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Rassemblement National

Un ancien expert du Front national dénonce l'imposture économique de Marine Le Pen

INTERVIEW EXCLUSIVE - Jean-Paul Tisserand, ex-porte-parole du Front national sur les sujets économiques, décrit le "manque criant" de réflexion au Rassemblement national. Selon lui, Marine Le Pen a conscience que nombre de ses promesses seraient incompatibles avec une sortie de l’euro.

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CONVOQUÉE À UNE EXPERTISE PSYCHIATRIQUE, LE PEN S'INDIGNE

Lors du débat face à Macron, "Marine Le Pen a mélangé deux options que nous lui avions proposées", affirme Jean-Paul Tisserand, ex-porte-parole du Front national.

Charles Platiau

Challenges - Vous avez participé pendant six ans au groupe d’experts qui conseillait Marine Le Pen sur les sujets économiques et sociaux, pourquoi quittez-vous aujourd’hui le Rassemblement national (ex-FN)?

Jean-Paul Tisserand, ex-porte-parole du Front national sur les sujets économiques: Le Rassemblement national souffre d’une incapacité persistante à définir une ligne claire sur les questions économiques. Ce flou, dont Marine Le Pen est la première responsable, peut avoir des conséquences catastrophiques dans les urnes. On l’a vu au sujet de la sortie de l’euro, alors même que cette mesure constituait la clef de voûte du programme.

Comment expliquez-vous les faiblesses du Rassemblement national sur les dossiers économiques?

Il n’y a plus de réflexion sur les questions économiques et sociales au sein du Rassemblement national. Le "Cap Eco", sorte de think tank interne qui rassemblait une trentaine d’experts chaque mois depuis 2008, ne se réunit plus depuis un an. L’eurodéputé Bernard Monot, qui pilotait le groupe, a été évincé des instances dirigeantes du parti en 2017 et a claqué la porte en mai dernier. Aujourd’hui, il reste quelques personnalités capables de nourrir Marine Le Pen, mais il n’y a plus de cercle de réflexion en tant que tel. C’est un manque criant dans un parti.

Marine Le Pen s’intéresse-t-elle aux sujets économiques?

La présidente du Rassemblement national a tendance à cloisonner les différents groupes de conseillers qui travaillent autour d’elle. C’est un réflexe assez classique et plutôt sain pour un dirigeant politique, mais à condition qu’il réalise ensuite la synthèse des différentes propositions qu'on lui remonte. Or, je constate que Marine Le Pen n’effectue pas cette synthèse.

Avez-vous des exemples?

On se souvient que Marine Le Pen a sombré dans une totale confusion face à Emmanuel Macron sur la question de la sortie de l’euro. Lors du débat télévisé entre les deux tours, elle présente sa solution en affirmant qu’il s’agit d’un retour au système de l’ECU avec une monnaie européenne réservée aux grandes entreprises qui exportent. Immédiatement, Emmanuel Macron lui rétorque, avec raison, que ce système n’a jamais existé et la candidate du FN semble perdue.

Elle était en effet en très mauvaise posture sur un point crucial de son programme, que s’est-il passé?

En réalité, Marine Le Pen a mélangé deux options que nous lui avions proposées. La première revenait effectivement à un retour à l’ECU comme "monnaie de référence" pour les fluctuations des taux de change des devises européennes, comme dans l’ancien Système monétaire européen (SME), sans que cela soit une monnaie utilisée par les entreprises ni par qui que ce soit. La seconde consistait en la création d’une "monnaie écran" qui aurait, elle, été utilisée par les entreprises pour leurs importations et exportations hors de l’Union européenne. En mêlant les deux propositions sans les maîtriser sur le fond, Marine Le Pen s’est décrédibilisée aux yeux de millions de Français sur un sujet ultra-sensible: l’argent qu’ils ont dans leur portefeuille!

Il est surprenant que Marine Le Pen ne s’intéresse pas davantage au sujet de la sortie de l’euro, alors que c’est un point de son programme largement rejeté par les Français…

Franchement, je ne me l’explique pas. Au sein du Front national, j’étais l’un des quelques experts des questions monétaires. Dès 2015, j’avais transmis à Marine Le Pen un scénario technique de sortie de l’euro sur six mois. Je m’attendais à ce qu’elle me recontacte pour approfondir certains points ou confronter mes idées avec d’autres économistes, comme l’aurait fait n'importe quel responsable politique. Mais elle ne m’a jamais sollicité. De ce silence, j’ai d’abord conclu qu’elle disposait de meilleurs experts autour d’elle. Mais, trois ans plus tard, je ne peux que constater que ce n’était pas le cas.

Marine Le Pen repousse désormais la sortie de l’euro à la fin d’un éventuel quinquennat. Qu’en pensez-vous?

C’est la pire des solutions. Une fois de plus, cela démontre l’incapacité de Marine Le Pen à saisir les rudiments de l’économie et à écouter les économistes. Repousser la sortie de l’euro à la fin du quinquennat alimenterait la spéculation des marchés financiers sur le devenir de la monnaie européenne durant cinq longues années. C’est la crise financière assurée! Les autres pays européens n’accepteraient d’ailleurs jamais que la France laisse planer si longtemps une telle épée de Damoclès au-dessus de l’euro.

Le programme de Marine Le Pen est aussi épinglé pour son coût budgétaire…

C’est Florian Philippot qui a poussé Marine Le Pen à multiplier les mesures ultra-coûteuses dans son programme de 2017. A l’époque, j’étais surpris qu’un énarque ait une telle méconnaissance de l’économie et des finances publiques. L’objectif était bien sûr d’attirer les électeurs de gauche et les classes populaires. Mais les Français ne sont pas si naïfs.

Aviez-vous alerté Marine Le Pen sur le coût très élevé de ses promesses?

En interne, j’ai tiré la sonnette d’alarme dès 2014. Mais, en externe, étant l’un des six porte-paroles du Front national en matière économique, il me fallait bien sûr défendre les positions officielles du mouvement. N’en faisant plus partie, je peux maintenant m’exprimer ouvertement.

Quelles sont vos principales critiques sur le volet budgétaire du programme de Marine Le Pen?

La prime de pouvoir d’achat de 80 euros par mois pour tous les salariés gagnant moins de 1.500 euros, l’augmentation généralisée des salaires des fonctionnaires, le retour à l’âge de la retraite à 60 ans, les baisses massives d’impôts, etc. Toutes ces mesures très coûteuses –auxquelles même les syndicats ne croient pas sérieusement– reviendraient à opérer une vaste relance budgétaire. Or, une telle relance serait totalement inadaptée si la France décidait en même temps de sortir de l’euro. Elle pourrait même conduire à la catastrophe.

Pourquoi?

Ces multiples cadeaux budgétaires promis par Marine Le Pen conduiraient à une hausse de la consommation et donc à une hausse des prix. Or, cette hausse des prix annulerait le bénéfice de la sortie de l’euro et de la dépréciation du nouveau franc pour stimuler les exportations françaises. Cela pousserait le gouvernement et les marchés des changes à favoriser de nouvelles dépréciations du franc, ce qui augmenterait encore les prix des produits venus de l’étranger. Au total, sortir de l’euro et opérer une relance budgétaire simultanément aboutirait à une très forte hausse des prix –voire à une "spirale inflationniste"- qui pénaliserait les Français, en particulier les plus pauvres.

Marine Le Pen a-t-elle conscience de ce risque de "spirale inflationniste" qui découlerait de son programme?

Nous avons été plusieurs à l’alerter. Je pense qu’elle a compris que les promesses coûteuses de son programme -prime de pouvoir d’achat de 80 euros par mois, baisses d’impôts, retour de l’âge de la retraite à 60 ans ou à quarante années de cotisations, etc - ne pourraient être mises en œuvre que deux ou trois ans au mieux après la sortie de l’euro. Durant cette période, il faudrait au contraire stabiliser les dépenses publiques. Mais Marine Le Pen préférait passer sous silence cette incohérence de son programme pour séduire les électeurs.

Vous avez aussi été un candidat dissident du Front national aux élections législatives de 2017…

Dissident? J’ai surtout été victime de l’inorganisation totale du mouvement. Jusqu’au dépôt de ma candidature à la préfecture, la direction du parti ne m’avait pas officiellement retiré mon investiture. Ce n’est qu’à la fin de la campagne législative que Marine Le Pen a publiquement annoncé qu’elle soutenait un autre candidat. Résultat, les électeurs ont reçu par courrier deux professions de foi de candidats FN… Par loyauté pour le parti, j’ai finalement retiré les bulletins des bureaux de vote la veille. Et j’ai payé de ma poche les 14.000 euros dépensés pour mes frais de campagne (affiches, tracts, meetings, etc.), dont j’attends toujours le remboursement par le Rassemblement national.

Avez-vous quitté le Rassemblement national ou en avez-vous été exclu?

En réalité, j’ai reçu des courriers contradictoires. D’un côté, la fédération locale m’a relancé trois fois pour que je paie ma cotisation d’adhérent. De l’autre, le siège m’a signifié en juin 2018 que j’étais suspendu pour deux ans, alors que j’avais demandé sans résultat depuis près d’un an qu’une commission des conflits se réunisse pour statuer sur les événements liés à ma candidature aux législatives. Lassé de ces incohérences, j’ai décidé cet été de quitter le mouvement pour rejoindre le Centre national des indépendants et paysans.

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