. Elle aurait pu prolonger encore cette oeuvre si la maladie lui en avait laissé le temps, tant sa curiosité et son amour des textes étaient intenses.

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Pascale Casanova : "La langue mondiale est aussi la langue du pouvoir"

L’Université française n’a sans doute pas compris qu’elle avait en Pascale Casanova une personnalité rare - capable de faire changer de perspective sur des corpus déjà bien labourés. Heureusement, cette femme radicale et tellement élégante dans sa pensée a trouvé d’autres voies pour le faire. Ce dont on lui saura éternellement gré.

Xavier de La Porte

Xavier de La Porte
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