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Charles Aznavour, en 2009 : « Quand on est fils d’immigrants, il faut sortir de sa condition »

Extraits de la rencontre, en 2009, de notre journaliste Annick ­Cojean avec l’artiste, mort dans la nuit de dimanche à lundi.

Propos recueillis par 

Publié le 01 octobre 2018 à 14h33, modifié le 01 octobre 2018 à 17h53

Temps de Lecture 3 min.

A l’occasion de la sortie, en 2009, du livre A voix basse de Charles Aznavour, mort dans la nuit de dimanche à lundi, notre journaliste Annick ­Cojean avait rencontré l’artiste pour Le Monde Magazine. Extraits.

Je ne serais pas arrivé là si…
… si je n’avais pas eu mes femmes : ma mère, ma sœur, mon épouse. Ce sont indéniablement les femmes qui font les hommes. Et il me semble que je les comprends bien. J’ai un côté très féminin. J’écris spontanément des chansons dans une version féminine, et ne les adapte dans une version masculine, en changeant quelques mots, que si une femme n’en veut pas.

Parlez donc de « vos » femmes…

Ma mère, Knar, était comédienne ; fine, cultivée, si aimante. Elle avait perdu toute sa famille dans le génocide arménien et a pleuré les siens sa vie entière. Elle aimait rire pourtant, jouait du piano, a appris rapidement le français et le russe, parlé par mon père, qui était né, lui, en Géorgie. Elle a dû hélas renoncer à sa vocation et a fait bien des travaux pour nous sortir de la misère. Aïda, ma sœur, a toujours été la meilleure musicienne de la famille. Elle a quitté la chanson pour se mettre au service de son mari, le compositeur Georges Garvarentz, et au mien. Il y a des femmes capables de ça. Elle assiste à tous mes enregistrements, repère la moindre fausse note de l’orchestre ou maladresse de ma part, m’oblige à recommencer. C’est elle qui m’a forcé à chanter La Mamma, Que c’est triste Venise, Il faut savoir… Quant à Ulla, mon épouse, scandinave, protestante, discrète, échappée d’un film de Bergman, et donc si différente de moi, elle structure, discipline ma vie avec harmonie depuis quarante-six ans. Et ce n’est pas fini !

Avez-vous eu un modèle dans votre carrière ?

Piaf. Une femme, encore ! Parfaite autodidacte, comme moi. Malgré les tracasseries, les attaques, les chagrins, elle s’est accrochée, obstinée, cultivée, parvenant à devenir première de son vivant, encore plus grande après sa mort. Elle fréquentait des intellectuels qu’elle subjuguait, lisait des œuvres ardues… Comme elle avait raison ! Moi aussi, j’ai dû tout apprendre par moi-même, ce qui prend plus de temps que guidé par des maîtres. J’ai avalé livres, dictionnaires, encyclopédies avec une immense soif de connaissances. Et je ne passe pas un soir sans lire et apprendre quelque chose. Je le ferai jusqu’au bout. Il n’y a pas de malédiction à être ignare. La pauvreté peut même agir comme un moteur.

Quel était-il ?

Pendant longtemps, ce fut la volonté d’aller au-delà de ce qu’on disait sur mon compte. L’ignorer en façade, l’avaler à l’intérieur, et aller de l’avant. Car mes débuts sur scène furent douloureux. De bals de banlieue en cabarets médiocres ou cinémas de quartier, je me battais contre le public. J’ai reçu toutes sortes d’objets sur scène. Sans compter quolibets, injures, sifflets. Mon physique, ma voix, mon style, rien ne convenait. Les critiques me démolissaient, aucune maison de disques ne voulait de ma voix embrumée ! Il fallait avoir le cœur bien accroché, le besoin de bouffer et une détermination à toute épreuve. Mais j’aimais la bagarre, le défi, la conquête. Mon côté Bonaparte ! Quand on est pauvre, fils d’immigrants, d’apatrides, il faut sortir de sa condition. Et la tête haute.

Vos parents vous ont-ils vu en haut de l’affiche ?

Ma première grande affiche devait bien faire dix mètres de haut, à côté du Moulin-Rouge. Ils sont allés la voir et je crois, je sais, qu’ils étaient fiers. Mais quand ils étaient dans la salle, ils n’applaudissaient pas. Nos rapports familiaux étaient faits de pudeur.

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