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Budget 2019 : l'impasse du «en même temps»

Benjamin Griveaux, n'a pas du tout aimé que «Libération» pointe l'«entourloupe» de l'exécutif sur la prime d'activité et l'allocation adultes handicapés. Quoi qu'en dise le porte-parole du gouvernement, l'exécutif réalise bien des économies sur les prestations sociales, même s'il s'efforce de communiquer sur le pouvoir d'achat.
par Lilian Alemagna et Amandine Cailhol
publié le 1er octobre 2018 à 16h55

A en croire Benjamin Griveaux, Libé serait «fâché avec les chiffres». Le porte-parole du gouvernement n'a pas apprécié que nous qualifions d'«entourloupe» la promesse, inscrite au budget 2019, de revalorisation «très significative» de la prime d'activité – 20 euros de plus pour une personne au Smic – et de l'allocation adultes handicapés (AAH) – 40 euros supplémentaires pour atteindre 900 euros par mois fin 2019.

Dans notre édition de vendredi, nous pointions ainsi que le «gain de pouvoir d'achat», compte-tenu de la forte inflation de 2018 (+1,6% prévu par l'Insee en fin d'année), serait bien moindre qu'annoncé par le gouvernement. N'en déplaise à Benjamin Griveaux, nous avons épluché les articles du projet de loi de finances pour 2019 qui concernait, justement, la prime d'activité et l'AAH. Et là, surprise, nous avons constaté que le gouvernement décidait de suspendre pendant deux ans, pour ces deux prestations, la traditionnelle revalorisation, indexée sur l'évolution des prix. Evidemment, aucun ministre ne s'est empressé la semaine dernière de le préciser… Et pour cause : un adulte handicapé bénéficiaire de l'AAH verra certes son allocation augmenter de 40 euros, mais un tiers de cette «revalorisation exceptionnelle» sera grignotée par la hausse des prix à la consommation. De même, pour une personne au Smic éligible à la prime d'activité, la hausse ne sera pas de 20 euros par mois… mais de 10 euros si on tient compte de l'inflation. Par ailleurs, en supprimant la revalorisation annuelle en 2019, le gouvernement va, in fine, pénaliser les salariés précaires à temps très partiel. Ceux qui touchent moins de 0,5 smic n'auront droit à aucun coup de pouce sur leur prime d'activité.

Un usage particulier du calendrier

Mais ce n'est pas tout. L'exécutif joue aussi sur le calendrier : ces revalorisations «exceptionnelles» que placardent les ministres n'auront lieu qu'en octobre (prime d'activité) et novembre (AAH), quand la revalorisation traditionnelle, elle, intervenait au 1er avril. Ces décalages de six et sept mois permettent au gouvernement, au final, de donner moins aux allocataires qui, grâce à ces mesures «généreuses», vont donc, comparé à ce qu'ils auraient eu si le gouvernement n'avait rien fait en 2019… perdre de l'argent : au total, sur l'année, un salarié au smic aurait ainsi bénéficié de 30 euros de plus sur sa prime d'activité et une personne bénéficiaire de l'AAH aurait eu 40 euros supplémentaires. Libé n'est donc pas «fâché avec les chiffres», ces derniers sont juste têtus.

En réalité, le gouvernement tente de sauvegarder dans sa communication ses effets d'annonces sur les gestes aux plus démunis alors qu'il réalise bel et bien des économies sur les prestations sociales. Il essaie de camoufler cette décision au lieu de l'assumer. Ce budget 2019 prouve donc une chose : l'exécutif ne peut pas réduire le déficit public, contenir la dette, s'interdire de revenir sur certaines baisses d'impôts, notamment celles accordées en 2018 aux plus riches et aux entreprises, et «en même temps» prouver qu'il améliore le «pouvoir d'achat» des plus modestes et qu'il ne touche pas aux prestations sociales. Pour y arriver, il use forcément d'artifices comptables. Et ça finit par se voir.

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